Le mouvement populaire dans le district (4) : réactions des autorités.
1. L’attitude des autorités locales :
La répression ne fut pas « sauvage ». Jamais les révoltés ne furent chargés par la troupe. Une dizaine de personnes furent arrêtées tout de même, incarcérées après une courte enquête : 3 hommes et 7 femmes. Le procureur fiscal de Nogent préférait tenir de vagues promesses qu’il s’efforçait de ne pas tenir, comptant sur une démobilisation rapide. Il se trompait lourdement sur l’état de mobilisation des masses populaires nogentaises et sur la maturité de leur mouvement. L’affaire Debray les lui révéla.
On s’efforça rapidement d’alimenter le marché de Nogent. Le 8 mai 1789, on perquisitionna chez les particuliers pour dresser l’inventaire des grains. On fit obligation aux possesseurs de grains d’approvisionner le marché de Nogent – le – Rotrou[1].
Le 3 août 1789, une ordonnance était prise défendant aux boulangers de Nogent de fournir les « gens des campagnes », s’ils n’étaient munis d’un billet du comité de bienfaisance de Nogent, sous peine de 10# d’amende et de l’interdiction d’exercer leur métier en cas de récidive[2].
A la même époque le pain était taxé à 2 sols 4 deniers la livre-poids à Thiron.
Pour assurer le maintien de l’ordre sur le marché de Nogent, plusieurs ordonnances furent prises durant l’automne 1789. Le 15 septembre, il fut interdit de sonner le tocsin, les portes de l’église devaient être fermées en dehors des heures d’office. Le port d’armes sur le marché fut interdit le 18 novembre[3].
L’attitude des autorités locales fut d’une part de mener une répression minimum mais nécessaire, il était tout à fait inconcevable pour leurs membres que de tels « excès » ne fussent pas sanctionnés ; d’autre part de mettre en application la politique traditionnelle de réquisitions et de taxes. En effet les règlements mis en place pour encadrer le commerce des grains étaient fondés sur le principe que le grain était essentiellement différent des autres marchandises et devait donc être traité différemment ; comme denrée de première nécessité le grain ne pouvait pas être comparé aux autres subsistances. En ce qui concernait ce commerce, le moindre accident, dans la fourniture des marchés, avait un effet sur le public, menaçant la communauté dans sa partie la plus vulnérable. On estimait que compte tenu du caractère spécial du commerce des grains, tous ceux qui l’exerçaient avaient de graves responsabilité vis-à-vis de la société et plus spécialement en période de disette.« En période de « cherté », il importe d'assurer sévèrement l'exécution des règlements qui interdisent à tous de vendre des grains dans leurs greniers et enjoignent d'approvisionner les marchés,[ écrivait Levignen intendant d'Alençon en août 1761] mais, en période d'abondance et de tranquilité, il n'y a aucun inconvénient à modérer la rigueur des prohibitions. »[4] Les autorités insistaient constamment sur la notion de « juste prix » qu’elles se sentaient tenues d’assurer. Pour être justes les prix ne devaient ni révolter les acheteurs, ni léser les vendeurs. Ils correspondaient à un idéal de modération qui pouvait varier en fonction des circonstances. Un prix était jugé juste quand il permettait au vendeur de faire un profit modéré et que la masse du peuple ne souffrait pas exagérément, en tout cas pas plus que d’habitude. En temps « normal » ce juste prix était tout simplement celui du marché mais en temps de pénurie les normes de modération se trouvaient totalement dépassées, les prix n’étaient plus jugés justes et les autorités se sentaient dans le devoir d’intervenir. Cette politique si elle fut vivement combattue par les physiocrates, restait en application jusqu’à la veille de la Révolution ; surtout après les effets dévastateurs des tentatives de mise en place une politique de liberté totale du commerce et de la circulation des grains, tant en 1764 sous Louis XV[5], qu’en 1775 sous Louis XVI[6].
2. La liberté du commerce des grains et la loi martiale.
Bientôt cette politique fut contrariée par les décrets de l’assemblée nationale.
Le 29 août 1789, elle proclamait la liberté absolue du commerce des grains. L’application de ce décret fut ajournée jusqu’à la fin du mois de septembre en raison des nombreuses révoltes frumentaires qui éclatèrent un peu partout au cours du mois d’août. Les municipalités pouvaient, toutefois, continuer d’intervenir sur le prix des denrées de première nécessité. Elles devaient, pour ce faire, acheter elles – mêmes des stocks de grains au prix du marché et les revendre à perte, exactement comme le faisait Nogent. Par ce décret ce n’était plus les accapareurs et les riches qui faisaient les frais de la taxation mais les « municipalités », donc l’ensemble de la population contribuable.
Quelques temps plus tard, l’assemblée nationale votait, le 21 octobre 1789, la loi martiale. Cette loi était le corollaire du décret du 29 août, seuls Robespierre et, dans la presse, Marat, protestèrent contre cette loi répressive.
La liberté du commerce des grains donnait la liberté à un petit nombre de s’enrichir et de spéculer sur la misère du plus grand nombre ; la loi martiale était une nécessité pour protéger cette « liberté » face aux justes revendications des masses populaires.
A partir du 21 octobre, la loi martiale ordonnait aux officiers municipaux de requérir la garde nationale, la gendarmerie ou même les troupes régulières en cas d’entrave à la « liberté » du commerce, ou de la circulation, des grains. Les séditieux résistant aux sommations encouraient une peine de trois ans de prison s’ils n’étaient pas armés et la peine de mort dans le cas contraire.
Nogent opta pour la taxe des grains aux frais de la municipalité, un comité de bienfaisance fut institué. Il achetait les grains et fournissait les boulangers. Cette mesure ramena le calme à Nogent, il n’y eut pus de révoltes frumentaire pendant plus d’un an.
[1] A. D. Eure – et – Loir, B. 2830.
[2] Idem. Nos sources ne nous apprennent rien de plus sur ce comité de bienfaisance. Il était l’émanation de la « municipalité ». Il était chargé de procéder à l’achat de grains au prix du marché avec les fonds de la ville et de les revendre à un prix taxé aux habitants de Nogent.
[3] A. D. Eure – et – Loir, B. 2827.
[4] Levignen à Bertin, août 1761, C 89 AD Orne.
[5] Sur le sujet voir l’ouvrage fondamental de Steven L. Kaplan. Le pain, le peuple et le roi. La bataille du libéralisme sous Louis XV. Librairie académique Perrin, Paris : 1986, pour la traduction française. 461 pages.
[6] En ce qui concerne cette tentative de 1775 qui déclencha ce que l’historiographie nomme « la guerre des farines » se reporter à l’ouvrage collectif d’ E. P. THOMPSON, V. BERTRAND, C. A. BOUTON, F. GAUTHIER, D. HUNT, G.R. IKNI. La guerre du blé au XVIIIe siècle. Paris : Les éditions de la passion, 1988.
Pour une revue générale des émotions populaires à l’époque moderne lire l’ouvrage de Jean NICOLAS. La rébellion française, mouvements populaires et conscience sociale 1661-1789. Paris : Le seuil, 2002.
Le mouvement populaire dans le district (4) : réactions des autorités.
1. L’attitude des autorités locales :
La répression ne fut pas « sauvage ». Jamais les révoltés ne furent chargés par la troupe. Une dizaine de personnes furent arrêtées tout de même, incarcérées après une courte enquête : 3 hommes et 7 femmes. Le procureur fiscal de Nogent préférait tenir de vagues promesses qu’il s’efforçait de ne pas tenir, comptant sur une démobilisation rapide. Il se trompait lourdement sur l’état de mobilisation des masses populaires nogentaises et sur la maturité de leur mouvement. L’affaire Debray les lui révéla.
On s’efforça rapidement d’alimenter le marché de Nogent. Le 8 mai 1789, on perquisitionna chez les particuliers pour dresser l’inventaire des grains. On fit obligation aux possesseurs de grains d’approvisionner le marché de Nogent – le – Rotrou[1].
Le 3 août 1789, une ordonnance était prise défendant aux boulangers de Nogent de fournir les « gens des campagnes », s’ils n’étaient munis d’un billet du comité de bienfaisance de Nogent, sous peine de 10# d’amende et de l’interdiction d’exercer leur métier en cas de récidive[2].
A la même époque le pain était taxé à 2 sols 4 deniers la livre-poids à Thiron.
Pour assurer le maintien de l’ordre sur le marché de Nogent, plusieurs ordonnances furent prises durant l’automne 1789. Le 15 septembre, il fut interdit de sonner le tocsin, les portes de l’église devaient être fermées en dehors des heures d’office. Le port d’armes sur le marché fut interdit le 18 novembre[3].
L’attitude des autorités locales fut d’une part de mener une répression minimum mais nécessaire, il était tout à fait inconcevable pour leurs membres que de tels « excès » ne fussent pas sanctionnés ; d’autre part de mettre en application la politique traditionnelle de réquisitions et de taxes. En effet les règlements mis en place pour encadrer le commerce des grains étaient fondés sur le principe que le grain était essentiellement différent des autres marchandises et devait donc être traité différemment ; comme denrée de première nécessité le grain ne pouvait pas être comparé aux autres subsistances. En ce qui concernait ce commerce, le moindre accident, dans la fourniture des marchés, avait un effet sur le public, menaçant la communauté dans sa partie la plus vulnérable. On estimait que compte tenu du caractère spécial du commerce des grains, tous ceux qui l’exerçaient avaient de graves responsabilité vis-à-vis de la société et plus spécialement en période de disette.« En période de « cherté », il importe d'assurer sévèrement l'exécution des règlements qui interdisent à tous de vendre des grains dans leurs greniers et enjoignent d'approvisionner les marchés,[ écrivait Levignen intendant d'Alençon en août 1761] mais, en période d'abondance et de tranquilité, il n'y a aucun inconvénient à modérer la rigueur des prohibitions. »[4] Les autorités insistaient constamment sur la notion de « juste prix » qu’elles se sentaient tenues d’assurer. Pour être justes les prix ne devaient ni révolter les acheteurs, ni léser les vendeurs. Ils correspondaient à un idéal de modération qui pouvait varier en fonction des circonstances. Un prix était jugé juste quand il permettait au vendeur de faire un profit modéré et que la masse du peuple ne souffrait pas exagérément, en tout cas pas plus que d’habitude. En temps « normal » ce juste prix était tout simplement celui du marché mais en temps de pénurie les normes de modération se trouvaient totalement dépassées, les prix n’étaient plus jugés justes et les autorités se sentaient dans le devoir d’intervenir. Cette politique si elle fut vivement combattue par les physiocrates, restait en application jusqu’à la veille de la Révolution ; surtout après les effets dévastateurs des tentatives de mise en place une politique de liberté totale du commerce et de la circulation des grains, tant en 1764 sous Louis XV[5], qu’en 1775 sous Louis XVI[6].
2. La liberté du commerce des grains et la loi martiale.
Bientôt cette politique fut contrariée par les décrets de l’assemblée nationale.
Le 29 août 1789, elle proclamait la liberté absolue du commerce des grains. L’application de ce décret fut ajournée jusqu’à la fin du mois de septembre en raison des nombreuses révoltes frumentaires qui éclatèrent un peu partout au cours du mois d’août. Les municipalités pouvaient, toutefois, continuer d’intervenir sur le prix des denrées de première nécessité. Elles devaient, pour ce faire, acheter elles – mêmes des stocks de grains au prix du marché et les revendre à perte, exactement comme le faisait Nogent. Par ce décret ce n’était plus les accapareurs et les riches qui faisaient les frais de la taxation mais les « municipalités », donc l’ensemble de la population contribuable.
Quelques temps plus tard, l’assemblée nationale votait, le 21 octobre 1789, la loi martiale. Cette loi était le corollaire du décret du 29 août, seuls Robespierre et, dans la presse, Marat, protestèrent contre cette loi répressive.
La liberté du commerce des grains donnait la liberté à un petit nombre de s’enrichir et de spéculer sur la misère du plus grand nombre ; la loi martiale était une nécessité pour protéger cette « liberté » face aux justes revendications des masses populaires.
A partir du 21 octobre, la loi martiale ordonnait aux officiers municipaux de requérir la garde nationale, la gendarmerie ou même les troupes régulières en cas d’entrave à la « liberté » du commerce, ou de la circulation, des grains. Les séditieux résistant aux sommations encouraient une peine de trois ans de prison s’ils n’étaient pas armés et la peine de mort dans le cas contraire.
Nogent opta pour la taxe des grains aux frais de la municipalité, un comité de bienfaisance fut institué. Il achetait les grains et fournissait les boulangers. Cette mesure ramena le calme à Nogent, il n’y eut pus de révoltes frumentaire pendant plus d’un an.
[1] A. D. Eure – et – Loir, B. 2830.
[2] Idem. Nos sources ne nous apprennent rien de plus sur ce comité de bienfaisance. Il était l’émanation de la « municipalité ». Il était chargé de procéder à l’achat de grains au prix du marché avec les fonds de la ville et de les revendre à un prix taxé aux habitants de Nogent.
[3] A. D. Eure – et – Loir, B. 2827.
[4] Levignen à Bertin, août 1761, C 89 AD Orne.
[5] Sur le sujet voir l’ouvrage fondamental de Steven L. Kaplan. Le pain, le peuple et le roi. La bataille du libéralisme sous Louis XV. Librairie académique Perrin, Paris : 1986, pour la traduction française. 461 pages.
[6] En ce qui concerne cette tentative de 1775 qui déclencha ce que l’historiographie nomme « la guerre des farines » se reporter à l’ouvrage collectif d’ E. P. THOMPSON, V. BERTRAND, C. A. BOUTON, F. GAUTHIER, D. HUNT, G.R. IKNI. La guerre du blé au XVIIIe siècle. Paris : Les éditions de la passion, 1988.
Pour une revue générale des émotions populaires à l’époque moderne lire l’ouvrage de Jean NICOLAS. La rébellion française, mouvements populaires et conscience sociale 1661-1789. Paris : Le seuil, 2002.