Jacques Pierre Michel Chasles ( 28 ) : maire de Nogent-le-Rotrou, conventionel, Montagnard, prêtre défroqué...
Chasles et le procès de Carrier.
Début Brumaire an III ( fin octobre 1794 ), la Convention, qui s’apprêtait à sacrifier Carrier, débattait de la possibilité d’une immunité parlementaire et des critères qui pouvaient permettre la poursuite, par la justice, d’un de ses membres[1].
Lors des débats à la Convention sur la mise en accusation de Carrier, en Brumaire et frimaire an III ( novembre – décembre 1794 ), Chasles ne fit pas partie de la poignée de « crétois »[2] à suivre Thirion et Duhem dans sa défense[3].
Le 21 brumaire an III ( 11 novembre 1794 ), Romme faisait, à la Convention, un rapport au nom de la commission des vingt et un chargée de collecter les documents relatifs au agissement de Carrier à Nantes. Suite à ce rapport plusieurs voix demandèrent l’arrestation provisoire de Carrier. Ce à quoi Carrier répondit : « Mon arrestation provisoire est superflue ; les brigands n’ont jamais vu mes talons. ( Quelques applaudissements. ) » Chasles montait alors à la tribune, non pour défendre Carrier, mais pour demander que toute dénonciation visant un représentant du peuple fusse écrite et signée, mettant en garde ses collègues conventionnels des risques que feraient courir à la représentation nationale, et donc à eux-mêmes, l’absence de ces règles qu’il demandait : « Il est une observation essentielle ; c’est qu’une matière aussi importante ait été agitée et poussée au point où nous la voyons sans qu’on ait posé la base radicale, sans qu’on ait parlé de la dénonciation.
Je demande que la Convention complète sa loi du 8 brumaire, en décrétant que la dénonciation portée contre un représentant du Peuple sera rédigée d’une manière textuelle, et que la première opération sera de la lire à la tribune. ( Quelques applaudissements. ) La France entière a reçu un grand éveil sur cette affaire, la chose publique doit en profiter, les aristocrates doivent être confondus. ( On applaudit. ) Quel que soit le résultat, le patriotisme doit triompher. Il y a ici coupable ou innocent. S’il y a coupable, il faut qu’il soit puni ; alors c’est le triomphe des patriotes. S’il y a innocent, il lui faut justice ; mais il la faut encore à ses calomniateurs. ( Vifs applaudissements d’une partie de l’Assemblée et de quelques tribunes. )
Il est des considérations politiques et révolutionnaires qui doivent engager la Convention à examiner si la dénonciation, en supposant qu’elle soit juste, ne tient pas à des intentions telles qu’après y avoir fait droit, on se trouvât entraîné à des actes contre-révolutionnaires. ( Mêmes applaudissements. )
Prenez garde que la Nation ne dise : Un représentant du Peuple a été justement puni, mais c’est l’aristocratie qui l’a fait punir ; l’aristocratie profitera de cet exemple dans d’autres circonstances pour opprimer le patriotisme et la vertu. Je prie donc la Convention, je la supplie, au nom du bien public, de ne pas ménager à nos ennemis du dedans et du dehors le plus léger avantage. J’insiste pour qu’elle décrète que la dénonciation sera rédigée textuellement, signée du dénonciateur, et que la première opération à faire sera la lecture de cette dénonciation. ( Nouveaux applaudissements.) »
Romme reprit la parole peut après pour aller dans le sens de Chasles et signaler que de nombreuses pièces accusant Carriers n’étaient pas signées ou qu’on acceptât l’accusation venant « […] d’hommes qui ont été traduits au tribunal révolutionnaire pour les actes de férocité qu’ils ont commis, fait foi contre Carrier. […] »
Ces déclarations entraînèrent un beau tumulte, Baudin, Pierret et Merlin de Douay intervinrent pour contredire les affirmations de Romme. Merlin de Douay demanda l’ordre du jour sur les observations de Chasles, il fut applaudit et « L’assemblée passe à l’ordre du jour. ( On applaudit. ) »[4]
Chasles n’intervint plus dans les débats agités portant sur la mise en accusation de Carrier, lors du vote par scrutin nominal sur ce sujet, le 3 frimaire an III ( 23 novembre 1794 ) il était absent de la Convention.
[1] A.P. Tome 99, séance du 2 brumaire an III ( 23 octobre 1794). Se reporter notamment à l’intervention de Goujon.
[2] Terme péjoratif par lequel les Thermidoriens désignaient les derniers Montagnards de la Convention.
[3] Moniteur, tome 22, 7 frimaire an III, p. 589-590. 12 députés seulement suivront Thirion et Duhem : Lefiot, Lesage-Senault, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, Romme, Albitte ( aîné ), Ingrand, Maure, Bourbotte, Bô, Ch. Duval, Cambon.
[4] Moniteur Universel, n° 53, Tridi 23 brumaire an III ( 13 novembre 1794). P. 230.