Jacques Pierre Michel Chasles ( 20 ) : maire de Nogent-le-Rotrou, conventionel, Montagnard, prêtre défroqué...
Chasles et le 9 Thermidor an II ( 27 juillet 1794 ).
Le 9 thermidor an II ( 27 juillet 1794 ), Robespierre, Saint Just, Couthon et Robespierre jeune étaient décrétés d’arrestation par la Convention. Après une tentative, ratée, d’insurrection de la commune de Paris durant la nuit, ils furent exécutés le 10. Cette date constitua un événement politique majeur, ne serait-ce que par l’identité des Conventionnels concernés, mais ces journées ne furent pas vécues immédiatement comme une rupture claire car la terreur et le gouvernement révolutionnaire n’étaient pas remis en cause mais au contraire reconduits. Ce qui peut expliquer qu’un nombre certains de montagnards non seulement acceptèrent le nouveau cours des événements mais pour certains, et non des moindres, y participèrent activement. Chasles fit partie de ceux-ci et resta fidèle à ses options politiques d’avant thermidor[1]. Dans un ouvrage récent Serge Luzzato consacre beaucoup de pages à Chasles qu’il considère comme un des plus lucides de ces derniers Montagnards, ceux que leurs adversaires politiques prirent l’habitude de surnommer les « crétois ». Sans aller jusque-là force est de constater que son action politique après Thermidor, sans devenir de premier plan, devint plus importante et plus influente sur le côté gauche de la Convention.
Durant la nuit fort mouvementée du 9 au 10 thermidor, la Société des Jacobins fut invitée « […] à venir renforcer la commune et à délibérer avec elle, sans cependant abandonner le lieu de ses séances ; on lui demande le renfort de ses tribunes, MÊME DE SES FEMMES HABITUEES. »[2]
Au début de la séance, la Société se déclara incompétente ( refus ) à la demande du Comité du sûreté générale de lui remettre le discours de Robespierre dont elle avait ordonné l’impression. Elle correspondit régulièrement avec la Commune de Paris, approuva tous ses arrêtés[3]. Elle fit serment de ne point désemparer que les traîtres ( les anti-robespierristes ) ne fussent anéantis. Elle chassa Brival qui annonçait qu’il avait voté contre le « Tyran » ( Robespierre ). Sur une note jointe au procès-verbal, non signée, on lit : « Châles demande que ses collègues soient interpellés sur ce fait ; mais l’on croit que cela va jeter la division, et l’on rapporte l’arrêté. »[4] Cette phrase est pour le moins ambigüe, de quels collègues parle Chasles ? Ce dernier, comme Brival, avait voté contre Robespierre, et nous avons vu précédemment qu’il pouvait à juste titre avoir des griefs contre celui-ci et ses amis politiques. Il s’agissait sans aucun doute d’un geste de défi adressé à la Majorité de la Société qui penchait alors pour Robespierre comme le confirme la séance du 13 thermidor, mais cette phrase peut être interprétée de façon diamétralement opposée. De toute façon, il ne semble pas que Chasles ait été rayé des Jacobins même si cette nuit fut agitée pour lui aussi. Selon R. Cobb, dans la cour du club déblatérant au milieu d’un groupe, il força le sens du discours prononcé la veille par Robespierre au sein des Jacobins. S’ensuivit une altercation avec Lagarde, celui-ci lui reprochant d’être un prêtre et lui lançant : « […] que la tribune des Jacobins était ouverte, que c’était là qu’il fallait censurer Robespierre, mais que c’était perfidie de l’attaquer où il n’était pas. » Ce à quoi Chasles lui montrant sa jambe assura que sa blessure lui donnait le droit de tout dire et menaçant Lagarde de le faire arrêter[5].
Lors de la séance du club des Jacobins du 13 thermidor an II ( 31 juillet 1794 ), Thirion soutenu par Monnestier ( du Puy de Dôme ) demanda que la Société déclarât comme non avenue toute exclusion de membre qui n’ont pu se défendre. Un membre demande au préalable que la Société s’épure à nouveau pour en éliminer les robespierristes. Alors : « Quelques membres demandent que l’on prenne des informations sur ceux qui ont insulté Brival et Châles pour avoir voté contre Robespierre, et qui rodaient autour des députés pour savoir s’il y en avait qui fussent partisans de ce conspirateur. » Un peu après Chasles montait à la tribune : « [ Il ] se plaint de la manière indigne et scandaleuse avec laquelle il fut traité dans la nuit du 9. Il dénonce un nommé Lagarde pour s’être précipité sur lui dans le dessein de le frapper. Ce furieux, ayant été arrêté, se dégage des bras de ceux qui le retenaient, s’élance à la tribune pour soulever contre l’opinant l’indignation des partisans de Robespierre, contre lequel il lui reproche d’avoir voté. Entre autres propos atroces qui lui échappèrent, l’on frémit de celui-ci : « Châles a la tête de trop ; c’est à la guillotine à la faire tomber. » L’orateur demande que, si Lagarde est dans le sein de la Société, il soit conduit au Comité de sûreté générale. Un citoyen qui s’appelle Lagarde se présente. Châles déclare que ce n’est pas celui-là, mais qu’il sait la demeure de l’autre, et que cela suffit pour prendre les mesures convenables. » S’en suivirent d’autres dénonciations. Hassenfratz et Thirion demandèrent que la Société cessât les dénonciations particulières, le premier précisant qu’elle relevaient des tribunaux. Selon eux, la Société devait s’occuper en priorité du salut public et de la surveillance à exercer sur l’action du gouvernement. Thirion proposa que toutes les dénonciations individuelles fussent renvoyées au Comité de présentation, cette proposition fut adoptée[6].
[1] L’ouvrage de référence sur l’événement lui-même est le petit livre de Françoise BRUNEL. Thermidor, la chute de Robespierre. Bruxelles : Editions Complexe, 1989. A lire également l’ouvrage portant sur l’ensemble de la période dite thermidorienne, réédité récemment par Yannick BOSC et Florence GAUTHIER, d’Albert MATHIEZ. La réaction thermidorienne. Paris : La Fabrique édition, 2010 ; ainsi que ceux de Bronislaw BACZKO. Comment sortir de la Terreur, Thermidor et la Révolution. Paris : Editions Gallimard, 1989 et de Serge LUZZATO. L’automne de la révolution, luttes et cultures politiques dans la France thermidorienne. Paris : Honoré Champion éditeur, 2001.
[2] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 6, page 289 à 292. Voir le document ci-dessous :
« Une heure après minuit.
LES MEMBRES COMPOSANT LA COMMUNE DE PARIS, A LEURS FRERES
LES JACOBINS DE PARIS.
« Camarades, vous êtes invités de vous rendre à l’instant en grand nombre, ainsi qu’une partie des citoyens et citoyennes de vos tribunes, pour vous unir aux membres de la Commune ; néanmoins, vos frères vous engagent, au nom du salut public, de ne pas abandonner votre séance.
« Les membres composant le Comité d’exécution
De la Commune de Paris,
« Signé : ARTHUR ; LEGRAND ; PAYAN ; CHATELET ; GRESSARD ;
COFINHAL ; GIBERT ; le maire, LESCOT-FLEURIOT. »
[3] Selon Aulard : « […] Il en est même qu’elle lui dicte. […] » ( page 290, mêmes références que pour la note précédente ).
[4] Idem que pour la note 2, page 291.
[5] Annales historiques de la Révolution française. Juillet-septembre 1953, pages 270-271. Voir aussi A.N. F7. 4758, dos. 3.
[6] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 6, page 302 à 307.