Un défenseur inconditionnel de la Constitution de 1793.
Nous verrons que Chasles fut un des plus fervents défenseurs de la Constitution de 1793 sous la Convention thermidorienne, en demandant son application. Dès juin 1793, au moment où elle était votée, il semblait persuadé de sa très prochaine application, ce dont témoignent plusieurs lettres qu’il envoya à la Société patriotique de Nogent-le-Rotrou. Le 11 juin 1793, il écrivait :
« Vive l’Egalité !
Vivent les sans-culottes !
frères et amis, il y a deux ans, à pareil jour, que ma bonne étoile m’a conduit et fixé à Nogent. il vous souvient de mon installation dans l’Eglise de l’Aumône, le jour de Pentecôte. dans un petit Discours que je prononçai, je promis de soutenir la révolution et de défendre, de tout mon pouvoir, les intérêts du peuple. c’est à vous de me juger maintenant. quant à moi, je me rends ce témoignage, que je ne pouvois pas en faire d’avantage. je me suis attiré, pour la cause du peuple, des milliers d’ennemis sur les bras. ma tête a été mise à prix. toutes les autorités constituées m’ont déclaré la guerre ; ma vie, depuis deux ans, a été un enchainement continuel de travaux et de combats. quand je me rappelle tous les événemens qui se sont succédés, et dont j’aurois été la victime sans le courage et la sagesse des braves sans-culottes, je ne puis que répéter ce que j’ai dit souvent : il y a du miracle en tout cela, car il n’est pas naturel qu’un seul homme l’emporte sur tant de fripons. vous m’avez bien récompensé de mes peines. je ne suis pas devenu riche, vous le savez. mais votre confiance et votre estime me flattent plus que les caresses des grands, que les dîners des riches, que la fortune et le crédit dont je jouissois sous l’ancien régime. j’ai eu le plaisir de voir abattu l’orgueil de ces hommes qui vous dominoient autrefois. vous en êtes délivrés. quelques-uns sont encore en place, et moi aussi. les intrigans ont trompé les électeurs. mais patiençe. il n’y aura plus d’assemblées électorales. les citoyens choisiront eux-mêmes les hommes qui mériteront d’arriver aux plaçes. la nouvelle constitution, faite par les montagnards sans culottes de la Convention, donnera au peuple les moyens d’avoir de bons administrateurs, de bons juges ( s’il y en a. j’espère que des arbites en prendront la plaçe ) de bons legislateurs..&& vous la recevrez bientôt, cette constitution. elle a été lue hier. j’en suis très content. et vous pensez bien, que je ne l’approuverois pas, si elle n’étoit pas faite pour l’avantage et le bonheur du peuple. les aristocrates la trouveront détestable. cela doit être. ils savoient que, si la montagne pouvoit prendre ledessus, il n’y avoit plus rien à espérer pour eux. voilà pourquoi ils ont remué ciel et terre pour la détruire. j’ai vu l’instant où nous allions périr. nous étions réellement dans un état presque désespéré, et sans un coup du ciel, il paroissoit impossible de nous sauver. voyez ce qui se passe à Lyon, à Marseille, à Bordeaux. comme les patriotes y sont persécutés, opprimés ! c’est ce qui seroit arrivé à Nogent, si nous avions ménagé les aristocrates. ils ont voulu, à ce que j’ai appris, lever la crête depuis quelques tems. prenez y garde, et ne les perdez pas de vue, que lorsqu’il n’y aura plus rien à craindre. le danger ne cessera pas tout à l’heure. nous avons des ennemis à repousser de nos frontières, la Constitution à faire marcher, des finances à rétablir, et tant d’autres choses à terminer. jusque là, nous avons besoin de la plus grande surveillance. oh ! mes amis, qu’il est agréable pour nous de compter aujourd’hui nos victoires ! nous ne les devons qu’à notre union. tant que nous serons unis, nous sommes invinsibles. votre municipalité, composée de vrais sans-culottes, a sauvé Nogent et tous les environs. je la remercie pour vous, et je vous l’invite à se tenir sur la même ligne, jusqu’à ce que je puisse, après la Convention, aller me joindre à elle, pour travailler au bonheur général.
Châles »
Deux semaines plus tard, le 27 juin, il écrivait encore à la Société nogentaise :
« un mot, mes bons amis.
la Constitution ! Voilà le plus beau présent que je puisse vous envoyer.
acceptez là tout de suite.
réunissez vous, Dimanche prochain sur la place, et jurez solennellement de la défendre jusqu’à la mort.
les aristocrates pâliront d’effroy. leur regne est fini.
faites ensuite une adresse à la Convention, en 3 lignes.
« la Nouvelle Constitution Républicaine nous convient.
nous l’acceptons : et malheur aux intrigans ou aux tyrans qui
voudroient nous la ravir. Nous jurons au pied de l’arbre de la liberté, et la main
sur l’autel de la patrie, de la défendre envers et contre tous. »
Tous les citoyens de …..
Salut = Châles »[1]
Il semble bien que son action en faveur d’une application rapide de la constitution de 1793 se borna à ces courriers, nous n’avons trouvé aucune trace d’une action politique publique allant en ce sens, ce qui tient Chasles à l’écart du groupe politique des « enragés » qui en firent leur cheval de bataille durant l’été et l’automne 1793 après la mort de Marat. Rien n’indique que Chasles fut en contact avec eux et notamment le curé Jacques Roux, même si son orientation politique pouvait l’y pousser. Il est vrai que Jacques Roux après avoir été proche de Marat s’en était fait un adversaire acharné ce qui ne devait pas plaider en faveur de sa cause auprès de Chasles, admirateur de l’Ami du peuple.
[1] Ces deux lettres sont citées dans l’ouvrage de Claude Pichois et Jean Dautry, Le conventionnel CHASLES et ses idées démocratiques. Aix-en-Provence, 1958. Pages 43 à 45.