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La Révolution Française à Nogent le Rotrou

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La Révolution Française à Nogent le Rotrou
  • Nogent-le-Rotrou et son district durant la Révolution française avec des incursions dans les zones voisines ( Sarthe, Orne, Loir-et-Cher voire Loiret ). L'angle d'attaque des études privilégie les mouvements sociaux et les archives locales et départemental
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9 février 2016

Jacques Pierre Michel Chasles ( 26 ) : maire de Nogent-le-Rotrou, conventionel, Montagnard, prêtre défroqué...

Chasles : L'Ami du Peuple. ( 5) : Les attaques thermidoriennes contre Chasles.

La presse réactionnaire et les « mouches » de la police thermidorienne s’intéressaient de près au journal de Chasles et à ses affiches. Le Courrier républicain, obscure feuille thermidorienne, du 25 vendémiaire an III ( 16 octobre 1794 ),  en dénonçant un financement occulte nous apprend du même coup que Chasles faisait placarder son  journal sous forme d’affiches par souci de se faire lire par les sans-culottes :

« […] Dans toutes les phases  de la Révolution, on a vu, au coin des rues, des journaux-affiches, dont les auteurs se sont toujours déclarés les patriotes par excellence, les seuls sages, les seuls purs, et qui, pour le faire croire, ont accusé de vénalité les écrivains qui ne donnaient pas pour rien aux passant la main d’œuvre des imprimeurs, leur temps et leur veilles.

Telle est encore la jonglerie d’un journal-affiche, qui paraît depuis environ deux mois, sous le titre de l’Ami du peuple ; ne serait-il pas permis aux journalistes et aux autres écrivains, à qui il reproche d’être vendus, de demander à l’imprimeur Lebois, chez qui on trouve ce journal, par quelle liste il est soudoyé ? Car bien certainement, ni cet imprimeur, ni l’auteur de l’Ami du peuple, ne donnent pour rien aux curieux deux ou trois mille affiches, qui coûtent environ 130 livres par numéro, sans compter la rétribution qui doit naturellement revenir au rédacteur.

Il est donc démontré, aussi évidemment que le jour, que le prétendu Ami du peuple est payé par quelque parti ou par quelque individu puissant ; car ce n’est ni un imprimeur ni un littérateur qui peuvent ainsi, cinq à six fois par décade, dépenser 130 livres pour instruire le peuple. Il est bon de révéler ces faits au public, afin qu’il ne se laisse plus abuser par une aussi impudente charlatanerie »[1].

Le journal de Chasles fut plusieurs fois l’objet de dénonciation ou d’attaques pour le moins virulentes de la part des thermidorien au sein de la Convention au début de l’année 1795.

1. La première attaque eut lieu le 24 nivôse an III ( 13 janvier 1795 ) en réaction au numéro 14 dans lequel Chasles fustigeait Fréron comme allié à l’aristocratie. En début de séance de la Convention, Lefiot demanda le rapport d’un décret voté la veille portant l’indemnité des représentants du Peuple à 36 livres par jour au lieu de 18. Une vive discussion s’engagea suite à cette intervention, Bentabole, au nom de  la majorité en vint à dénoncer les tentatives de discréditation de la Convention, visant directement Chasles :

 « Bentabole. On cherche à égarer le Peuple sur les intentions de la Convention. Les plus scélérats des hommes, ceux qui ne goûtent de plaisir que dans le sang et le carnage, veulent faire croire que la Convention, en fesant la révolution du 9 thermidor, a voulu faire triompher l’aristocratie. C’est à vous, Citoyens généreux, hommes probes de la majorité qui vous êtes couverts de gloire en fesant cette révolution…

[ Bentabole est interrompu plusieurs fois, il reprend cependant…]

Bentabole. On ne se contente pas de conspirer dans l’ombre, on est assez audacieux de publier ses projets criminels. Jamais je n’attaquerai la liberté de la presse ; mais je crois que vous ne voudrez pas non plus qu’elle serve aux projets du royalisme ou de la faction qui veut détruire la représentation nationale, et qui, n’en doutez pas, est d’accord avec les royalistes[2]. ( Oui, oui, s’écrie-t-on.) Voici un journal au bas duquel on trouve ces lettres initiales : C… R… du P. ( Plusieurs voix : C’est châles.) Je ne sais pas quel est l’auteur ; mais voici l’adresse où se distribue ce journal : rue Traversière Honoré, n° 21, au rez-de-chaussée.

Plusieurs voix : C’est l’adresse de châles.

Bentabole lit un fragment du journal intitulé : l’Ami du Peuple.

« Il fut un tems où les Républicains avaient une manière de raisonner et de juger, aussi simple que sûre. Telle chose, disaient-ils, plaît aux aristocrates ; donc elle est mauvaise ; telle autre leur déplaît ; donc elle est bonne et favorable au Peuple. Cette logique, je le sais, n’est pas celle de l’académie ni des faiseurs de livres ; mais le bon sens qui éclaire le Peuple est un aussi grand maître qu’Aristote et ses disciples. Jugez donc le 31 mai et le 10 thermidor avec le bon sens du Peuple. Les aristocrates applaudissent à l’un et se déchaînent contre l’autre ; maintenant, appliquez le formule triviale, mais juste et vraie des Sans-Culottes : la conséquence est facile à tirer.

Il y a toujours eu, il y aura toujours entre le Peuple et l’aristocratie opposition de principes et d’intérêt. Voilà pourquoi le Peuple et les aristocrates sont divisés d’opinions sur ces deux mémorables journées dont les résultats jusqu’à ce jour ont paru diamétralement contraires. On ne doit en révolution juger que les résultats. »

Bentabole. D’après cela, il est clair que l’auteur a voulu prouver que la révolution du 9 ne s’est faite qu’en faveur de l’aristocratie. Voici un autre passage de cet écrit.

« Le Peuple savait-il, le 14 juillet, qui le menait et où on le menait ? Il n’était, dans ce premier acte de la révolution, que l’instrument aveugle de l’ambition et de la vengeance des ennemis de la Cour, de la noblesse, des parlements et du clergé. Assis sur ses trophées, il sentait le besoin d’être libre ; mais sans expérience et sans guide, il était destiné à ne le devenir qu’après avoir été le jouet de toutes les factions. Le 10 août , le Peuple victorieux ignorait pour quelle cause il venait de verser son sang. »

[ Merlin de Thionville qualifie Chasles de lâche frippon et Marec, d’ami du roi…] Châles parle dans le bruit.

Bentabole reprend : «  Il ne lui restait pour prix de sa conquête que le choix d’un tyran. » (Violents murmures.)

Bourdon de l’Oise. Tout le monde sait que Châles a long-tems travaillé à l’Ami du roi[3].

Bentabole continue : « Puisse la chûte de Robespierre ( vous voyez qu’il ne dit pas la punition ), être suivie, comme le fut celle de la Gironde, d’un retour général aux vrais principes, et d’une forte impulsion vers la démocratie. Puisse la journée du 10 thermidor, sur laquelle l’opinion du Peuple est encore indécise… » ( L’indignation de l’Assemblée empêche Bentabole de continuer.)

Bentabole. Je crois que les choses que j’ai dites sont assez positives pour qu’on ne puisse pas douter qu’il existe un projet de renverser la Convention qui a fait la révolution du 9 thermidor. Cet écrit annonce de plus qu’il éclatera sous peu un coup terrible que tels ou tels hommes, qu’on désigne, seront massacrés. Je demande que les Comités vous fassent après demain un rapport sur la situation de Paris. Vous verrez que la conspiration ne doit pas tarder d’éclater.[4]»

Après quelques débats sur le renvoi aux Comités, la discussion reprit sur la proposition de Lefiot et la Convention rejeta sa demande[5].

Le soir suivant, Fréron invitait sa « jeunesse dorée » à exterminer les Jacobins, une petite bande  brûla L’Ami du Peuple au jardin-égalité ( Palais-Royal ). Le journal La Vedette du 27 nivôse( 16 janvier 1795 ) relata ainsi la scène :

« Paris, du 26. Hier sur les six heures du soir, une grande fermentation régnait dans tous les cafés du Palais-Egalité. La séance de la Convention, la dénonciation de Bentabole contre un complot d’assassinat tramé envers les représentants les plus fidèles, étaient les causes de cette agitation. Enfin on sortit dans le jardin. Un jeune  citoyen s’écria : « Mes amis, que ceux qui ont fait le 10 août, qui ont brûlé les feuilles de l’Ami du roi, se réunissent pour soutenir le 9 thermidor et la Convention et pour brûler les journaux infâmes des Châles, Audouin et Charles Duval. » Les applaudissements réitérés accueillent cette motion. On achète plusieurs exemplaires des feuilles de l’Ami du peuple, du Journal Universel et du  Journal des hommes libres  et on les livre aux flammes aux cris de Vive la Convention !  Plus de mille deux cents citoyens forment des rondes autour, et dansent la Carmagnole. Un des assistants s’écrie : « Prouvons aux terroriste que nous ne voulons pas plus de royauté que de jacobinisme ! » Soudain il jette dans les flammes le Spectateur français de Delacroix. Cette scène tumultueuse attire la garde ; l’officier dit qu’il vient dissiper ce rassemblement ; on lui demande où est le décret qui défend de danser et de crier Vive la Convention ! « Si tu étais un bon patriote, lui dit un jeune homme, au lieu de troubler notre opération, tu danserais avec nous. » Aussitôt tous les citoyens de la patrouille posent les armes et se mêlent dans les rondes. L’officier se retira seul. Les danses et l’incendie terminés, on se sépara en criant : Vive la République ! Vive la Convention ! »[6]

Cependant, Chasles réédita les seize numéros de son journal, en pluviôse an III ( janvier-février 1795 ) réunis en un seul volume sous le titre : La Chronique scandaleuse de l’aristocratie depuis le Dix Thermidor, ou Tableau des moyens employés, depuis cette glorieuse époque par les prêtres, les nobles, les royalistes et les aristocrates de toute espèce, pour opprimer les patriotes, avilir et dissoudre la Convention, asservir le Peuple, et anéantir la République[7]. Réédition qu’il signa courageusement de son nom cette fois.

2. Chasles, à travers son journal, fut à nouveau dénoncé à la Convention lors de la séance du 9 pluviôse an III ( 28 janvier 1795 ). Au cours de cette séance Duhem fut décrété d’arrestation pour avoir dénoncé, semble-t-il à tort, l’auteur d’un écrit qu’il qualifiait d’aristocratique. La séance fut extrêmement agitée, l’Ami du peuple de Chasles se trouvant mis très brièvement en cause :

« Rewbel. […] Quel est le dernier espoir des royalistes ? C’est l’avilissement de la Convention. ( Applaudissements.) Que veulent les terroristes ? Les désirs qu’ils expriment dans des libelles infâmes qu’on ne s’empresse pas de dénoncer, ( Applaudissements.) sont l’avilissement et la dissolution de la Convention. ( Les applaudissements se renouvellent. ) Ils vous traitent de sénat de Coblentz…

Plusieurs voix. C’est l’Ami du Peuple, l’orateur des terroristes.

Rewbel. Les uns et les autres ont le même but, […] "

La Convention envoya Duhem  à l’abbaye qui le relâcha immédiatement prétextant un manque de place.

Durant ce mois de pluviôse an III une affiche reproduisant le texte d’un pamphlet anonyme, l’auteur signait Philodème, intitulée « Le dernier coup de tocsin de Fréron » fleurissait sur les murs de Paris. Un rapport de police du 18 pluviôse an III ( 6 février 1795 ) précisait que : « Bouillon [ un agent chargé de surveiller l’esprit public ] rapporte que les habitués des cafés de Chartres, de Valois et de la Régence [ lieux de rencontre habituels de la « jeunesse dorée de Fréron » ] ont brûlé hier une brochure intitulée : le Dernier coup de tocsin de Fréron, qu’ils accusent Châles, représentant du peuple, d’en être l’auteur. Plusieurs personnes parlaient de ce représentant d’une manière très désavantageuse, et lui reprochaient d’avoir prêché l’anarchie dans le département d’Eure-et-Loir.[…] »[8] Fréron, persuadé que l’auteur en était Chasles y riposta par une Réponse de l’Orateur du Peuple aux calomnies du prêtre Châles et compagnie[9].

Ce dernier lui répondit dans une brochure, datée du 19 pluviôse an III ( 7 février 1795 ) titrée «  A son collègue Fréron »[10]. Brochure dans laquelle, il niait être l’auteur du pamphlet incriminé mais reconnaissait qu’elle reflétait bien les principes qu’il défendait et renchérissait sur le fait que Fréron était bien « le plus coupable des hommes » ( voir en annexe ci-dessous la retranscription de cette brochure ) :

« J’en appèle à tout homme sensé et de bonne foi, aux aristocrates eux-mêmes, à ceux du moins qui n’ont pas encore bu toute honte, ni perdu tout sentiment de leur propre intérêt ; je leur demande si tu n’annonces pas à la majorité du peuple français, à ces vingt-quatre millions d’hommes libres, de citoyens qui n’ont pour patrimoine que leurs bras, leur industrie, leur frugalité, leurs vertus et leur patriotisme, si tu ne leurs déclares pas bien solennellement, que l’égalité n’est pour eux qu’un vain nom, la liberté qu’une chimère et la révolution qu’un crime, dont la punition rejaillira sur eux et leurs enfants !!! […] Voilà, mon collègue, des lits graves et bien caractérisés, voilà les motifs du jugement que je porte sur ton numéro 67. »

Quelques jours plus tard, le Journal des lois de la République française[11],  de Galletti rendait compte d’une lettre de Chasles adressée aux sans-culottes de Nogent-le-Rotrou et en en déformant le sens, Chasles écrivait « en dépit de nos depités » et le journaliste transcrivait « en dépit de nos députés ».  Chasles rectifia en publiant une très courte brochure intitulée « Ruse innocente d’un honnête journaliste » ( Lire la brochure sur Gallica ) )en profitant pour revenir sur les médisances concernant ses écrits passés[12] :

Image1« DANS une lettre de moi, que vient d’insérer, dans son véridique et  très-excellent Journal, G. F ? Galetti, se trouve cette phrase…ENFIN, EN DEPIT DE TOUS LES DEPITES… phrase qui n’est qu’un jeu de mots, permis et usité dans le style épistolaire, qu’une plaisanterie de même genre que plusieurs autres répandues dans la même lettre.

Eh ! bien, il a plu à l’honnête journaliste Galetti, de changer un I en U, le mot DEPITE en celui de DEPUTE.

L’altération est trop grossière, et l’intention trop atroce, pour que je croye devoir expliquer et justifier le sens grammatical de ma véritable phrase.

Oh ! mes collègues, de quels moyens on se sert pour nous aigrir les uns contre les autres !...

CHALES, Représentant du Peuple.

23, pluviôse an 3.

P. S. : Je n’ai jamais travaillé à l’Ami du Roi, ni à aucune œuvre aristocratique ou suspecte. Qu’elle preuve fournit-on d’un si impertinent mensonge ?

En mars 1790, je rédigeois un journal qui étoit, pour le tems, ce qu’est aujourd’hui l’Ami du Peuple. Pourquoi ne pas citer quelques pages de ce Journal qu’on calomnie auprès de ceux qui ne l’ont jamais lu.

En 1784, il parut une brochure intitulée Timante, marquée au coin des sotises du tems. On me la reproche comme une œuvre contre révolutionnaire !... Elle n’est pas de moi, quoiqu’elle porte mon nom. C’est une diatribe de collège contre la philosophie, que j’ai signée comme président d’une exercice littéraire… Qui d’entre nous, avant 89, n’a pas été, dans sa profession, plus ou moins contre-révolutionnaire ?

Puisque, pour me ravir l’estime et la confiance, on a recours à des mensonges, à des époques surannées et à mon titre de Chanoine et de Prêtre, qu’on juge de la puteté [ sic ] de mes principes et l’invariable patriotisme que j’ai toujours montré. »[13]

Cependant le surnom de Timante-Chasles resta d’utilisation courante par ses adversaires politiques. Ainsi Louvet dans ses mémoires, parus pour la première fois en 1795, lorsqu’il évoque la montagne s’exclamait :  « […] o Montagne ! Montagne ! vous qui possédez à la fois Poultier le moine, Guffroy le procureur, Châles Timante, le conspirateur d’Orléans et tant d’autres,[…] »[14]. De même que les opposants politiques de Chasles insistèrent fortement sur son ancien statut de prêtre. C’était d’ailleurs une insinuation courante dans la presse et les pamphlets thermidoriens,  procédé déjà largement utilisé par les girondins, pour disqualifier les montagnards en les assimilant à des prêtres ou à des nobles. Ainsi pouvait-on lire dans les pages du  Courrier républicain du 23 brumaire an III (  13 novembre 1794 ) :

«  On sait qu’une des ruses des filoux, lorsqu’ils sont pris sur le fait, est de se joindre à ceux qui les poursuivent, de faire chorus avec le peuple et de crier avec lui : Au voleur, au voleur ! Eh bien ! les Jacobins, qui sont passablement voleurs aussi, faisaient exactement le même manège. Leur principal cri de guerre était : Haro sur les nobles ! Haro sur les prêtres ! Pourquoi ? pour que le peuple, toujours confiant, toujours habitué à s’en rapporter à celui qui crie avec plus de force et d’impudence, ne pût s’apercevoir que leurs meneurs étaient un ramas de prêtres apostats, de ci-devant nobles perdus de débauche et de dettes, d’huissiers, de procureurs, de leurs clercs, de robins de toutes les couleurs, d’hommes enfin formés dès leur jeune âge à vivre du produit de l’imposture, de la jonglerie, des plus viles intrigues, de la misère publique et  particulière. Ceci n’est point une de ces assertions vagues et mensongères, jetées dans le public pour rendre encore plus odieux messieurs les Jacobins ; c’est l’exacte vérité, qu’on peut démontrer d’une manière incontestable. »[15] Et le journal de donner une liste d’une petite vingtaine de  jacobins anciens prêtres ou anciens nobles en tête de laquelle figurait Chasles :

« Monsieur Châles, jacobin, fut prêtre et vicaire de l’évêque de Tours, faisant, pour ses menus plaisir, baiser les reliques de la très honorée Marie, mère de Jésus. Monsieur Bassal, jacobin, fut d’abord moine lazariste […] »[16]

3. Lors de la séance de la Convention du 11 ventôse an III ( 1er mars 1795 ), une délégation de la section des marchés était reçu, dans son intervention, l’orateur s’en prit à nouveau à Chasles et à son journal : « […] Elle [la section] ajoute qu’elle n’a point tardé  à soustraire aux regards adoucis par la seule justice, le buste de Marat, mais qu’elle voit un homme qui se dit son successeur, établir, sous le titre d’ami du Peuple, des listes de proscription, secouer les torches de la guerre civile : nous déposons un de ses numéros.[…] ». Chasles prit alors la parole pour faire une mise au point : «  J’observe à l’Assemblée, et ce n’est pas de ma part un sentiment de pussilanimité, que le journal intitulé : l’Ami du Peuple, fut rédigé par moi jusqu’au n° 16 inclusivement, que depuis il est passé entre les mains d’un rédacteur que je ne connais pas. J’invite donc mes collègues à ne m’attribuer ni la gloire, ni le blâme, ni les calomnies qui pourront résulter de ce journal. Si j’étais l’auteur du numéro dénoncé, je l’avouerais : car il y a de la lâcheté à désavouer ses écrits ; mais comme je ne le fais pas, je me borne à faire remarquer aux citoyens qui sont à la barre, que leur démarche est contraire aux principes, qu’elle attaque la liberté de la presse ; que cette liberté de la presse est la sauve-garde de la liberté publique, et que si l’on en abuse pour calomnier un ou plusieurs citoyens, les tribunaux sont ouverts pour faire justice du calomniateur. Citoyens, je finis par cette observation : le principe de la liberté indéfinie de la presse a été établi par Tionçon du Coudray, dans sa défense de Lacroix, et le tribunal révolutionnaire l’a consacré par le jugement qu’il a porté dans cette affaire. » La Convention passa à l’ordre du jour[17].

On n’hésitait pas à attribuer à Chasles tous les libelles s’opposant à la Convention thermidorienne. Ainsi quelques semaines avant les insurrection de germinal an III ( 1er avril 1795 ),   à la fin de ventôse- début germinal an III ( vers les 20-21 mars  1795 ) un placard intitulé « Conseils donnés par Guffroy aux sans-culottes pour sauver la patrie », qui, bien sûr, n’était pas de Guffroy qui siégeait alors dans les rangs thermidoriens, fut attribué à Chasles selon messieurs Pichois et Dautry. Certainement cette attribution n’était-elle pas sans rapport avec les souvenirs des rapports conflictuels entre Guffroy et Chasles de l’années précédente ( voir la partie consacrée à la mission de Chasles à l’armée du Nord et plus particulièrement son rappel ), mais le rapprochement pouvait également être dû à l’évocation de Marat. On pouvait lire, dans un style rappelant volontairement celui de feu Le Père Duchesne d’Hébert,  dans cette affiche :

«  Tous les complices de la Corday n’ont f…. pas été rossés, non f…., car il faut bien jurer ; ça soulage ; non f…., les complices de cette guenon n’ont pas tous été rossés comme elle, ils  le seront, pas vrai, Charlotte ? »

Selon les rapports de police, cette affiche, diffusée en profusion sur les marchés entraîna des attroupements d’ouvriers, de « mégères furibondes » et était relayée par des « orateurs apostés »[18].


 

Image2Annexe  :Châles, représentant du peuple, à son collègue Fréron. Paris, 19 pluviôse an III ( AN, AD XVIII A 16 ).

MON COLLEGUE,

On m’attribue une brochure intitule : le dernier coup de tocsin de Freron.

Je n’en suis point l’auteur, mais je suis trop loyal et trop républicain, pour ne pas déclarer en même tems [sic], que les principes contenus dans cette brochure, écrite avec une plume de feu, et une ame bouillonnante de patriotisme, sont gravés dans mon cœur ; et que je les défendrai jusqu’à la mort.

Je ne parle que des principes : je t’abandonne la rédaction, le détail et les mouvements oratoires.

Oui, mon collègue, tu es à mes yeux le plus coupable des hommes, du moins par le fait, et d’après les plus fortes apparences.

Je n’accuse point tes intentions. Je n’ai pas de mission pour les scruter et les juger. Tu les justifieras sans doute au tribunal suprême de l’opinion du peuple.

Ton numéro 67 de l’Orateur du peuple,  a répandu l’indignation et l’alarme chez tous les vrais amis du peuple, de l’égalité et de la liberté.

Est-il en ton pouvoir d’effacer ce que tu as écrit ?

N’as-tu pas attaqué, en termes formels et bien précis, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?... Le congrès de Pilnitz, les chevaliers de Coblentz, tous les partisans de la tyrannie féodale et de l’esclavage de la glèbe, pourroient-ils la traiter avec plus de mépris, d’audace et d’impudeur ?

Proposer le rapport de tous les décrets de la convention, depuis le 10 mars 1793, qu’est-ce autre chose qu’attaquer la représentation nationale, depuis le premier instant de son existence, et provoquer le déchirement, la dissolution du corps social entier ? car pourquoi s’arrêter à cette époque du 10 mars 1793, et ne pas remonter au 20 septembre 1792 ?

Annuler tous les actes de la convention, n’est-ce pas anéantir d’un trait de plume la république qu’elle a fondé, la constitution de 1793, son ouvrage, et devenue la propriété la plus sacrée du peuple qui la chérit et l’adore ? N’est-ce pas anéantir cette collection de loix sages, bienfaisantes et populaires, qui ont assuré aux représentans [sic] du peuple l’amour et la reconnaissance de tout le peuple français ?...

Vouloir la suppression de la garde nationale de Paris et des départements, n’est-ce pas provoquer le désarmement d’une grande partie de la nation, pour la placer, quand elle aura été désarmée, sous le joug ou le couteau d’une orgueuilleuse [sic] et tyrannique minorité ?... N’étoit-ce pas le systême de Lafayette, qui n’imagina les  compagnies soldées,  que pour enlever aux sans-culottes leurs moyens de défense, avec la liberté ? Capet ne demandoit, pour escorter sa cour, son trône et sa personne, pour arservir [ sic ] le peuple et régner despotiquement avec ses nobles et ses prêtres, qu’une  Garde Bourgeoise. Et toi, représentant du peuple, tu nous fais la même proposition !

Si la minorité parvenoit à expulser des assemblées de section les républicains jaloux de leurs droits, amis de l’égalité et de la démocratie, idolâtre de la constitution de 93, la France entière ne retomberoit-elle pas dans un état plus malheureux et plus servile que celui où elle étoit avant 89 ?

Eh bien ! dis moi si, avec ton tableau de signalement et de proscription, tu n’enveloppes pas les deux tiers de la population française ? Tous, ou presque tous les sans-culottes de la république ont été jacobins ! Tu chasses donc des assemblées de section tous, ou presque tous les sans-culottes Français !...

 


[1] Cité dans Alphonse AULARD. Paris pendant la Réaction thermidorienne et sous le directoire. Paris, 1908. Tome , p. 174.

[2] Cette argument de collusion entre les montagnards, les sans-culottes et le royalisme fut un des lieux-communs les plus usés par les thermidoriens pour discréditer leurs adversaires politiques.

[3] Il s’agit d’une légende qui eut la vie dure bien que ne se basant que sur des approximations. Il semblerait que Lebois, l’associé de Chasles dans l’Ami du peuple, fut en rapport avec Ange Pitou, le journaliste royaliste, celui-ci aurait même écrit dans le journal après la brouille entre Chasles et son éditeur. Comme Pitou, originaire de Châteaudun, avait fréquenté le collège Poquet de Chartres au moment où Chasles y a enseigné et y avait été son élève, les mauvaises langues intéressées à nuire à Chasles en conclurent perfidement qu’il  avait été jusqu’à collaborer au journal de l’abbé Royou, l’Ami du roi. Récemment, Serge Luzzato dans L’automne de la Révolution, reprend à son compte cette légende infondée dans un ouvrage non partisan sur thermidor, et qui même aboutit à réévaluer le rôle de Chasles à la Convention et dans la vie politique au lendemain du 9 thermidor (Sergio, LUZZATTO. L’automne de la révolution. Luttes et cultures politiques dans la France thermidorienne. Paris, Honoré Champion éditeur, 2001. pages 89-90 de l’ouvrage ).

[4] Le 20 pluviôse ( 8 février 1795 ),  Mathieu, au nom du Comité de sureté général, venait annoncer à la Convention les mesures prises ( il cite sans le nommer l’Ami du peuple de Chasles ) qui étaient : arrestation de Babeuf et fermetures des club Lazousky du faubourg Saint Marceau et celui des Quinze-vingt du faubourg Saint Antoine. Moniteur Universel, n° 142, Duodi  22 pluviôse an III ( 10/02/1795). P. 584.

[5] Moniteur Universel, n° 117, Septidi  7 nivôse an III ( 16/01/1795). P. 481 à 483.

[6] Alphonse AULARD. Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le directoire. 1898. Tome 1, p. 389-390.

[7] Paris : rue Traversière-Honoré, n°21, pluviôse an III. In-8°, 103 p. ( B N  Lc2-2617 ).

[8] Alphonse AULARD.Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le directoire. 1898. Tome 1, p. 455.

[9] BN  Lb41. 1623, in-8°, 7 pages.

[10] A son collègue Fréron. Paris, 19 pluviôse an III ( AN, AD XVIII A 16 et B N Lb41. 1622 ).

[11] Journal des lois de la République française, N° du 23 pluviôse an III ( 11 février 1795 ). ( B N Lc2. 742, 4e volume.

[12] Nous avons eu l’occasion de voir précédemment que déjà au cours de la lutte entre Gironde et Montagne, les écrits de Chasles du temps de son séjour à Chartres avaient été régulièrement utilisés pour remettre en cause son patriotisme. 

[13] Cette petite brochure est accessible en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale.

[14] Mémoires de Louvet de Couvrai sur la Révolution française. Réédition complète de A. AULARD. Paris, 1889. Tome 1, p. 271.

[15] Alphonse AULARD. Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le directoire. 1898. Tome 1, p. 239.

[16] Idem.

[17] Moniteur Universel, n° 164, Quartidi  14 ventôse an III ( 4/03/1795). P. 671.

[18] Alphonse AULARD. Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le directoire. 1898. Tome 1, p. 581 et 587-588.

 

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