Le 8 mars 1789 à Saint-Mars-la-Brière : rédaction des doléances.
Le 8 mars 1789 à Saint-Mars-la-Brière : rédaction des doléances.
Le dimanche 8 mars 1789, les habitants de Saint - Mars – la - Brière se réunissaient en assemblée pour rédiger le cahier de leurs doléances. Ce cahier, assez long, présentait quelques singularités notamment de nombreux articles dont la tonalité était virulente vis-à-vis des seigneurs et privilégiés[1]. Dans l’article premier Monsieur de Saint-Mars et le seigneur de Montfort-le-Rotrou, monsieur de Murat, étaient même nommément pointés du doigt, dans l’article 10 ce dernier étant à nouveau accusé de continuer de percevoir le droit de havage sur le marché de Montfort sans en avoir prouver qu’il en détenait le droit. Le premier article dénonçait l’inégalité devant l’imposition mais surtout l’accaparement de terres par des privilégiés ce qui contribuait à faire augmenter le poids des impôts royaux sur le reste des habitants. Le second article, tout en demandant l’égalité devant l’impôt, dénonçait également la multiplication des privilèges par achats de charges ou par lettres d’anoblissement, cet article réclamait in fine : « [...] de diviser les fortunes et de les rendre plus égales [...]». L’article trois réclamait la mise en place de municipalités qui auraient en charge de répartir les impôts mais également de rendre la justice en lieu et place des justices seigneuriales dont les officiers étaient vivement critiqués car ils s’opposaient trop souvent aux curés et « [...] aux vues de paix et aux moyens de conciliation que ces derniers ont coutume d'employer pour appaiser et réunir leurs paroissiens [...] ». L’article 11, qui demandait un vicaire pour la paroisse, faisait bien apparaître la différence d’appréciation entre le clergé séculier ( le curé et les vicaires ) et le clergé régulier ( ici les moines de la Couture ) jugé comme une «[...]classe d'hommes absolument inutile à l'état [...] ». L’article 14 revenait sur le cas de la perception du droit de havage à Montfort pour dénoncer le fait que « […] si touttes les paroisses voisines ne réclament pas contre ce droit c'est qu'elles ont été intimidées par la présence du sieur Baussan procureur fiscal de cette juridiction [ celle de Montfort ] et homme tout entier à la maison de Montfort qui a voulu présider touttes les paroisses de son ressort».
« Doléances des habitants de la paroisse de Saint Mars la Brière, élection du Mans.
Nous habitants de la paroisse de Saint Mars la Brière pénétrés de la plus vive reconnaissance envers Sa Majesté de ce qu'elle a bien voulu jetter un regard favorable sur la classe de son peuple qui a le plus besoin de sa protection, adressons continuellement au ciel nos vœux pour la conservation de ses jours et de sa santé, pour la reine, la famille royale, pour la prospérité de l'État, pour la gloire de la couronne, pour les Ministres et principalement pour Monseigneur l'intendant général des Finances et prennons la liberté de représenter que...
Art. 1er. — La paroisse est composée de cent soixante feus, qu'elle est aujourd'huy très surchargée de taille par la multiplication et l’extention des exemptions. Monsieur de Saint Mars a acquis depuis certains tems plusieurs bordages au nombre de sept, trois fermes et plusieurs terres détachées dont il a fait 400 arpents de taillis environ, 150 arpents d'étangs, 100 arpents de prés et le reste qu'il fait valoir. Non content de jouir de ses privilèges, il en abuse encore en affermant sous seing privé 27 hommées des meilleures prés de la paroisse aux conditions que le locataire ne payera aucun impôt pour raison de ces prés.
Monsieur de Murât a aussi acquis quantité d'objets, il les a mis en taillis, en sapins, il en a réservé les près qu'il fait valoir.
M. le Maître de poste établi depuis dix ans fait valoir une grande partie de ses privilèges, de manière que le tiers au moins de la paroisse s'est trouvé successivement exempt de taille et en surcharge pour les deux autres tiers qui pour cette raison auroient du avoir de la diminution et n'en ont point eu.
Art. 2. — II est de la justice la plus stricte de Sa Majesté que tous et chacun de ses sujets payent également tous les impôts en raison de leurs propriétés, facultés et faisances-valoir : c'est le seul moyen de tirer le tiers état de l'oppression sous laquelle il gémit et d'assurer au Roy le payement de la taille et des autres impositions y annexées. La multiplication de lettres de noblesse acquises ou par des charges ou à prix d'argent diminue tous les jours le nombre des taillables. Les nouvelles terres que les nobles acquèrent et qu'ils ont soin autant qu'ils le peuvent de soustraire à l'imposition de la taille mettroient bientôt le peu de taillables qui resteroit dans l’impossibilité phisique de la payer et obligeroit l’état de recourir à d'autres moyens.
On cherche et on étudie tous les moyens d'augmenter la population et cependant elle diminue dans les campagnes, parce que chaque propriétaire ne visant qu'à ses intérêts particuliers réunit tous les petits objets susceptibles de réunion pour en faire de gros et otent par là bien des logements. Les jeunes gens, ne trouvant point de place ny de moyens de subsister, sont obligés de demeurer dans le célibat et les terres sont bien moins cultivées. Au lieu que si chacun payoit également les impôts, les privilégiés n'ayant plus de raison d'intérêt pour faire valoir, ne manqueroient pas d'affermer et par là donneroient aux jeunes gens de la campagnes le moyen de se marier en leur procurant celuy de se placer et de vivre.
Le moyen encore de favoriser la population et de diminuer le nombre des malheureux seroit de diviser les fortunes et de les rendre plus égales. On y parviendrait en partie en empêchant qu'un seul homme ne prît, à titre de ferme, plusieurs gros objets pour les faire valoir.
Art. 3. — Pour le bien et la tranquillité du peuple il seroit nécessaire d'autoriser l'établissement des municipalités, de leur donner une forme solide et constente. Quel bien n'ont-elles déjà pas fait malgré les entraves qu'on leur a mis de touttes parts. il faudroit les charger de la répartition des impôts. Ce seroit le seul moyen de détruire les abus qui s'y commettent et qui s'y commettroient en bien plus grand nombre si chacun est obligé de payer également les impôts. Alors il ne seroit plus besoin que d'un collecteur et par là l'état lui épargneroit tous les voyages touttes les dépenses que les collecteurs sont obligés de faire aujourd'huy pour la confection de leurs rôles et qui pour l'ordinaire sont la cause de leur ruine.
Il est de la bonté et de la justice du Roy de diminuer les occasions et les sujets de procès et les frais de procédures. Le moyen le plus certain d'y parvenir seroit d'attribuer aux municipalités la connoissance des questions de fait dans leurs districts; tels que des dommages causés par les bestiaux, des injures, des batteries, des disputes pour des bornes, des mutualités, etc.
Personne ne peut disconvenir que la connoissance des mœurs, des caractères des litigeants ne soient de la plus grande importance pour rendre la justice avec la connoissance des faits prise sur les lieux même par les juges. Chaque membre de municipalité seroit obligé de se procurer ces connoissances, il le pourroit faire sans frais et pour luy et pour les parties et jugeroit bien plus sainement que des juges qui étant éloignés sont facilement trompés.
Les municipalités pourroient s'assembler tous les dimanches de quinze jours en quinze jours et cela sans aucun frais pour l'état, sur une simple annonce au prône de la grande messe. Il ne seroit plus besoin alors des petittes juridictions seigneuriales qui sont autant de pressoirs de la bourse de leurs vasseaux. Il seroit même indispensable de les abolir, parce que les officiers de ces juridictions sont pour l’ordinaire peu aisés ou ambitieux. Pour gagner de l'argent ils font toujours voir aux parties déjà trop susceptibles de réduction leur cause du beau côté, leur promettent toujours gain de cause, ils les engagent dans des procédures ruineuses souvent pour des riens. Ces officiers étant à la volonté et dans la dépendance servile des seigneurs sont obligés pour l'ordinaire de rendre la justice suivant le caprice de ces derniers et contre leur propre conscience de peur de déplaire. Ce sont toujours les antagonistes des curés qui s'opposent aux vues de paix et aux moyens de conciliation que ces derniers ont coutume d'employer pour appaiser et réunir leurs paroissiens.
Art. 4. — Le tarif des contrôles est trop embrouillé, il devroit être fixé d'une manière plus claire et pIus distincte il est trop onéreux ; il devroit être diminué. Il suit de son énormité et de l'arbitraire qui règne dans sa perception par les différentes interprétations que donnent aux actes les commis , que les parties contractantes à leur détriment se contentent de seing privé et souvent même de simples paroles ; que les notaires pour éviter et diminuer les coûts de contrôle donnent des tournures à leurs actes, et y employent des termes et des clauses qui sont toujours une source intarrissable de procès.
Art. 5. — Que l'impôt de la gabelle est ce qu'il y a de plus désastreux pour le peuple, parce que l'énormité du prix du sel met les pauvres dans l'impossibilité do se procurer cette denrée absolument nécessaire à la vie. Nous prions donc Sa Majesté de vouloir bien chercher un moyen de remplacer cet impôt d'une manière moins onéreuse pour l'état et pour ses sujets.
Art. 6. — L'augmentation des fonds est très intéressante pour l'état. Le droit de retrait féodal que les seigneurs exercent pour eux ou pour ceux à qui ils le cèdent et dans lequel il se commet une infinité d'injustices criantes de touttes
espèces est une source considérable de procès, il diminue la valeur des fonds et empêche leur circulation et leur mutation. Touttes ces raisons devroient le faire abolir. Les seigneurs n'auroient pas le droit de s'en plaindre puisqu'ils ne seroient privés d'aucune propriété.
Art. 7. — Les francs-fiefs sont encore une charge considérable pour le peuple, la source d'une multitude de procès et la ruine de plusieurs. Si tous les biens nobles étoient acensivés, ils en recevroient une valeur intrinsèque bien plus considérable.
La création des huissiers priseurs est devenue un nouveau fléau pour le peuple. Souvent de pauvres mineurs loing de profiter des petits effets qui leur sont laissés par leur père et mère ou parents, s'en trouvent totalement privés par les frais immenses que ces officiers se prétendent en droit de percevoir, souvent même ils seroient obligés de leur en reporter.
Art. 9. — Ceux qui font valoir des terres dans plusieurs paroisses peuvent, en faisant leurs déclarations aux greffes de l'élection et la faisant signifier aux paroisses, porter la taille dans celle qu'ils veulent. A ce moyen ils composent avec ces paroisses et celle qui leur fait le meilleur party est celle où ils payent la taille. On voit clairement que c'est un abus considérable, que pour le bien
public cette loy doit être abolie et que touttes les terres quelconques devraient payer dans la paroisse où elles sont situées. Cette réclamation est commune à touttes les paroisses.
Art. 10. — Sa Majesté, sentant le tord que faisoit à la liberté du commerce toutte espèce de droit de havage, hallage, péage et autres, les avoit détruit dès le commencement de son règne dans touttes ses propriétés et celles des seigneurs qui les avoient usurpés. Elle les obligea comme on le scait à faire preuve de titres de ce droit et à les présenter dans l'espace de six mois du jour de la publication de sa déclaration à la chambre des comptes pour en prouver la légitimité et les faire renouveller.
Cependant plusieurs seigneurs continuent de percevoir ce droit sans avoir obéi aux ordres de Sa Majesté ou au moins sans en avoir donné connaissance au peuple. Ce qui ce semble auroit dû être de ce nombre est Monsieur de Murat seigneur de Montfort le Rotrou ; il perçoit dans son marché un droit de havage sur toutte espèce de denrée quelconque. Ce droit paroit plutôt une concussion qu'un droit légitime parce qu'il ne paroit aucun tarif et que dailleurs la perception s'en fait arbitrairement. On prend autant souvent pour un boisseau que pour six et les pauvres paysans craignant l'animadversion de Monsieur et de Madame de Montfort et les procès dont ils sont menacés à chaque instant n'osent rien dire et aiment mieux payer et souffrir. Nous demandons que Sa Majesté fasse examiner ce droit, que s'il n'est pas légitime qu'il soit détruit, et le seigneur pour l'avoir induement perçu condamné. Que s'il est juste, il soit fait un tarif fixe, lu, public, et affiché dans touttes les paroisses voisines trois lieues à la ronde, aux dépends du seigneur pour ne l'avoir pas fait et qu'il soit levé sur les tailles au marc la livre dans touttes ces paroisses une somme pour rembourser ce droit, le détruire et rendre la liberté au commerce dans ce marché et dans les foires qui s'y tiennent.
Art. 11. — La paroisse contient 300 habitants environ. Elle s'étend du nord au midy sur une étendue de deux, lieues et demie. Elle est coupée dans cet espace par la rivière d'huine. Du levant au couchant elle a une grande lieue. Généralement le sol en est très stérile et conséquemment les habitants très pauvres. Ils ont un besoin pressant d'un vicaire qu'ils ne peuvent rétribuer accause de leur pauvreté et que leur curé ne peut rétribuer pas plus qu'eux, il est réduit à la valeur tout au plus de la portion congrue par le partage qu'il est obligé de faire des dixmes de la paroisse avec les moines de la Couture. Cette classe d'hommes absolument inutile à l'état qui possède un domaine considérable dans cette paroisse et dixme, qui n'y fait bien quelconque, devroit en raison de ce bénéfice être obligée de fournir un vicaire ou d'abandonner ses dixmes au curé qui seroit obligé d'en avoir un.
Art. 12. — La dixme est une source de procès entre les paroissiens et les décimateurs, elle gène l'agriculture, elle est la cause d'une perle considérable de grains, elle géne les consciences. Nous demandons que ce droit soit aboly, qu'il soit converti dans une somme d'argent à peu près équivalente aux dixmes. Toutes les productions de la terre en payeroient leur part en supposant que tous payent également la taille et qu'elle fut répartie au marc la livre de cet impôt, ce qui paroitroit bien plus juste et plus raisonnable.
Art. 13. — La paroisse est encore affligée d'un fléau considérable et auquel ou ne fait guère attention: les corneilles, les lapins et les pigeons. Les lapins rongent pendant tout l'hyver et le printems le bleds des voisins jusqu'à son entière destruction. Les pigeons pendant la semaille et pendant les environs de la moisson et pendant la moisson causent un dégât terrible en pure perte pour l'état, pour le colon et pour leur propriétaire. Pour l'état et le colon, par la quantité de grains qu'ils ravagent lorsque le bled est semé, qu'il commence à lever et à mûrir; pour leur propriétaire parce que certainement ils leur coûtent plus pendant l'hyver qu'ils ne leur profitent pendant l'été. Nous demandons que les seigneurs soient obligés de furter deux fois l'année les lapins, afin d'en diminuer le nombre et le réduire de manière qu'il ne fasse pas de mal. Que les pigeons soient retenus et renfermes pendant les mois d'Octobre, Novembre, Avril, May, Juin, Juillet et Août et à faute de remplir cette loy qu'il soit permis à tout colon de les tuer, et en outre qu'il soit permis à toutte personne de porter le fusil pour tuer les corneilles dont le nombre est épouvantable.
Art. 14. — Par rapport au havage de Montfort, si touttes les paroisses voisines ne réclament pas contre ce droit c'est qu'elles ont été intimidées par la présence du sieur Baussan procureur fiscal de cette juridiction et homme tout entier à la maison de Montfort qui a voulu présider touttes les paroisses de son ressort.
Art. 15.— Nous demandons que les états généraux soient rappelés à époques fixes et assez rapprochées pour pouvoir remédier à tous les abus qui resteront encore à détruire, parce qu'il n'est pas possible qu'une seule assemblée remplisse une si grande tache, et tous ceux qui pourroient se glisser dans la suite.
Art. 16. — Un des plus pesants fardeaux du peuple de la campagne est la sujétion aux moulins des seigneurs. Nous demandons que l'article de la coutume du Maine, qui oblige les mouteaux soit rayé et qu'il soit permis d'aller au moulin ou chacun voudra.
Art. 17. — La manière dont les commis aux aides perçoivent le droit sur les vins est très onéreuse. Ils font toujours tord aux obergistes et leur cherchent mille chicanes, nous demandons qu'il soit permis aux hôtes de payer à la busse[2] lorsqu'ils la font entrer.
Art. 18. — Les seigneurs, leurs gardes et autres domestiques, sans respect pour les productions de la terre, pilent les bleds et les dégradent lorsqu'ils vont à la chasse ; nous demandons qu il leur soit deffendu de passer dans les bleds et que ceux qui y passeroient soient tenus à payer les dommages et les maîtres soient solidaires avec leurs domestiques.
Art. 19. — Enfin nous demandons que Sa Majesté permette que la province du Maine soit érigée en état.
Fait et arrêté au lieu ordinaire des assemblées aujourd'huy huit de Mars mil sept cent quatre vingt neuf par nous habitants de la paroisse de Saint Mars la Brière soussignés et autres dénomés aux procès-verbaux de nomination de députés.
Signé : J. Vatinet, J. Girard, Louis Hertereau, René Davase, Charles Hulin, Jean Langlois, Simon Gason, Pierre Ulot, J. Veron, Jacques Perrigné, M. Leguay , Jacques Plot, J. Delatre , René Gazon, L.Fouquésindy, J. Bouvié, François Le May, L. Le Marié et Richard. »
[1] Au rang desquels figurait le maître des postes dans l’article premier.
[2] Ancienne mesure de capacité de liquide équivalent à 268 litres.