L’indigence dans le district de Nogent-le-Rotrou durant la Révolution Française.
1. Un souci constant...
Un problème permanent se posait dès les premières années de la Révolution française aux nouvelles autorités constituées, celui de l’indigence.
Le district de Nogent connaissait une proportion de pauvres sensiblement plus fort que les autres districts du département d’Eure – et – Loir, à cela s’ajoutait un chômage endémique pour tous les compagnons et artisans occupés au travail des étamines.
L’immense majorité des habitants des villes et des campagnes était dans une situation précaire et pouvait basculer dans l’indigence à la moindre crise agraire, or nous connaissons la situation agraire de la France en 1788-1789. La récolte avait été médiocre en 1788, suite à un hiver particulièrement rigoureux, celle de 1789 ne fut guère meilleure. Les compagnons étaminiers accusaient le coup, eux qui consacraient déjà, en temps normal, la moitié de leur revenu quotidien à l’achat du pain, la flambée des prix des subsistances aggravait considérablement leur situation.
En 1789, le procès-verbal des doléances de Nogent – le – Rotrou estimait à 2 000 le nombre d’indigents dans la commune, proportion énorme : la population de Nogent étant évaluée à 6 850 personnes par un dénombrement de 1791[1]. Ce chiffre était-il gonflé par rapport à la réalité ?
Il ne semble pas, si nous comparons avec les chiffres fournis par une enquête départementale datant aussi de 1791[2] que nous transcrivons dans le tableau ci-dessous :
Il est fort improbable que cette population indigente fut répartie de façon uniforme dans le district, un document datant du 3 mai 1791 nous permet de discerner la répartition géographique de cette population pauvre. En effet ce jour – là, le directoire du district recevait du département, selon l’arrêté départemental du 19 avril 1791[3], une somme de 7 054# destinée au soulagement des pauvres indigents du district. Selon ce document, le nombre d’indigents du district s’élevait à 5 213 personnes, chiffre qui correspondait bien aux 5 300 personnes indigentes dénombrées par l’enquête départementale réalisée la même année.
La ville de Nogent – le – Rotrou comptait à elle seule plus du quart du nombre d’indigents du district, avec 1 396 indigents secourus. Le chiffre fourni par les doléances de 1789 semblait donc surévalué même en tenant compte d’une population indigente « flottante », d’errants non-secourus, de ces vagabonds « sans feu, ni lieu », population qu’aucun document ne permet d’appréhender. D’ailleurs ces vagabonds existaient-ils à Nogent ? A une question du département concernant le vagabondage le conseil général du district répondait en sa séance du 3 mai 1791 : « Il n’y a pas de vaguabondage dans le district. Mais il y a ; surtout à Nogent ; beaucoup d’individus réduis à la mendicité. »[4]
Nogent était fortement touchée par l’indigence, le pourcentage de la population secourue en 1791 y était très élevée : 20,38%. Mais la ville de Nogent n’était pas proportionnellement la plus touchée, Authon était dans une situation encore plus critique, près du quart de la population y était considérée comme indigente ( 24,3% ), suivi par le canton de Nogent extra – muros avec 22,32% de la population secourue. Ce qui semble bien indiquer que c’était les zones fortement occupées par l’industrie étaminière qui étaient les plus touchées par l’indigence dans les premières années de la Révolution ( voir cartes 1 et 2 ci-dessous ). Le canton de Champrond – en – gâtine, le moins impliqué dans « l’industrie textile » de l’époque était aussi le moins touché par l’indigence ( moins de 10% de la population ). Par contre les deux cantons de Frazé et de Thiron viennaient compliqués l’analyse : avec des taux d’artisans du textile assez proches, les proportions d’indigents y étaient extrêmement différents et même plus forte là où ce taux était le plus faible.
L’analyse plus détaillée de la répartition des indigents au niveau des communes ne nous permet pas non plus de conclusion définitive, un exemple : dans le canton de Thiron – Gardais, un des cantons les moins touchés, les communes de Combres ( 110 indigents ) et de Frétigny ( 167 indigents ) concentraient à elles seules 66% des indigents du canton, or elles ne présentaient aucun caractère commun quant à leurs compositions sociales, si elles comptaient une proportion d’artisan proche ( 16% à Frétigny, 19,48% à Combres ) Combres était une commune où dominaient les petits exploitants agricole ( 53,09% de bordagers ) alors qu’à Frétigny les journaliers constituaient la grosse majorité de la population ( 48,86% ) suivis des bordagers ( 29,56%).
Carte 1 : proportions d’indigents en 1791
( ville de Nogent non prise en compte dans les claculs ).
Carte 2 : proportions d’artisans du textile en l’an IV.
( la ville de Nogent n'est pas prise en compte dans les calculs;
pour Nogent la proportion est de34,40% )
La misère et l’indigence si elles frappaient fortement les ouvriers du textile n’épargnaient pas pour autant la population rurale pauvre ou simplement modeste, journaliers mais aussi une frange de petits bordagers réduits à une condition plus que médiocre en période de crises céréalières répétées, comme en 1788-89.
2. Des solutions !
Nous avons déjà eu l’occasion de signaler l’étroite corrélation entre les questions des subsistances et celles du chômage et de l’indigence. Ce n’est pas un hasard si ce fut à Nogent qu’éclatèrent le plus de révoltes frumentaires en 1789 et 1790, c’est que Nogent était un lieu de concentration d’une importante population ouvrière et artisanale réduite à un chômage massif. En 1792, Nogent fut à nouveau touchée par les mouvements frumentaires taxateurs et les nogentais se firent agent de propagation de celles – ci. Authon était également facilement sujette à s’insurger, ce qui expliquait l’extrême prudence de sa municipalité, sa crainte constante de l’explosion de colère, crainte justifiée il est vrai si nous regardons sa structure sociale et le niveau de l’indigence. Nous sommes en présence d’un milieu social très sensible au problème des subsistances : les étaminiers réduits au chômage et à l’indigence par le déclin de la manufacture des étamines, auxquels il faut ajouter les forestiers et verriers du Plessis – Dorin et de la Chapelle – Guillaume dans la forêt de Montmirail.
Dès le début de la Révolution, les autorités locales cherchèrent à apporter des réponses au problème de l’indigence, sentant bien que c’était un des facteurs essentiels de l’agitation sociale. Si la population nogentaise se révoltait aussi souvent c’est que le prix des grains était trop élevé mais aussi que l’état d’indigence endémique dans lequel se trouvait réduits une grande partie d’entre – elle rendait cette cherté encore plus insupportable. Nous classerons les réponses apportées par les autorités locales en deux catégories : la première constitue en fait les expédients traditionnels utilisés régulièrement pour secourir les indigents : secours proprement dits et ateliers de charités ; la seconde vise à prendre le problème à la racine en tentant de ranimer l’activité étaminière.
Les secours.
Les demandes de secours financiers étaient relativement rares, nous n’en avons comptabilisé que deux clairement formulées par les autorités de la ville de Nogent.
La première date du 20 janvier 1791 et était adressée au département : la ville de Nogent demandait une somme de 12 000# sur les fonds de charité que le gouvernement venait de distribuer aux départements, vus les « […] besoins et la misère d’une foule de malheureux de cette ville qui manquent de pain et d’ouvrage […] »[5]. Cette demande fut suivie d’une réponse favorable, tout au moins en partie ; le 28 janvier 1791 le district de Nogent recevait du département une somme de 6 207# destinée à être employée en travaux de charité.
La seconde réclamation d’aide financière de la ville de Nogent date du 23 octobre 1791, elle ne fut suivie d’aucun effet. Il s’agit d’une pétition du Conseil général de la commune de Nogent – le – Rotrou adressée à la Convention et demandant 30 000# à titre de secours[6].
Seule le petit bourg de Villevillon, canton de La Bazoche – Gouët, se permit lui aussi de réclamer des secours : « […] pour les indigents de sa commune […] » au district, le 7 pluviôse an III (26 janvier 1795 ). Le moment était bien mal choisi, la pétition fut ajournée, le district se contentant de répondre qu’il ne disposait pas des fonds destinés à cet effet, ce qui était au demeurant parfaitement vrai[7]. Il faut dire qu’à cette époque le district se trouvait dans une situation inextricable, de nombreuses communes ne cessaient de lui réclamer des secours en subsistances. Le maximum avait été supprimé officiellement depuis le 3 nivôse an III ( 23 décembre 1794 ) au niveau national, l’administration du district l’avait maintenu dans le district, mais les cultivateurs, sentant proche l’abandon définitif du système du maximum, ne fournissaient plus les marchés.
Les demandes de secours étaient donc relativement rares et finalement assez « réalistes », aucune trace de ces exagérations verbales, de ces tableaux de situation noircis à souhait qui étaient de pratique courante lorsqu’il s’agissait de demandes de secours en subsistances. Les 12 000# réclamées par Nogent, en janvier 1791, représentaient une belle somme mais finalement pas une somme faramineuse, si l’on considère le nombre d’indigents résidant à Nogent cette aide ne représentait qu’un secours de 8# 12 sols par personne. L’impression qui ressort est que les municipalités ne se faisaient guère d’illusions quant à la possibilité d’obtenir des secours.
En effet ces secours furent extrêmement rares dans un premier temps, entre janvier 1791 et pluviôse an II ( janvier-février 1794 ) nous n’en avons trouvé qu’un seul. En avril 1791, il est alloué au département d’Eure – et – Loir une somme de 50 000# destinée au soulagement des pauvres de son ressort. L’administration départementale la répartit entre les divers districts par un arrêté départemental daté du 19 avril 1791, 7 054# furent allouées au district de Nogent[8]. Le conseil général du district en fit une répartition par commune dans sa séance du 3 mai 1791, mais la somme allouée à chaque personne secourue ne s’élevait qu’approximativement à 1# 7 sols.
Durant l’hiver de l’an II ( septembre-octobre 1793 à septembre-octobre 1794 ), les secours attribués au district de Nogent afin de soulager les indigents furent plus fréquents. Les premières mesures sociales destinées à secourir les indigents furent prises par Bentabole[9], envoyé en mission par la Convention nationale afin d’épurer les autorités constituées des départements de l’Orne et de l’Eure – et – Loir. Il séjourna à Nogent du 21 au 25 pluviôse an II ( 9 février au 13 février 1794 ) avant de gagner l’Orne où nous le retrouvons le 27 pluviôse à Bellême et le 28 à Mortagne – au – Perche. Il séjourna à La Bazoche – Gouët du 21 au 22 ou 23 ventôse an II (soit les 10 et 11 ou 12 mars 1794 ), le 24 il prenait deux arrêtés à Dreux[10]. Le 24 pluviôse an II ( 12 février 1794 ), il mit à la disposition de Nogent la somme de 15 000# pour secourir les indigents de cette commune, il se reprit immédiatement et le jour même rédigea un arrêté complémentaire selon lequel sur les 15 000#, accordées précédemment à la commune de Nogent, 5 000# devaient être consacrées à secourir les indigents de toute l’étendue du district et il charge l’Agent national du district d’effectuer la distribution de cette somme[11]. Celle – ci ne se fit pas des plus rapidement puisque le 27 floréal an II ( 16 mai 1794 ), trois mois plus tard, l’Agent national du district demandait l’autorisation au district d’être déchargé de cette mission. Il n’avait alors distribué que 1 114# 5 sols, dont 1 000# destinées à la commune de La Bazoche. Le directoire du district s’occupa le jour même de la répartition des 3 885# 5 sols restant à distribuer[12].
Un mois plus tard, un autre arrêté de Bentabole, rédigé à La Bazoche, accorda 1 500# de secours aux pauvres.
Mais cet secours aux indigents n’étaient qu’un des aspects de l’action de Bentabole. Ils ne constituaient que des mesures d’urgence, provisoires en attendant que les mesures plus profondes qu’il prenait simultanément portassent leurs fruits, des mesures visant à ranimer l’industrie des étamines.
Les secours ne cessèrent pas pour autant, la reprise des activités industrielles escomptée tardant à se faire sentir. Ceci s’explique aussi parce que depuis le début de la Révolution, l’assistance était alors considérée comme un devoir d’Etat ; l’ère de la charité individuelle devait être close. L’Etat se devait d’assurer l’existence des citoyens réduits à l’indigence.
Nous trouvons encore deux envois assez considérables, tous deux entrant dans le cadre de décrets de la Convention, lebpremier datant du 13 pluviôse an II ( 1er février 1794 ) et le second du 21 pluviôse an III ( 9 février 1795 ) : chacun de ces décrets débloquait une somme de dix millions de livres à distribuer aux districts pour les secours des pauvres. Le district de Nogent reçut 12 673# 17 sols, le 2 thermidor an II ( 20 juillet 1794 ), et seulement 6 477#, le 1er germinal an III ( 21 mars 1795 ). Il s’était passé presque six mois entre le vote du décret de pluviôse an II et la réception de l’aide par le district. Combien de temps se passa encore pour que les pauvres pussent bénéficier réellement des secours qui leur avaient été alloués. Lors de la séance du directoire du district du 28 nivôse an III ( 17 janvier 1795 ) nous apprenons que plusieurs communes n’avaient toujours pas justifié de l’emploi des sommes allouées en thermidor an II ( juillet-août 1794 ). Il s’était passé presqu’un an depuis le déblocage des secours pas la Convention. Dans ces conditions quelle était l’efficacité réelle de tels secours ?
3. Les ateliers de charité.
Un second type d’aide aux indigents que je qualifierais de traditionnel constitue en l’ouverture d’ateliers de charité. L’idée n’était pas neuve en cette fin de XVIIIème siècle, il s’agissait d’employer les indigents à des travaux d’intérêt général contre un modeste salaire. Cette « solution », si tant est que ça en soit une, fut employée longtemps encore pour résorber le chômage en temps de crise. Il n’est pas étonnant de voir utilisés les « ateliers de charité » pour aider les indigents durant la révolution, d’autant que cette « solution » pouvait sembler apte à créer une sorte de sentiment national à travers la solidarité : l’Etat aide ses concitoyens en difficulté, et c’est son devoir, mais ceux – ci doivent aider l’Etat en contrepartie par des travaux d’intérêt public. Ces travaux d’intérêt général consistaient essentiellement en l’amélioration des routes. L’amélioration des voies de communication, dans l’optique libérale, favoriserait la circulation des marchandises et donc bénéficierait au développement du commerce.
L’état des routes et leur entretien revenait souvent dans les délibérations du district et des communes. En novembre 1791, un membre du conseil général du district demandait que « […] tous les chemins entre paroisses où se tient un marché soient réparés et élargis jusqu’à 20 à 25 pieds de largeur […] Que tous les arbres et haies bordant les chemins soient arrachés par les propriétaires […] qu’il ne soit plus pratiqué d’excavation sous les chemins ». En mai 1793, le département s’inquiétait également de l’état des routes : lors d’une enquête générale sur l’état des district ( tant du point de vue économique que de celui de l’esprit public ) une question portait sur l’état des chemins.
Les ateliers de charité destinés à l’amélioration des voies de communication furent subventionnés durant toutes les premières années de la Révolution et plus particulièrement en 1792 et 1793.
Le premier a demandé la création de tels atelier fut François- Louis Menou[13], avoué à Authon, dans une requête qu’il exposa le 7 janvier 1790 lors d’une séance du Conseil général du district de Nogent :
« […] La misère et les besoins de la communauté d’Authon dont quatre cents individus au moins sont réduits à la plus grande indigence et indique comme moiens de soulagement le travail des chemins de charité dans les environs d’Authon qu’il annonce être presque impraticables […] »[14].
Son appel fut entendu, un arrêté départemental en date du 24 janvier 1791 attribuait 6 207# au district de Nogent pour ouvrir des ateliers de charité, puis à nouveau 7 055# selon un arrêté départemental daté du 29 novembre 1791. En 1792 – 1793, les sommes attribuées par le département au district furent moins importantes mais plus régulièrement distribuées : un premier mandat de 3 380# arrivait au district le 2 novembre 1792, puis un second le 13 avril 1793. Enfin en juillet 1793, le département envoyait une somme de 9 810# au district de Nogent. Plus rien ne fut versé ensuite jusqu’en pluviôse de l’an II ( janvier-février 1794 ) où Bentabole débloqua 10 000# pour être employées en travaux de charité par un arrêté daté du 24 ( 12 février 1794 ). La dernière somme allouée en juillet 1793 ne fut répartie entre les cantons que le 23 pluviôse an III ( janvier-février 1795 ), répartition approuvée par un arrêté départemental du 1er germinal an III (21 mars 1795 ).
4. Réactiver l’industrie étaminière.
L’inefficacité des secours et des ateliers de charité pour combattre l’indigence n’était pas tant due aux lourdeurs et retards administratifs qu’à la nature même de ces mesures. L’indigence était liée pour une large part à la crise de l’industrie étaminière. C’était celle – ci qu’il fallait ranimer. En effet si l’industrie étaminière était déjà largement en déclin à la veille de la Révolution, cette crise ne fit que s’accentuer après 1789. La politique « religieuse » des diverses assemblées porta un coup sérieux à cette activité, notamment la fermeture des Congrégation à vœux solennels n’ayant pas de vocation enseignante ou hospitalière dès le 13 février 1790, ainsi que la suppression du vêtement ecclésiastique.
Le 23 juillet 1793, la municipalité d’Authon décrivait comme suit la situation de la fabrique d’étamines dans un mémoire présenté au département : « […] Authon est peut – être l’endroit le plus malheureux de tout le département, son commerce d’Etamine êtant le seul qui y ait, est pour ainsi dire anéanti, […] »[15].
Le 10 brumaire an II ( 31 octobre 1793 ), c’était au tour du Conseil général de Nogent de peindre dans les mêmes couleurs l’état de sa fabrique d’étamines dans une adresse au Comité de commerce. Or la période était favorable à une reprise des activités textiles. L’état de guerre avec les mobilisations de masse créait un besoin important pour équiper les recrus. Nogent disposait de métiers, il suffisait de lui fournir de la matière première et des commandes. En cette fin d’hiver de l’an II, les responsables du district l’avaient bien compris et en appui aux doléances du Conseil général de Nogent daté du 10 brumaire, ils proposaient au Comité de commerce de la Convention l’établissement de fabriques de bas de laine à Nogent, bas destinés aux armées. Cette proposition resta sans réponse.
Les mesures prises par Bentabole, les 24 et 25 pluviôse an II ( 12 et 13 février 1794), allaient dans ce sens. Le 24, il écrivait à la Commission des subsistances de la Convention et demandait des matières premières en laine pour faire travailler la manufacture de Nogent à la fabrication de doublures pour les troupes ou à toutes autres draperies nécessaires aux armées : « […] Nogent contient quatre à cinq milles indigents [… il s’agit du district et non de la seule ville…] dont la pluspart sont des ouvriers sans ouvrage que la cessation des fabriques de ce pays a mis dans cette position malheureuse : c’étoient les étamines noires de tout genre dont se servoient autrefois le clergé et la robe […],il n’est pas moins vray que parmy les habitans les moins aisés on y voit régner le républicanisme le plus pur. La Société populaire est une des plus nombr. Du département, […] »[16]. Le lendemain, il prit des mesures plus concrètes en ordonnant au receveur du district de débloquer 40 000# afin de remettre en activité la fabrique d’étamines, cette somme devait être prise sur le produit des ventes et fournitures faites à la nation. Il fit mettre à la disposition du district 6 milliers[17] d’huile d’olive grasse, 3 milliers d’huile de rabette[18]et 4 milliers de savon noir. Il mit en réquisition 12 milliers de laine que le district de Chartres devait fournir à celui de Nogent. Ces mesures ne visaient pas que la fabrique de Nogent, Authon devait recevoir un quart des matières premières mises en réquisition. Quelques jours plus tard, le directoire du district nommait une commission de quatre membres afin d’employer au mieux les sommes mises à disposition de la manufacture d’étamines de Nogent par Bentabole. Cette commission était composée de deux négociants : Bessirard de la Touche et Fortin[19], et de deux fabricants ( maîtres – artisans ) : Jallon – Ferré et Salmon[20]. Les mesures prises semblaient énergiques, furent – elle efficaces ? Les huiles et savon promis parvinrent – ils à Nogent ? On peut en douter, en effet le 7 ventôse an II ( 25 février 1794 ), une délégation de la Société populaire de Nogent vint exposer au Conseil général de la commune la pénurie d’huile dont souffrait la fabrique d’étamines et lui demandait d’y remédier afin « […] d’essayer de rendre la vie à deux ou trois mille bras que le defaut de cette matière force à une inactivité meurtrière ; […] ».
Mais la « solution miracle » qui allait remettre en activité les fabriques d’étamines ne tarda pas. Encore une fois il s’agissait d’une fabrication de guerre, ou du moins de matériel militaire. Le 27 pluviôse an II ( 15 février 1794 ), la Convention ordonnait que sous trois mois le pavillon national fût bleu, blanc, rouge. Le jour même le Comité de salut public rédigeait un arrêté signé par Jean Bon St André, Carnot, Billaud – Varenne, Prieur, St Just. Cet arrêté décrétait : « […] que la commission des Subsistances donnera les ordres nécessaires pour mettre en réquisition dans les diverses fabriques de la République les étamines blanches, bleues et rouges propres à faire les pavillons des vaisseaux, ainsi que les laines, matières de teintures et ouvriers nécessaires pour confectionner ces étamines et pour l’exécution du décret rendu aujourd’hui par la Convention nationale, qui ordonne que dans trois mois le pavillon national sera changé suivant la nouvelle forme qu’elle a établie. »[21] A peine quinze jours plus tard, le district de Nogent recevait un arrêté de la Commission des subsistances et approvisionnements de la République daté du 6 ventôse an II ( 24 février 1794 ) qui ordonnait que toutes les fabriques d’Etamines d’Eure – et – Loir, Sarthe, Marne, Mayenne, Puy - de – Dôme, fussent requisses à la fabrication des étamines à pavillons[22]. Cette fabrication prit quelques temps à se mettre en place, d’autant que les instructions étaient restées assez floues. Le 2 germinal ( 22 mars 1794 ), le Conseil général du district estimait qu’il n’y avait pas lieu de commencer cette fabrication tant que le Ministère de la Marine n’avait pas envoyé d’instructions, ni d’échantillons et que la Commission des subsistances et approvisionnements de la République n’avait pas indiqué les moyens de se procurer les matières premières et teintures indispensables. Ce manque de matière première indiquait l’état de léthargie totale dans laquelle étaient tombées les fabriques d’étamines dans le district de Nogent. Si le dénuement en teintures pouvait se comprendre, en effet à Nogent on fabriquait traditionnellement des étamines noires, il était totalement incompréhensible en ce qui concernait la laine. Dans cette même séance, le Conseil général du district invitait celui de Chartres à répondre aux réquisitions de laines qu’il serait amené à faire, si celles-ci n’étaient employées à la fabrique de bas pour les défenseurs de la patrie. C’était fournir une belle excuse au district de Chartres pour refuser ses laines à Nogent.
A Nogent et à Authon, les fabricants et négociants se concertaient afin d’organiser la production des pavillons pour la Marine ; le 8 floréal an II ( 27 avril 1794 ), ils tenaient une assemblée à Nogent et élisaient un bureau de « commerce relatif aux opérations pour la fabrication des étamines à pavillons » composé de huit fabricants et de deux négociants, le Conseil général du district leur assigna la maison Mauduison – le – jeune, émigré, comme lieu pour leurs travaux[23]. A Authon, le Conseil général de la commune nommait deux fabricants comme agents de surveillance de cette fabrication[24]. Cette organisation ne fut que provisoire, le 11 floréal an II ( 30 avril 1794 ), la Commission des subsistances et approvisionnements de la République organisa la fabrication des étamines à pavillons et nomma un négociants de Nogent, Bessirard de la Touche, comme responsable de cette fabrication dans tout le département d’Eure –et – Loir, soit essentiellement à Authon et Nogent. Il prit ses fonctions le 17 floréal ( 6 ami 1794 ) et s’installa dans une maison inoccupée de Nogent appartenant à Pinceloup, ci – devant de Maurissure, elle servit de magasin national pour les étamines fabriquées à Nogent. Une de ses premières décisions fut d’établir un magasin national identique à Authon, il choisit le presbytère déjà occupé partiellement par un atelier de salpêtre. A la mi prairial ( début juin 1794 ) le bureau de commerce établit à Nogent le 8 floréal, fut définitivement réorganisé par le Conseil général du district[25]. Il était composé de neuf membres, sept pour Nogent et deux pour Authon ; sa composition sociale était profondément modifiée par rapport au premier, si les fabricants en constituaient toujours la majorité ( cinq fabricants sur les neuf membres ), il n’y avait plus qu’un négociant et surtout les compagnons et ouvriers y faisaient leur entrée ( un étaminier non qualifié de fabricant, c’était donc un compagnon, et deux peigneurs ). Nul doute qu’il s’agissait d’une décision politique de la part du district alors dominé par des « sans – culottes » membres de la Société Patriotique de Nogent et étroitement liés au conventionnel Chasles, ancien maire de Nogent. Il s’agissait de nommer un bureau efficace et déterminé pour mener à bien la fabrication des étamines à pavillons, composé de membres au patriotisme dénué de toute zone d’ombre, dont on savait qu’ils ne rechigneraient pas à la mise en place des réquisitions nécessaires au démarrage de cette fabrication. Mais finalement, ce bureau n’avait que des pouvoirs limités et son rôle principal était de seconder Bessirard de la Touche dans ses travaux. L’arrêté du Conseil général du district était clair sur ce point, il y était spécifié que ce bureau « […devait…] se concerter avec le citoyen Bessirard de la Touche ». Nul doute que ce dernier ne jouât un rôle important dans le choix des membres du bureau de commerce même s’il n’en est fait nulle part mention. Par contre les municipalités et Sociétés populaires de Nogent et d’Authon intervinrent directement dans le choix effectué, elles proposèrent, de concert, au district une liste de candidats susceptibles de remplir ces fonctions. Le district ne fit que confirmer cette sélection.
Pour que la fabrication commençât, il ne manquait plus que les « crédits » promis par la Commission de commerce et approvisionnement de la République ( 100 000# à prendre sur les caisses de la trésorerie nationale ). Le district avança 14 000# à Bessirard de la Touche lors de sa séance du 14 prairial an II ( 2 juin 1794 ). Les 100 000# promises ne furent débloquées qu’au début de messidor ( fin juin 1794 ), entre-temps, le 24 prairial an II ( 12 juin 1794 ), le Bureau de commerce nogentais avait envoyé un commissaire auprès de la Commission de commerce et d’approvisionnement de la République pour solliciter l’envoi de 400 000# afin de financer la fabrique. Enfin, le 5 thermidor an II ( 23 juillet 1794 ), une lettre de la trésorerie nationale autorisait le payeur général du département à verser en la caisse du district « 460 000# pour la fabrication des Etamines à Pavillon »[26].
A partir de la fin prairial an II ( mi-juin 1794 ), le Bureau de commerce nogentais et Bessirard de la Touche commencèrent à travailler, les matières premières se faisant rares ils demandaient au district, le 27 ( 15 juin 1794 ), de mettre en réquisition toutes les toisons tondues ou à tondre. Puis le 15 messidor ( 3 juillet 1794 ), c’était la « Gaude » (matière nécessaire à la teinture )[27] qui était mise en réquisition dans tout le district. Enfin, la Commission de commerce et d’approvisionnement de la République, dans un arrêté du 5 prairial ( 24 mai 1794 ), mit en réquisition 10 milliers d’huile de navette et la même quantité d’huile grasse d’olive ( art. 7 ) à prendre dans le district de Nantes et des huiles et savons à prendre dans le district d’Amiens ( art. 5 ) en faveur du district de Nogent – le – Rotrou. Des commissaires furent envoyés en messidor et thermidor ( juin à août 1794 ) dans les districts désignés pour faire exécuter les réquisitions ordonnées. Nantes et Amiens se faisaient – elles « tirer l’oreille » pour satisfaire à ces réquisitions ? C’est probable : lors de la nomination du commissaire désigné pour aller à Nantes, le 13 thermidor an II ( 31 juillet 1794 ) dans une séance du Conseil général du district de Nogent – le – Rotrou, on peut noter dans le compte-rendu la phrase suivante, lourde de signification : « […] La ville de Nantes est invitée à faciliter les achats de matières premières ci-dessus désignées […le commissaire…] se fera délivrer des factures de ces objets et ne les paiera pas au dessus du maximum […] »[28] de là à penser que Nantes n’était absolument pas prête à collaborer…
Cette politique de réquisition rencontra quelques difficultés, comme souvent, mais il ne semble pas y avoir eu une opposition massive. Cependant le 16 brumaire an III ( 6 novembre 1794 ), le Bureau de commerce nogentais chargeait le Comité de surveillance de la fabrique des étamines à pavillon de dénoncer à l’administration du district « […] les cultivateurs qui essaient par 100 moyens de soustraire leur toisons à la surveillance […] »[29]. Il s’agissait certainement plus d’une réelle pénurie de matière première que de mauvaise volonté, le problème n’était pas nouveau, les toisons étaient déjà rares dans la région avant la Révolution. D’ailleurs, le district se contenta de demander « des mesures efficaces à la Commission de commerce et approvisionnement de la République », mesures bien improbables ; le temps de la « terreur » étant en passe d’être révolu, le seul dessein du nouveau « gouvernement révolutionnaire » était d’établir « la liberté du commerce » quitte à laisser s’effondrer des secteurs industriels entiers jugés comme « les canards boiteux » de l’époque.
D’autres difficultés rencontrées par les réquisitions de matière première étaient dues à la concurrence d’autres secteurs favorisés par les autorités locales et/ou nationales, notamment les « ateliers de salpêtre ». Ces deux « industries » faisaient une grande consommation de cendres et se trouvaient en concurrence directe pour les réquisitions de celles – ci. Les conflits devaient être fréquents pour que le 3 messidor an II (21 juillet 1794 ), quelques mois après le début de la fabrication des étamines à pavillon, le district prît un arrêté règlementant la répartition des cendres entre les « ateliers de salpêtre » et « la fabrique d’Etamines »[30]. Toutes les cendres de bois étaient réquisitionnées pour les fabriques d’étamines à pavillon (art. 1 ). Pour fournir les ateliers de salpêtre, les communes étaient « […] tenues de faire brules les herbes, mousses, fougères inutiles […] » ( art. 2), « […] Elles sont autorisées à employer pour ce brulement les ouvriers nécessaires […] leur salaire sera le produit de la vente des cendres. » ( art. 3 ). L’exécution de cet arrêté fut rapide, le district ayant pris soin de nommer deux commissaires « zélés » par canton. Le 17 messidor an II ( 5 juillet 1794 ), ceux désignés pour faire exécuter cet arrêté dans le canton d’Authon – du – Perche se présentaient devant la municipalité du chef - lieu du canton. Celle – ci convoqua tous les citoyens et citoyennes âgés de plus de 12 ans pour le 19 du moi sous peine de 18# d’amende, afin de procéder au brûlement des fougères et autres herbes inutiles pour fournir les ateliers de salpêtre du canton. Cette opération n’eut finalement lieu que le 28 du mois ( 16 juillet 1794 ), le Comité de surveillance d’Authon ayant, entre – temps, présenté une pétition à la municipalité afin d’exempter de cette réquisition les fonctionnaires publics. Enfin, un mois plus tard, le 27 thermidor an II ( 14 août 1794 ), le Conseil général de la commune d’Authon arrêtait que « Vu l’arrêté du district du 3 Thermidor An II [… il faut lire messidor…] que tous les Citoyens d’Authon sont requis de fournir une livre de cendres de bois dans le délai d’une décade et ensuite tous les mois. […] ces cendres devront être déposées au bureau des Etamines à pavillon établie à Authon. »[31] Comme toujours, les réquisitions des matières premières firent l’objet d’abus divers. Le 10 thermidor an II (28 juillet 1794 ), trois sergers indélicats qui avaient trouvé là un moyen de se procurer des toisons à bon prix, se présentèrent à la commune des Corvées et y enlevèrent 487 toisons de laine en suin se disant porteurs d’autorisation de Bessirard de la Touche[32]. Ils furent immédiatement appelés à comparaître devant le Conseil général du district sans que nous puissions savoir ce qu’il advint ne trouvant plus aucune trace de cette affaire dans nos sources, il semble cependant qu’ils ne se présentèrent pas devant l’administration du district. Cette affaire prouve au moins que les municipalités répondaient aux réquisitions lorsqu’elles étaient en mesure de la faire. Cette « bonne volonté » résultait – elle d’un élan révolutionnaire ou d’une attitude « conformiste » ? La question risque d’être sans réponse certaine, les sources reproduisant à l’envie des formules coulées dans un même « moule » stéréotypé, il sera toujours pour le moins délicat de faire la distinction entre un certain « conformisme administratif » et les sentiments réels des autorités locales.
Un autre cas d’abus est tout à fait caractéristique de certaines pratiques des autorités révolutionnaires de base. Les divers Comités ( de surveillance, de subsistance …) et bureaux florissaient en l’an II, constituant un véritable double – pouvoir. Ces instances de bases pouvaient être considérées comme une sinécure par certains sans – culottes plutôt indélicats. La situation était, il est vrai, tentante pour un sans – culotte pauvre de confondre intérêt public et particulier. Mais nous n’avons trouvé qu’un seul cas de pratique vénale à propos des étamines à pavillon, les sans –culottes du district se montrèrent finalement plutôt vertueux dans leur grosse majorité. Il s’agit de Boullay, peigneur à Authon et membre du Bureau de commerce de la fabriques des étamines à pavillon, qui fut dénoncé au district le 16 brumaire an III ( 6 novembre 1794 ) par « […] plusieurs fabricants et notamment de la fabrique d’Authon. »[33] Ces derniers se plaignaient de n’être pas exactement payés des pièces qu’ils livraient au Bureau de commerce mais surtout que les livraisons de laine ne se faisaient pas régulièrement et que les membres du Bureau de commerce se réservaient les laines de meilleure qualité. Le 20 brumaire ( 10 novembre 1794 ), un membre du directoire du district fut envoyé enquêter devant la Société Populaire d’Authon. Il s’agissait de Benoît Menou, habitant d’Authon[34]. Au cours de cette enquête il constata qu’effectivement Boullay s’était fourni plus de laines qu’un des plaignants ( Fortier ) bien qu’ayant moins d’ouvriers. Mais seulement trois citoyens s’étaient plaints de Boullay parmi lesquels la femme de Jean Fortier, fabricant à Authon. Or ce Jean Fortier était un des deux commissaires nommés par le Conseil général de la commune d’Authon, lors de sa séance du 16 floréal an II ( 5 mai 1794 ) , afin de surveiller la fabrication des étamines à pavillon, avant que le Bureau ne fût définitivement établi et qu’il n’en fît plus partie. Il se peut qu’il s’agisse en fait d’une rancune personnelle, une jalousie de village. Boullay aurait profité de sa situation au sein du Bureau de commerce pour assouvir une vengeance. L’affaire ne fut pas jugée importante, Boullay ne fut jamais inquiété. Bénéficiait –il de soutien dans les Comités de surveillance, à la Municipalité, à la Société Populaire ? Bessirard de la Touche le couvrit – il ? L’alarme avait été tout de même sévère, il ne fit plus parler de lui.
Malgré ces difficultés, la fabrication démarra et le 14 fructidor an II ( 31 août 1794 ) eut lieu une première livraison aux agents de la Commission de la Marine. Il s’agissait d’un lot de 34 pièces d’étamines vendues pour 5 157#. Une deuxième livraison eut lieu trois jours plus tard, 34 pièces également vendues 4 984#. Une troisième livraison fut effectuée le 4em sans culotide de l’an II ( 20 septembre 1794 ) pour une valeur de 4 859# et 5 sous. A partir de ce jour les livraisons furent régulières. Cependant « l’enthousiasme » des premiers jours retomba assez vite, ce débouché ne fut que de courte durée et de peu de bénéfices, l’administration étant dans l’incapacité de payer correctement les fabricants en cette période d’inflation galopante des assignats ( voir courbe ci-dessus ).
Les fabricants, étant mal payés et souvent longtemps après la livraison, rechignèrent à la besogne et commencèrent à montrer de la mauvaise volonté. Ceci se traduisit par des pièces d’étamines de mauvaise qualité, mal travaillées. Le 19 ventôse an III ( 9 mars 1795 ), Bessirard de la Touche envoyait aux fabricants d’étamines à pavillon une circulaire :
« A mes concitoyens fabricants d’Etamines à Pavillons.
Sur les défauts de celles reçues les 17 et 18 ventôse an troisième ; sur la nécessité de soigner d’avantage la préparation et la filature des laines, et sur l’impossibilité d’être par la suite aussi indulgent que je l’ai été à cette première réception des nouvelles étamines […] Vous ne pouvez plus dire que vous êtes forcé de faire ce que Vous ne savez pas ; vous n’êtes plus en réquisition, vous êtes libre de faire ou de ne pas faire des étamines à pavillon […] fabriquez – en moins et fabriquez – les bien […] Voudriez – vous donc m’exposer à des reproches, des désagréments et des pertes pour prix des soins que je me donne depuis neuf mois pour entretenir l’activité qui étoit bannie de cette manufacture ? »[35]
Dès messidor an IV ( juin-juillet 1796 ), cette fabrication fut stoppée[36]. Dès lors ce fut la mort de l’industrie étaminière nogentaise[37]. Au début 1811, sa situation était décrite dans les termes suivants : « […] est-il certain qu’il ne s’en fabrique […des étamines…] pas actuellement la dixième partie de ce qu’il se faisait il y a vingt ans. La Fabrique du Mans est anéantie, et celle de Nogent et d’Authon n’est encore conservé quelques activités parce qu’on y fait des Etamines de couleurs mélangées, dont dans certaines provinces on s’habille en été. »[38]
Finalement les étamines à pavillon ne furent pas la « solution miracle » capable de relever l’industrie étaminière de la région nogentaise et par là même d’endiguer une des principales sources de l’indigence. Cette « fabrique » a tout de même eut l’avantage d’apporter temporairement un léger mieux aux conditions de vie de centaines d’ouvriers et d’artisans, en leur procurant de quoi travailler. Les industries de guerre eurent au moins cet effet positif sur la vie économique de la région, même si les fournitures aux armées furent surtout des sources intarissables de spéculation permettant de construire quelques fortunes. Les autorités de l’an II, et notamment Bentabole lors de sa mission dans le Perche, eurent le mérite de voir que le problème de l’indigence devait être traité à la base, c’est-à-dire qu’il fallait réactiver l’économie locale, redonner vie à l’industrie des étamines. Mais les moyens manquèrent, la Convention empêtrée dans une situation financière inextricable dont elle avait héritée des assemblées précédentes n’avait plus les moyens d’honorer ses dépenses. Le marché des pavillons était, d’autre part, limité de par sa nature, il devait se tarir assez vite, l’industrie étaminière semblait bien inévitablement condamnée à péricliter.
[1] AD 28, L. 551 ancienne côte, L 325 et 326 nouvelles côtes..
[2] Idem.
[3] AD 28, L. 147 ancienne côte, L 1171 nouvelle côte, délibérations du directoire du district de Nogent-le-Rotrou.Le département a reçu de la trésorerie nationale une somme de 50 000# destinée à secourir les indigents de son ressort administratif.
[4] AD 28, L. 144 ancienne côte, L 1167 nouvelle côte, délibérations du conseil général du district de Nogent-le-Rotrou.
[5] AD 28, L. 146 ancienne côte, L 1170, délibérations du directoire du district de Nogent-le-Rotrou.
A cet égard il convient de corriger l’affirmation de Georges Trollet qui dans son Histoire du Perche, publiée à Bourg – en – Bresse en 1981, affirme que la ville de Nogent sollicita le 16 janvier 1791 une subvention de 80 000# votée par l’Assemblée nationale pour secourir ceux de ses habitants que la disparition du commerce de l’étamine avait réduits à la plus affreuse misère.
Nous n’avons trouvé nulle trace de cette demande, ni de cette subvention votée par l’Assemblée nationale. L’auteur a fait une confusion, l’Assemblée nationale a voté une subvention de 80 000# à l’ensemble du département d’Eure – et – Loir et sur cette somme Nogent a demandé 12 000# à l’administration départementale.
[6] AD 28, L. 153 ancienne côte, L 1177 nouvelle côte, délibérations du directoire du district de Nogent-le-Rotrou.
[7] AD 28, L. 155 ancienne côte, L 1179 nouvelle côte, délibérations du directoire du district de Nogent-le-Rotrou.
[8] AD 28, L. 147 ancienne côte, L 1171 nouvelle côte, délibérations du directoire du district de Nogent-le-Rotrou.
[9] Le 4 septembre 1792, il fut élu à la Convention nationale par le département du Bas-Rhin ( par 293 voix sur 386 votants ). Bentabole siégea avec les Montagnards, dont il fut l’un des représentants les plus radicaux. Il devint ainsi un ami fidèle de Marat dont il partageait beaucoup de conceptions. Son amitié avec l’Ami du peuple le fit même surnommer « Marat le Cadet » par ses collègues. Au procès de Louis XVI, il vota pour la mort du souverain comme la quasi-totalité des députés précisant « Je vois Louis souillé du sang de ses victimes, pour la tranquillité de ma patrie, pour son bonheur, je vote la mort. » Il fut également un ennemi acharné des girondins, qu’il attaquait avec fougue.
En août 1793, il fut envoyé en mission auprès de l’Armée du Nord. Au cours de cette mission, il entama une relation avec une riche veuve aristocrate, Mme de Rohan-Chabot ( peut-être apparentée aux Choiseul ) et qui devint son épouse. Grâce à cette union, il acheta des terres et devint châtelain à La Bazoche-Gouët.
Fin 1793, il fut envoyé dans de nombreux départements : en novembre il était dans les Pyrénées-Orientales puis dans l’Aude, en décembre dans l’Orne et l’Eure-et-Loir.
De retour à Paris, l’influence de son épouse le ramena à des opinions plus modérées. Il se lia aux dantonistes et soutint la campagne des « indulgents ». Il tint, avec sa femme, une des plus importantes maison de jeu de la capitale, tout près de la maison Duplay où résidait Robespierre.
[10] Tous les arrêtés de Bentabole se trouvent aux archives nationales série AFII, carton 101, registre n° 746.
Nous les retrouvons également dans les registres de délibération du district de Nogent – le – Rotrou ( AD 28, L. 153 ancienne côte, L 1177 nouvelle côte) ainsi que dans ceux de la commune de Nogent.
[11] Il s’agissait de J. – J. Beaudoin ( apothicaire de Nogent ). Nous le retrouvons comme membre du Conseil général de la commune de Nogent en novembre 1790, à partir de décembre 1792, il était officier municipal. Il fit partie de la Société Patriotique de Nogent. En octobre 1793, il était membre du Comité de surveillance de la commune de Nogent. Enfin, il fut nommé Procureur syndic du district le 5 frimaire an II ( 25 novembre 1793 ) lors de l’épuration des autorités constituées par le représentant en mission Thirion. Il restera en place après le décret du 14 frimaire An II (4 décembre 1793) qui remplace les procureurs syndic par des agents nationaux pour représenter le gouvernement auprès des administrations des districts et des communes.
[12] AD 28, L. 153 ancienne côte, L 1177 nouvelle côte, délibération s du directoire du district de Nogent, séance du 27 floréal an II.
La répartition était la suivante :
Canton de Nogent extra-muros : 866# 13 sols 4 deniers.
Canton de Thiron ( sauf la commune de Thiron ) : 600#.
Canton de Champrond – en - gâtine : 866# 13 sols 4 deniers.
Canton de Frazé : 866# 13 sols 4 deniers.
Canton d’Authon : 685# 15 sols.
[13] Il était membre du Conseil général du district, le 30 août 1791 il fut élu membre de l’administration départementale où il siégea jusqu’au 3 décembre 1792. Il faisait partie d’une des grandes familles bourgeoises d’Authon très impliquée dans les événements révolutionnaires. Nous retrouvons un autre membre de la famille Menou, André, comme membre de l’administration départementale du 7 mai 1790 au 30 août 1791, puis comme du Conseil général du district de Nogent du 12 septembre 1791 au 4 juin 1792 date à laquelle il donna sa démission pour devenir commandant de la garde nationale d’Authon. Enfin, ces deux « personnages » firent partie de l’équipe dirigeante de la Société populaire d’Authon, André comme président et François – Louis comme trésorier durant toute « la durée de vie » de cette société.
[14] AD 28, L. 146 ancienne côte, L 1170,. délibération s du directoire du district de Nogent.
[15] AD 28, L. 181 ancienne côte, nouvelle côte provisoire E Dépôt 018 NC art.19, délibérations de la municipalité d’Authon-du-Perche.
[16] AN, A F II, 101, 746.
[17] Mesure de masse, 1 millier = 1 000 livres poids soit 489,506 kilogrammes.
[18] Un des noms vulgaires du chou-rave, et surtout de la variété oléifère, qu'on nomme encore navette dauphinoise et que l'on cultive comme plante oléagineuse à la façon du colza. On dit aussi ravette.
[19] En ce qui concerne Fortin, le recensement de l’an IV le qualifie de teinturier. Il fut notable de Nogent du 3 décembre 1792 à mai 1795.
Quant à Bessirard de la Touche, malgré la consonance « aristocratique » de son nom, nous retrouvons son nom sur la liste des membres du Comité de surveillance de Nogent le 14 octobre 1793.
[20] Ces deux derniers étaient déjà membres du Conseil général de la commune de Nogent depuis au moins la fin du mois de novembre 1790 puisqu’ils apparaissaient sur la 1ere liste complète de la municipalité que nous avons pu consulter, ils en étaient encore membre en mai 1795.
[21] A. AULARD. Recueil des actes du Comité de Salut Public. Paris, 1897, tome XI, p. 113.
[22] AD 28, L. 153 ancienne côte, L 1177 nouvelle côte, délibérations du directoire du district de Nogent, séance du 14 ventôse an II.
[23] Idem, séance du 16 floréal an II.
Les fabricants étaient : André Jallon, R. LeComte, Férré – Jallon, Blot jumeau, J. Méllé, Fr. Leboucqs, Ph.
Chéreau, J. Mansot.
Les négociants : Rodin, Fortin l’aîné.
[24] AD 28, L. 181 ancienne côte, nouvelle côte provisoire E Dépôt 018 NC art.19, délibérations de la municipalité d’Authon-du-Perche., séance du 16 floréal an II.
Les fabricants nommés étaient : Isaac Biard et J. Fortier.
Le prénom du premier indique un fabricants de religion protestante ou tout au moins « d’origine protestante ». Les protestants avaient été nombreux à Authon au XVIIe siècle. Thomassu dans un article paru dans Le Moniteur Beauceron numéro 80 du dimanche 4 novembre 1838 ( journal édité à Chartres, l’article s’intitule : « Notice historique sur Authon, un des chef-lieux de canton de l’arrondissement de Nogent – le – Rotrou » ) écrit : « […] il y avait autrefois à Authon beaucoup de protestants, ayant un prêche qui leur était propre, ainsi qu’un cimetierre particulier, dont tous les habitants connaissent encore l’emplacement. […] ».
Pour un point plus récent et moins impressionniste sur cette question voir :
Bernard MALCOR. « Le protestantisme dans le Perche-Gouet. » In Cahiers percherons, n° 180, 4ème trimestre 2009.
Amélie DUCHEMIN. « La communauté protestante d’Authon – du – Perche au XVIIe siècle : de l’apogée à la résistance. » In Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 113, n°2, 2006, pages 61 à 79.
[25] AD 28, L. 154 ancienne côte, L 1178, séance du 14 prairial an II.
Composition du bureau de commerce pour surveiller la fabrication des Etamines à pavillon :
Augustin Bourdeau ( négociant à Nogent ), Salmon, Beaugard – le – jeune, Lalouette fils, Antoine Pasteau ( tous quatre fabricants à Nogent ), Ch. – L. Pauthonnier ( fabricant à Authon et membre de la Société populaire d’Authon ) remplacé le 7 messidor an II par Pitou ( lui aussi fabricant à Authon, membre de la Société populaire et de la municipalité d’Authon ), Tollet ( étaminier à Nogent ), Garnier ( peigneur à Nogent ), Boullay ( peigneur à Authon ).
[26] AD 28, L. 154 ancienne côte, L 1178 nouvelle côte, séance du 11 thermidor an II.
[27] La gaude, aussi nommée réséda des teinturiers, est une plante herbacée bisannuelle de la famille des résédacées, assez commune en Europe occidentale et méridionale. Autrefois, elle était cultivée comme plante tinctoriale.
Autres noms vernaculaires : réséda jaunâtre, grand réséda, herbe à jaunir, herbe jaune, mignonette jaunâtre, herbe des juifs…
[28] AD 28, L. 154 ancienne côte, L 1178 nouvelle côte, séance du 13 thermidor an II.
[29] AD 28, L. 155 ancienne côte, L 1179 nouvelle côte, séance du 16 brumaire an III.
[30] AD , L. 154 ancienne côte, L 1178 nouvelle côte, séance du 3 messidor an II.
[31] AD 28, L. 181 ancienne côte, nouvelle côte provisoire E Depôt 018 NC art. 19, délibérations de la municipalité d’Authon , séance du 27 thermidor an II. Ce bureau était établi dans l’ancien presbytère d’Authon. C’était Jérôme Marais, ex-curé du lieu et membre de la Société Populaire d’Authon, qui était nommé commissaire pour réceptionner ces cendres.
[32] Il s’agissait des citoyens Lothon ( orthographe incertaine ! ) et Mérie ( ou Marie ) de Champrond – Maras ( anciennement Champrond – en – gâtine ) et de Hardi de St Victor – de – Buthon.
[33] AD 28, L. 155 ancienne côte, L 1179 nouvelle côte, séance du 16 brumaire an III.
[34] De la même famille qu’André Menou, président de ladite Société Populaire, commandant de la Garde Nationale d’Authon et ex-administrateur du district de septembre 1791 au 4 juin 1792 ; et que Fr. L. Menou, trésorier de la même Société Populaire, ex-administrateur du district de fin 1790 au 30 août 1791 puis administrateur du département de 30 août 1791 au 3 décembre 1792. Une des familles bourgeoises d’hommes de loi non – liée à l’industrie des étamines.
[35] François DORNIC. L’industrie textile dans le Maine et ses débouchés internationaux ( 1650 – 1815 ). Le Mans : Editions Pierre – Belon, 1955. Page 254.
[36] Tout au moins Fr. Dornic l’atteste pour Le Mans.
[37] Pour la fin de l’industrie étaminière et plus largement le déclin de la proto- industrie dans le Perche voir le bel ouvrage de Claude CAILLY. Mutations d’un espace proto-industriel : la Perche aux XVIIIe et XIXe siécles ». Fédération des Amis du Perche, 1993.
[38] « Etat de situation politique de l’arrondissement de Nogent – le – Rotrou – 1er trimestre 1811 » publié dans G. DAUPELEY. Trois documents relatifs à l’industrie d’étamines à Nogent – le – Rotrou. Nogent – le – Rotrou, 1905.