1er mars 1789 à Champaissant : Rédaction du cahier de Doléance (1).
De tous les cahiers de doléance s des campagnes mamertines un seul se distingue du lot, les autres portant essentiellement sur des points particuliers qui furent facilement intégrés au cahier du bailliage essentiellement basé sur celui de la ville de Mamers, il s’agit du cahier très volumineux de la petite paroisse de Champaissant. Selon Gabriel Fleury, ce cahier aurait fortement inspiré, pour ne pas dire plus, celui de la paroisse proche de Nogent-le-Bernard : « […] , les seules variantes que l’on peut relever entre ces deux cahiers reposent sur les premières lignes de l’en-tête, sur l’insertion de quelques titres pour couper le texte, [...] »[1]
Le dimanche 1er mars 1789, les habitants de cette paroisse se réunissaient en assemblée générale sous le « balet [2]» de l’église paroissiale afin de rédiger leurs doléances et de désigner les deux représentants pour porter ce cahier à l’assemblée secondaire de Mamers qui devait avoir lieu le dimanche suivant.
Le cahier de Champaissant se penchait d’une façon précise et informée sur l’administration des finances en France. En fait, il est plus que probable que le princi pal « inspirateur » du cahier de Champaissant ne fut personne d’autre que l’économiste Véron de Forbonnais qui vivait alors dans son château de Forbonnais situé dans cette petite paroisse très proche de Saint-Cosme-en-Vairais[3]. D’ailleurs ce dernier avait été désigné comme député de la paroisse pour assister à l’assemblée de bailliage et y porter le cahier avec Charles-Jean-Baptiste Chartrain, marchand fabricant de toile. Mais Véron se fit remplacer par Louis Poussin, bordager propriétaire à Champaissant, au prétexte qu’il était indisposé. La véritable raison est à rechercher dans le fait que plusieurs cahiers des campagnes mamertines précisaient que les députés du Tiers-Etat ne devaient pas être choisis parmi la noblesse ou le clergé, voire de gens vivant noblement, or Véron de Forbonnais appartenait à la noblesse. Passages probablement inspirés par la bourgeoisie de la ville de Mamers, en effet dans une lettre de Pélisson de Gennes, bailli de Mamers, adressée au garde des sceaux, il apparaissait clairement que dans le bailliage de Mamers on ( Pélisson lui-même ) chercha à empêcher que des nobles fussent élus députés du Tiers-État, Gabriel Fleury cite cette lettre aux pages 64 et 65 du premier tome de son ouvrage[4] :
Monseigneur,
J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint le procès-verbal de l’assemblée secondaire de ce baillage, que j’ai tenue le neuf de ce mois[5] , je désire que vous le trouviez tel que vous le désirez, n’ayant rien de plus à cœur que de suivre exactement les ordres de votre grandeur. Cette assemblée a été on ne peut plus tranquille et concordante, d’après les précautions que j’avais prises d’engager quelques seigneurs de paroisses qui s’étaient fait nommer pour représentants du tiers, de ne se point présenter et d’en faire nommer d’autres en leur lieu et place. J’ai été obligé de recourir à cette précaution, pour empêcher les projets violents que la majeure partie des représentants des paroisses étaient décidés d’employer contr’eux. J’ose espérer, Monseigneur, que vous ne blâmerez pas cette précautions.
Je suis, avec le plus profonds respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Pélisson de Gennes, bailli du Sonnois,
lieutenant-général au baillage royal. »
De nombreux éléments de ce cahiers semblaient très inspirés par l’économiste Véron, la précision des argumentations développées, le style assez alambiqué des premières pages mais aussi un certain soucis de balance et de modération de ce cahier. Ainsi , il n’y était pas évoqué la suppression totale des privilèges de la noblesse et du clergé mais seulement dans une certaine mesure : « Les supplians accoutumés à respecter une hiérarchie dont ils ont toujours éprouvé la bienfaisance, et qui recevaient un puissant secours de la résidence des propriétaires dans leurs terres, se bornent à demander que la quotité de tout privilège soit fixée à une valeur numéraire quelconque, qui ne puisse être excédée et ce à l’égard des deux premiers ordres seulement. », alors que les paragraphes suivant dénonçaient vertement les privilèges accordés aux maître de poste aux chevaux. Dans le même ordre d’idée si le cahier dénonçait le poids de la Gabelle, comme une grande majorité des cahiers, il n’en demandait pas son abrogation immédiate avec une argumentation qui laisse deviner l’intervention de Véron : « […] que le remploi d’un revenu aussi considérable semble devoir être prorogé à des temps plus heureux et à mesure que la liquidation de la dette laissera les fonds libres, il paraît que ce doit être son véritable emploi et que moins il y aura de déplacement en ce moment, plus y aura de confiance.[...] »
Cependant, l’attaque contre la prise en charge de la confection des routes sur les fonds publics pour ne la faire peser que sur les utilisateurs ( mise en place de péages !!! ) nous semble contradictoire avec les idées des économistes qui militaient pour le développement du libre commerce. Il est vrai que le même paragraphe ne remettait pas en cause la nécessité de l’amélioration du réseau routier mais conseillait au roi de s’inspirer des solutions adoptées à l’étranger pour décharger les campagnes, ce qui semblait bien de la patte d’un économiste même si les solutions étrangères n’étaient pas explicitées.
Le cahier, comme presque tous ceux de l’est de la province, dénonçait le droit de franc-fief dans une argumentation fort convaincante qui tentait de montrer que ce droit était non seulement néfaste aux intérêts des roturiers mais aussi à ceux des seigneurs, argumentation qui laissait deviner l’intervention d’un « spécialiste » en terme économique. Par la suite étaient dénoncés les abus liés à la perception des droits domaniaux par le système de la ferme dans des termes pathétiques propres à émouvoir, puis dans un paragraphe un peu confus, pour un lecteur contemporain, la pratique de la fin du XVIII° siècle de renouveler la confection des terriers, mouvement que d’aucuns ont qualifié de réaction nobiliaire.
Le passage le plus novateur sans doute était celui concernant les réformes à apporter aux impositions et notamment à celle du vingtième et de la taille, « les supplians » ne réclamaient ni plus ni moins qu’une imposition progressive et de plus une répartition discutée et débattue en commun et adoptée à la majorité dans chaque communauté[6].
En ce qui concernait le marché des subsistances, et notamment celui des grains et du pain, si le cahier se montrait opposé à l’imposition d’un prix fixe en cas de disette ( ce qui sous la révolution débouchera sur la revendication d’un maximum des prix, voir sur ce site les articles : http://www.nogentrev.fr/archives/2015/12/14/33067368.html et http://www.nogentrev.fr/archives/2015/12/14/33067658.html) ce qui correspondait bien au positionnement des « économistes » par contre il était favorable à des moyens de « contraintes » pour approvisionner les marchés : «[…dans les communautés où il se commettrait « des avanies populaires »...] il semble que les officiers municipaux pourraient être autorisés à leur imposer la condition d’exposer à chaque marché une quantité certaine de bons grains proportionnés à leurs facultés, sans qu’ils fussent tenus cependant de les vendre autrement qu’à prix défendu.[...] ». De même qu’il préconisait des mesures interventionnistes pour soutenir l’élevage des bovins : « [...] Le remède cependant ne serait ni long ni onéreux pour régénérer l’espèce qui manque aux besoins, car c’est là le véritable mal. Il suffirait pendant deux ans, depuis le 1er mai jusqu’au 1er août, de défendre de tuer les veaux, on verrait la viande baisser à son ancien prix, l’engrais des bœufs reprendre son activité avec son profit. [...] «
Des demandes de réformes étaient également humblement demandées dans le domaine des redevances dues à des établissements religieux et dans l’organisation de la justice. Sur ce dernier point, le cahier protestait contre le fait que le bailliage de Mamers était rattaché à la Sénéchaussée de la Flèche.
[1] Gabriel, FLEURY. La ville et le district de Mamers durant la Révolution ( 1789-1804 ). Mamers : imprimerie Fleury, 1909. Tome 1 , page 77.
[2] Le mot balet sert à désigner l’auvent surmontant un escalier en pierre.
[3] Cette commune n’existe plus aujourd’hui étant intégrée, depuis 1964, à celle de Saint-Cosmes-en-Vairais, elle se situe à la sortie du bourg de Saint Cosmes en direction de Mamers.
[4] Gabriel, FLEURY. La ville et le district de Mamers durant la Révolution ( 1789-1804 ). Mamers : imprimerie Fleury, 1909. Tome 1 , pages 64-65, Il cite comme source de cette lettre la côte : A. N., B m, 79, p., et Ba 49.
[5] 9 mars 1789.
[6] L’impôt ne deviendra progressif qu’au tout début du XX° siècle après des débats longs et houleux tant l’opposition des possédants était forte. Quant à la répartition décidé en commun dans chaque commune on en est encore bien loin aujourd’hui.
[7] Il existe une version imprimée de ce cahier à la Bibliothèque Nationale ( côte L e 24, n° 41 ). Une version manuscrite est conservée au AD 72 sous la côte G. 89 bis.
[8] Héritage.