Jacques Pierre Michel Chasles ( 25 ) : maire de Nogent-le-Rotrou, conventionel, Montagnard, prêtre défroqué...
Chasles : L'Ami du Peuple. ( 4 ) : La Rupture avec Lebois.
Dans le dernier numéro de l’Ami du peuple paru en collaboration avec Lebois, le numéro 14 du 20 frimaire an III ( 10 décembre 1794 ), Chasles attaquait Fréron[1], un des principaux organisateur du coup du 9 thermidor an II avec Tallien, porte-parole de la réaction thermidorienne à travers son journal L’Orateur du peuple. Fréron était aussi l’organisateur, avec Tallien, de la « Jeunesse Dorée », des bandes de 2 à 3 000 jeunes muscadins –suspects sortis de prisons, insoumis, journalistes, artistes, clercs, courtiers, petits commerçants - , qui maltraitaient les patriotes, notamment les Jacobins.
Chasles relevait les nombreuses liaisons de Fréron avec l’aristocratie : comme filleul de Stanislas 1er roi de Pologne et duc de Lorraine, beau-frère du marquis de Poype, neveu maternel de l’abbé Royou, le rédacteur de L’Ami du roi, et enfin comme fils d’un enseignant en Sorbonne qui s’attaquait à « […] tout ce qui portoit le nom de penseur, de philosophe et d’homme libre »[2].
Cette attaque virulente n’alla pas sans réaction de la part des thermidoriens ( voir le l’article consacré au attaques des thermidorien contre l’Ami du peuple ).
Une brouille, dont on ne connaît pas vraiment la cause, éclata entre Lebois et Chasles au moment de la préparation du numéro 15 de l’Ami du peuple, vers la mi-décembre 1794. Toujours est-il que le numéro 15 sortit le 30 frimaire an III ( 20 décembre 1794 ), Chasles n’y prit pas part. Il semblerait que Lebois fit alors appel, pour remplacer Chasles, à Ange Pitou durant une très brève période, ce qui alimenta une longue série d’insinuations concernant la collaboration entre Chasles et le journaliste royaliste Ange Pitou. Insinuations sans doute entretenues par le fait que Pitou avait été l’élève de Chasles à Chartres avant la Révolution. Lebois continua à faire paraître le journal jusqu’au moins en l’an VII ( 1798-1799).
Le 2 nivôse an III ( 22 décembre 1794 ), une lettre de Chasles à son collègue député Charles Duval fut insérée dans le journal de ce dernier, le Journal des Hommes libres. Il s’y proclamait comme le rédacteur et le propriétaire du journal[3] et annonçait que le véritable numéro 15 allait bientôt paraître. Lebois répondit par une brochure intitulée R. F. Lebois au prêtre Chasles et à ses concitoyens[4]. Lebois commençait par nier que Chasles fut le propriétaire et le rédacteur du journal mais surtout donnait comme raison de la brouille la cupidité et la crainte :
« Il y a environ dix jours qu’un grand nombre de tes collègues ( représentants du peuple ) se sont abonnés au journal. Ta cupidité a profité de la circonstance, et c’est à cette époque que tu as cru impunément pouvoir te faire une réputation en t’emparant de la confiance accordée à un journal que tu n’avois, jusqu’alors osé signé… D’ailleurs tu avoueras, je l’espère, que tu m’as fait prêter serment de ne jamais déclarer que tu étois le rédacteur du journal ; [… ce qui constituait un aveu, de la part de Lebois, que Chasles en fut bel et bien le rédacteur…] que tu brûlois toutes les copies qui avoient servi à l’impression de chaque numéro, dans la crainte, disois-tu, qu’elles ne se trouvent entre mes mains ou chez toi, si je venois à être arrêté, ce que tu me faisois craindre tous les jours. Tu exigeois même que je n’allasse chez toi que le soir, de peur que je ne sois suivi… »
L’argument de la crainte était peu crédible si l’on en croit l’attitude Chasles à la Convention et le témoignage de Billaud-Varennes dans ses mémoires rédigés à Saint Domingue à la fin de sa vie : « Nous [… les derniers montagnards…] du moins, nous nous défendîmes avec dignité. Duhem leur [… les thermidoriens réacteurs…] tenait tête tous les jours. Les amis qui le secondaient étaient Lejeune, Fayau, Chasles, Goujon, Rühl,… »[5]
Chasles publia encore deux numéros de L’Ami du Peuple, signé « C***. R. du P. » ( Chasles représentant du peuple )[6]. Un numéro 15 qui parut le 10 nivôse an III ( 30 décembre 1794 ), il s’y montrait un farouche opposant des thermidoriens tout en se réclamant de thermidor :
« Le 10 thermidor doit sauver la République et il la sauvera : mais ce ne sera qu’après la ruine entière de la nouvelle faction Thermidorienne, parce qu’elle s’est emparée du mouvement salutaire du 10 thermidor. »[7]
Il revint sur ce thème dans son ultime numéro, le 16, daté du 21 nivôse an III ( 10 janvier 1795 ) :
« Puisse la journée du 10 thermidor, sur laquelle l’opinion du peuple est encore indécise, nous donner un gouvernement parfait, comme le 31 mai nous a donné la plus parfaite des constitutions ! Jusques à quand les patriotes seront opprimés, et les aristocrates triomphans ? Jusques à quand le peuple entendra-t-il répéter dans les carrefours et sur les toits ce cri de guerre civile : à bas le 31 mai ! à bas le bonnet rouge ! à bas les sans-culottes !...faut-il pour dessiller tous les yeux, que le royalisme, qui ne se cache plus, ait inondé la France du sang des patriotes, qu’il ait réduit le peuple au désespoir ?... »[8]
L’Ami du Peuple de Chasles cessa de paraître après ce numéro 16.
[1] Pour une vue synthétique de la biographie de Fréron voir la notice qui lui est consacrée dans Albert SOBOUL. Dictionnaire historique de la Révolution française. Paris : PUF, 1989. P. 484. Voir aussi Albert MATHIEZ. La Réaction thermidorienne. Paris, La fabrique éditions, 2010.
[2] L’Ami du Peuple, n°14, 20 frimaire an III.
[3] L’Ami du Peuple.
[4] Brochure de 4 pages in 8° ( B N Lb41. 4191 ).
[5] Billaud-Varenne. Mémoires inédits et Correspondance. Paris : Librairie de la Nouvelle Revue, 1893. P. 235.
[6] Ces deux numéros sont cotés à la B N 8° Lc2. 830.
[7] L’Ami du Peuple, n°15, 10 nivôse an III. P. 103.
[8] L’Ami du Peuple, n°16, 21 nivôse an III. P. 112.