Les femmes omniprésentes dans la symbolique révolutionnaire !
Ce petit article tente de répondre à une question que je me pose depuis longtemps : pourquoi alors que les femmes furent exclues des droits politiques sont-elles omniprésentes dans les allégories révolutionnaires ? Je ne prétends avoir résolu ce problème mais la lecture récente d’un ouvrage déjà ancien de Lynn Hunt m’a apporté des éclairages intéressants ( il s’agit de son livre Le roman familial de la Révolution française traduit en français en 1995 ).
Si les femmes furent exclus des droits politiques durant la révolution française, elles ne le furent pas, loin de là, dans l’iconographie de la république. Celle-ci fut le plus souvent représentée sous les traits d’une jeune femme quelquefois accompagnée d’enfants mais le plus souvent il s’agissait d’une jeune fille virginale et certaines représentations exhibaient une femme nettement militarisée ( ce qui d’ailleurs se prolongera au siècle suivant avec l’image de Marianne cuirassée )[1]. En plus d’incarner la République, elles incarnaient également la Liberté, la Raison, la Sagesse, la Victoire voire la Force. Certes toutes ces notions sont de genre féminin en français mais lorsqu’on se penche sur les calendriers révolutionnaires ou républicains on s’aperçoit que chacun des 12 mois, indubitablement de genre masculin, furent également symbolisés par une femme ayant les mêmes caractéristiques.
En fait les images allégoriques semblaient appeler un personnage féminin presque systématiquement. Les raisons de cette prédominance étaient multiples, il y avait une tradition iconographique qui voulait que les qualités abstraites fussent mieux en adéquation avec une représentation féminine alors que dans la pratique le discours dominant tendait à les écarter des abstractions et des affaires.
Il y avait également des raisons politiques, la république s’étant érigée sur la dépouille de la monarchie, il y avait nécessité d’écarter l’image du roi-père prédominante comme symbole de la monarchie, celle-ci s’incarnant dans le double corps du roi : corps physique mortel mais également corps mystique immortel[2]. De plus la « loi salique » excluant de la succession au trône de France les femmes, celles-ci ne pouvaient exercer le pouvoir et donc personnifier la monarchie sauf dans les cas de régence. En représentant la République sous les traits d’une femme on évacuait les risques liés au fait de la symboliser par un homme : …lequel? La République insistant sur la fraternité et l’égalité entre citoyens ne pouvait que difficilement être matérialisée par l’un d’entre eux. Ce qui peut expliquer que la république française n’ a pas de père fondateur équivalent du Washington états-unien. Durant la période seul Louis XVI figura sur la monnaie émise par le nouveau régime, une fois son effigie gommée, pour des raisons politiques faciles à comprendre, aucun personnage masculin ne parut plus sur les assignats. Ce fut sans doute un des autres avantages de l’allégorie féminine, elle ne pouvait être associée à aucun dirigeant politique à une époques où ils avaient tendance à disparaître assez rapidement.
Evidemment, l’omniprésence des allégories féminines dans l’iconographie ne correspondait pas à leur influence dans le domaine politique, bien qu’elles furent loin d’être absentes de combats politiques[3]. Situation pour le moins paradoxale mais finalement pas si rare : les femmes, qui n’étaient pas citoyennes et qui étaient même combattues politiquement si elles arboraient le bonnet phrygien dans la vie quotidienne, représentaient l’idéal de la république radicale peut-être à cause, justement, de cet écart entre idéal et réalité. Les femmes n’étant pas perçues comme des acteurs politiques par l’immense majorité des militants et dirigeants, elles pouvaient sans danger symboliser les idéaux politiques portés par ces hommes.
Cependant, ces représentations, même si elles étaient faites de plâtre et de bois n’en demeuraient pas moins femmes et pouvaient donc représenter une remise en cause éventuelle. L’emploi de femme réelles, en chair et en os, pour incarner les vertus républicaines au cours des diverses fêtes fut critiqué de façon régulière . D’ailleurs les députés choisirent de substituer, sur les sceaux de l’Etat, à l’image féminine de la République un Hercule nettement plus viril pour éliminer toutes les ambiguïtés des allégories féminines ( même s’il est encore accompagnée d’allégories féminines ). Cette transformation des images républicaine s’opéra entre octobre 1793 et la fête de l’Être suprême en juin 1794 et se poursuivit dans la période thermidorienne. Soit entre l’interdiction des sociétés de femmes ( au premier rang desquelles la sociétés des citoyennes républicaines révolutionnaires dont les principales animatrices furent Pauline Léon et Claire Lacombe. Ces deux dirigeantes remuantes furent arrêtées en avril 1794 au moment de la lutte contre la « faction » des exagérés). Au printemps 1795 après les dernières insurrections de la sans culotterie parisiennes, auxquelles les femmes participèrent massivement, elles furent interdites d’accéder aux galeries de l’Assemblée, de participer à toute réunion politique et même à tout rassemblement de plus de cinq personnes dans la rue.
[1] Voir Maurice, AGUHLON. Marianne au combat : L’Imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880. Paris, 1979.
[2] Voir Ernst, KANTOROWICZ. Les deux corps du roi. Paris : Gallimard, 1989.
[3] Voir Dominique, GODINEAU. Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française. Aix-en-Provence : Alinea, 1988.