7 Marat

Chasles » maratiste » ?

Malgré ses dénégations, il semble bien que Chasles se sentait sans doute beaucoup plus proche de Marat que des autres Montagnards, ce que parait montrer la séance de la Convention du 10 janvier 1793 en partie retranscrite dans l’article « Ses interventions à propos de la surveillance des suspects » ( qui prouve qu’il était ressenti par une partie de ses collègues comme « maratiste » ), et celle du 1er mai dans laquelle il confirmait les accusations qu’il avait lancé contre Berruyer ( voir ci-dessous en annexe ). Lord de  la séance du club des jacobins du 29 avril, Chasles dénonçait le refus de la Convention de donner la parole à Marat : « [ …] Un quart d’heure avant midi, Marat a demandé la parole, et tout le côté droit s’est levé pour ne pas l’entendre ; l’heure de midi a fourni le prétexte du grand ordre du jour, mais un décret a assuré la parole à Marat pour demain.[…] »[1] Enfin nous rappelons, que dans « l’affaire Berruyer », Marat et Chasles furent désignés, avec Thuriot, pour examiner la conduite du général suite aux attaques réitérées de Chasles[2]

Nous verrons que, sous la convention thermidorienne, Chasles publia un journal reprenant le titre de Marat : L’Ami du peuple.

Le 3 juin 1793, juste après les journées insurrectionnelles parisiennes aboutissant à la proscription et à l’arrestation des principaux chefs du « parti » girondin, Chasles montait à la tribune de la Convention pour soutenir la proposition de Marat de suspendre ses fonctions de député de Paris[3]. Dans son intervention, il dénonçait l’image que l’on avait tenté de donner de Marat :

 « Châles. Marat est venu lui – même s’offrir hier en martyr de la liberté ; il renouvelle aujourd’hui cette proposition ; elle ne doit pas être vue d’un autre œil. Sa démarche actuelle a d’autant plus de mérite, qu’elle ne peut être dictée par aucun sentiment qu’on puisse suspecter ; car si les événements qui se sont passés n’étaient pas tous à l’avantage de la nation, à l’honneur du peuple parisien, on aurait pu seulement donner alors à sa conduite un motif tout à fait déshonorant.

Au reste, Marat ne doit pas être considéré seulement comme représentant du peuple, mais comme un monstre dont on a voulu effrayer les départements. On le leur  a peint comme un homme de sang et de pillage, afin de les séparer d’une ville qui adoptait ses principes. Eh bien, pourront–ils ne pas être détrompés quand ils le verront cessant lui – même ses fonctions, afin de ne plus leur donner d’ombrage ; ils verront enfin, et ce sera là le premier chef d’accusation à porter contre ceux que votre prudence a écarté de votre sein ; ils verront que Marat n’était point le chef d’une faction de brigandage, il en existait une autre vraiment liberticide, contre laquelle nous avons vainement lutté pendant huit mois, et que le peuple vient enfin d’étouffer. Je conclus à ce que l’Assemblée passe à l’ordre du jour, et ordonne l’insertion de la lettre de Marat au Bulletin. » Basire[4] demanda la question préalable sur Marat ensuite. La Convention suivit la conclusion de Chasles.

Lors de la séance des jacobins du 14 juillet 1793, un membre vint annoncer l’assassinat de Marat[5]. Chasles prit la parole à la suite d’une députation de Société patriotique du Luxembourg qui venait annoncer qu’elle se rendrait en corps  aux funérailles de Marat, pour demander que son journal fût continué.

« CHALES. – En attendant que la patrie reconnaissante ait rendu hommage à Marat les honneurs que sa mémoire a droit d’en attendre, nous rechercherons les effets et les causes des malheureux événements. Nous devons examiner d’où viennent les unes et nous empresser de prévenir les autres.

La principale raison de la haine qu’avaient vouée à Marat tous les aristocrates, c’est la lutte ferme et courageuse, c’est la guerre journalière qu’il leur faisait sans repos. Souffrirons –nous que ces monuments éternels de son esprit et de son courage passent dans l’ombre et demeurent inconnus à la postérité ? Il ne faut pas que son travail soit perdu, que son œuvre cesse ; je demande que la Société arrête que l’Ami du peuple sera continué. ( Applaudi. ) C’est un titre trop cher pour que nous puissions le laisser perdre.

Je demande que dès demain, s’il est possible, les feuilles de Marat soient continuées, avec cette énergie, avec ce feu brûlant qui les caractérisèrent ; que dévouées, comme de son temps, à dénoncer les traîtres, les fripons, elles embrasent la circonférence de la République et fassent constamment et à toute heure justice des conspirateurs de tout genre.

(Ici un bruit, qui, depuis le commencement de la séance, se manifestait à l’un des bouts de la salle et interrompait les orateurs, devient si fort que toute la Société est scandalisée. On se porte en foule vers le perturbateur.)

Le Président se couvre ; le silence enfin renaît ; le Président adresse des reproches aux mutins ou aux traîtres qui perdent ainsi le temps de la Société et, par suite, les intérêts de République qu’elle discute.

CHALES.- Je demande que tout ce qui fut la propriété de Marat, que ses presses surtout ne passent pas en des mains étrangères ; que les Jacobins, à qui seuls elles doivent appartenir, se hâtent d’en faire l’acquisition.

Je demande que son journal continue sous un nom qui rappelle et son but et son instituteur, en adjoignant pourtant d’autres à ce nom respectable, afin de présenter encore une fois aux aristocrates celui qui les combat et la victime qu’ils doivent frapper. Les vrais apôtres de la liberté ne craindront pas sans doute de se dévouer en combattant pour elle. On doit faire peser sur ce journal une responsabilité individuelle, et j’offre la mienne sans crainte : il n’est pas un Jacobin qui n’en doive faire autant. »[6]

Bentabole monta ensuite à la tribune, précisant perfidement : «  Il est beau sans doute de voir des citoyens se proposer pour remplacer Marat, mais cette tâche n’est pas si facile qu’on le croit.

Quand nous auront trouvé un homme qui, comme Marat, ait passé depuis quatre ans les nuits entières à méditer le bonheur du peuple et la chute du tyran ; qui ait combattu, avec une égale audace, les rois, les prêtres, le nobles, les intrigants, les fripons et les conspirateurs ; qui ait bravé le fer, le feu, les poisons, les cachots, l’échafaud même, celui-là sera digne d’être substituer à Marat. »  Il finit son intervention en proposant Fréron comme successeur de Marat.

Le bruit recommençait et Legendre expliqua qu’on a voulu l’étrangler car il trouvait inutile qu’on continue le journal de Marat. Robespierre fit un discours pour insister sur la nécessité d’encore mieux servir la patrie en repoussant les ennemis de la Révolution pour venger la mort de Marat, il considérait que tous les projets de funérailles, de panthéonisation étaient ridicules, c’était une façon détournée d’enterrer le projet de continuation du journal de Marat qui tenait tant à cœur à Chasles. Ce qui n’empêcha pas Chasles de revenir à la charge lors de la séance des Jacobins du 22 juillet 1793, apparemment sans résultat : « Châles annonce  qu’il se publie dans deux chefs-lieux de district des journaux intitulés Ombre de Marat. Il demande qu’on encourage ces productions et qu’on établisse dans chaque district  une imprimerie nationale. – […] »[7]

7 mort de MaratEnfin nous citerons un document provenant de la société populaire de Nogent-le-Rotrou : « Adresse des républicains sans-culottes de la ville de Nogent-le-Rotrou à la Convention » lue à la tribune de la Convention le 20 juillet 1793[8]. Adresse dans laquelle nous sentons l’influence de Chasles ou tout au moins un convergence de vue avec ses anciens camarades nogentais, camarades avec lesquels il entretenait une correspondance suivie, la rapidité de la réaction nogentaise laisse au moins supposer que Chasles fit personnellement part de l’événement à ses amis percherons. Mais il est possible que Chasles lui-même ait quelque peu guidé la main des signataires, car ce dernier fit une lecture de cette adresse au Club des jacobins lors de sa séance du 19 juillet[9].

« Représentants du peuple,

Le voilà donc assassiné cet homme que les Pétion, les Brissot, les Rolland appelaient Buveur de sang ! … hommes aveugles et crédules. Les connaissez-vous enfin vos ennemis et vos boureaux ? Quand luira donc le jour de la vengeance ! Marat, l'ami de la vérité, de la justice et du peuple, ta mort serait-elle impunie ? Les perfides ! Les lâches ! Ils n'ont pu t'assassiner par le glaive de la loi, ils te plongent le poignard dans le sein ! Ombre de Marat, ombre fière et terrible ! Oui tu seras vengé. Nous tous, tes amis et tes frères, nous le jurons par tes mânes, par les 14 juillet, le 10 août et le 31 mai, ils périront, tes meurtriers et les notres ; ils ne seraient dejà plus si leur affreux machiavélisme ne leur avait donné pour rempart et pour cortège toutes les horreurs de la guerre civile. Avant de le frapper, éclairons nos frères, au milieu desquels ils se sont réfugiés ! La mort de Marat dessillera les yeux ; et vous représentants du peuple, vous surtout victimes vouées à la fureur des traîtes, donnez donc à la France et à l'Europe entière le signal terrible, mais nécessaire du dernier effort qui doit nous anéantir ou nous sauver. N'attendez pas qu'un fer sacrilège nous prive successivement de tous nos défenseurs ; ne donnez pas aux assassins coalisés de l'Eure, du Calvados, de la Vendée, de Lyon, de Marseille, le temps de réunir leurs poignards et leurs poisons. Parlez ! Nous sommes prêts. Rendez utile à la patrie la mort de Marat. Sauvez-nous, législateurs, et sauvez-vous vous-mêmes. »

La Convention décréta la mention honorable et l'insertion au Bulletin[10]

Le 28 juillet 1793, aux Jacobins, Chasles prit la parole pour prononcer un discours en hommage à Marat. « Châles prononce un long discours pour établir que les hommes de la Révolution doivent rester fidèles à l’esprit de Marat. Il se plaint que les fonctionnaires fassent la cour aux ministres. Il attaque vivement les représentants en mission, qu’il accuse de ne s’occuper que de vivre en bonnes relations avec les généraux et les officiers.[…] ». Ces attaques suscitèrent au moins une réaction : « […] Un membre déclare qu’il a vu Châles en conversation avec un aristocrate, Nanteuil de Narville,  administrateur des postes. […] ». Chasles ne répondit pas, mais à l’époque il s’occupait d’un projet de réforme des postes et messageries[11]. Deux jours auparavant, le 26, il demandait aux Jacobins, suite à la lecture, par Le Peletier, d’une adresse aux Français sur la mort de Marat « […] que les députés des communes, qui arrivent de toutes parts dans la capitale,  soient admis dans la Société et reçoivent le baiser fraternel du Président. (Applaudi. ) »[12]

Dans une lettre adressée aux sans-culottes de Nogent-le-Rotrou, le  9 fructidor an II ( 26 août 1794 ), il ne laissait pas de doute sur son admiration pour Marat.

Signalons enfin cette remarque d’Albert Mathiez dans   La réaction thermidorienne : « [… ] Aucun journal, […], ne fit tête à la  réaction [thermidorienne ] avec plus de résolution que l’Ami du peuple, dont les premiers numéros, qui parurent à partir du 29 fructidor [… ], furent rédigés par le Conventionnel Chasles, qui ne se proclamait pas seulement maratiste, mais qui l’était bien. […] »[13]. Il est vrai que quelques pages auparavant, le même auteur qualifiait Chasles d’hébertiste[14], ce que rien ne permet de confirmer[15], même si la société populaire d’Authon-du-Perche fut abonnée au Père Duchesne d’Hebert, ce ne fut pas par une initiative de Chasles mais parce que le Comité de salut public abonna les sociétés populaires à un certain nombre de journaux « montagnards » à partir de l’été 1793[16].

Aux vues de l’ensemble de ces prises de position nous pouvons affirmer, comme le fit  A. Mathiez, que Chasles non seulement se définissait comme maratiste mais qu’il l’était bel et bien, même si rien ne nous permet d’avancer que les deux hommes aient été proches sur le plan personnel.


Annexe : Retranscription d’une partie de la séance de la Convention du 1er mai 1793 .

Présidence Lasource[17]

 «  […]

Goupilleau ( de Montaigu ). J’étais dans le département d’Indre-et-Loire et sur le point de terminer ma mission, lorsqu’éclatèrent les premiers troubles de Vendée. Vous m’ordonnâtes alors de rejoindre nos collègues Richard et Chaudieu [ erreur de transcription, il s’agit de Choudieu ] et de les aider pour la mission que vous leur aviez confiée dans le département de Maine-et-Loire. J’ai obéi à vos ordres ; j’ai toujours été avec eux depuis cette  époque. Dimanche dernier ils ont jugé à propos de m’envoyer avec le général Berruyer auprès du comité de Salut public, et c’est ce qui explique ma présence au milieu de vous.

Je n’entrerai pas ici dans des détails qui ne doivent pas être divulgués ; je me contenterai d’un simple mot ; je prie la Convention, au nom de mes collègues et au mien, de ne pas ajouter foi aux dénonciations qui ont été faites contre Berruyer et Menou. Ces dénonciations ne sont fondées que sur des faits faux ; il serait fâcheux pour la chose publique que, par suite de mensonges ou d’erreurs, on enlevât la confiance des hommes qui doivent l’avoir.

C’est ainsi que Châles, qui était à Chartres, à 50 lieues du théâtre de la guerre, est venu ici nous entretenir de faits qu’il ne connaissait pas contre Berruyer et contre les commissaires. C’est ainsi qu’il vous a abusé sur le compte de ce général, ainsi que sur celui de Menou.

Citoyens, je suis venu ici, non pour repousser ces calomnies, parce que les calomnies retombent d’elles-mêmes sur les calomniateurs, mais pour démontrer que Châles s’en est rapporté à un homme qu’il ne connaissait peut-être pas et qu’il a eu tort de vous présenter, sur son témoignage, de faux rapports. Je démontrerai que vos commissaires n’ont pas démérité de l’Assemblée et sont toujours dignes de la confiance que l’armée leur accorde ; je prouverai au comité de Salut public, par les détails les plus précis et les récits les plus circonstanciés, que vos généraux et vos commissaires ont fait leur devoir ; je montrerai enfin que ceux qui ont parlé ici sont des calomniateurs, et si Châles, qui a tant débité contre les ci-devants, eût bien voulu se replier sur lui-même, il aurait dû sentir que si l’on n’aimait pas les nobles, on  aimait encore moins les prêtres, car ils ont fait encore plus de mal. ( Rires ironiques sur un grand nombre de bancs. )

Châles vous a dit que les généraux affectaient le luxe de l’ancien régime. J’aurais voulu que Châles fût venu avec nous, qu’il nous eût vus à cheval pendant dix-huit heures, couchés sur le foin, ne mangeant que du pain de soldat, que nous trouvions fort bon car nous n’en avions point d’autre, et ne buvant que de l’eau. Je lui demanderais alors si c’est là le luxe insolent de l’ancien régime ; dans ce cas, je conviens qu’on aurait bien tort de se battre pour le rétablir. ( Rires et applaudissements. )

Je demande que la Convention, lorsqu’on lui fera de pareilles dénonciations, veuille bien ne rien préjuger, sans, au moins, consulter auparavant les commissaires qu’elle a envoyés près des armées. Je demande, en outre, que tous les membres du comité de Salut public s’assemblent à une heure indiquée, en présence du ministre de la guerre, pour entendre le rapport que j’ai à leur faire. J’apprends qu’il est venu deux administrateurs du département de Maine-et-Loire vous dénoncer Berruyer, parce qu’il n’a pas voulu communiquer avec eux…

Phillipeaux. Oui, et ils ont eu raison ; car Berruyer est la cause de tous les ravages de ce département. Il y a 40 villes qui sont saccagées, dans ce moment, par sa faute.

Goupilleau ( de Montaigu ). Président, je déclare que je n’ai jamais connu Berruyer avant d’être allé, sur vos ordres, à l’armée de réserve, je ne le défends donc que parce que je crois dire la vérité. S’il s’est rendu coupable, à mon insu, d’actes répréhensibles, tant pis pour lui ; mais je demande avant tout que ceux qui ont des faits à dénoncer, les signent.

On parle de pillage ; oui, il y en a eu ; et j’en ai été témoin moi-même ; mais j’affirme qu’il a été impossible de les empêcher. Chaudieu et moi nous avons fait tout ce que nous avons pu et Berruyer, de son côté, a usé de tous les moyens qui étaient en son pouvoir. Lorsque 3 à 4,000 individus pénètrent, par la violence, dans les maisons, aucune force ne peut réprimer de pareils excès. Le mieux est de reconnaître la vérité tout entière, et je reproche à notre collègue Carra de n’avoir parlé ici que du pillage de quelques ballots de toile, alors qu’on a emporté tout ce que l’on a trouvé sous la main.

Nous avons engagé les administrations à prendre un arrêté à ce sujet ; et, une fois l’orage passé, nous avons fait remettre en magasin tout ce qui nous a été possible de sauver de la ruine. On tâchera d’indemniser les propriétaires dans la mesure du possible.

La Convention me pardonnera de ne pas rentrer dans plus de détails parce que je craindrais d’en trop dire. J’invite les membres du comité de Salut public à vouloir bien se transporter dans leur salle de délibérations ; je leur rendrai un compte exact et fidèle ; je défie bien qu’on y contredise.

Châles. Je demande la parole pour répondre aux inculpations qui me sont faites. Il y a quelques jours des députés extraordinaires du Maine-et-Loire vinrent vous faire une pétition, dans laquelle ils me traitèrent de calomniateur ; je demandais la parole pour me disculper, mais la Convention ne crut pas devoir se détourner de son grand ordre du jour pour m’entendre. Depuis ce temps-là, je n’ai pas voulu l’interrompre. Aujourd’hui, un de mes collègues vient insinuer, à l’appui des réclamations de ces administrateurs, que j’avais été trompé.

Citoyens, je dois d’abord établir ici la vérité des faits. J’ai su, avant même de descendre de la tribune que des journalistes, la plupart infidèles pour ne pas dire inciviques, en tout cas mal intentionnés, se préparaient à empoisonner ce que je venais de dire et à dénaturer les faits que je rapportais sur ce qui se passait dans les départements révoltés ( Interruptions et murmures sur un certain nombre de bancs.)

Oui, je l’ai su, car un de mes collègues m’a dit : « le Moniteur rendra bon compte de ce que tu viens de dire contre les commissaires de la Convention, contre les citoyens d’Anger, contre Berruyer, contre les administrateurs du département d’Eure-et-Loir ».  A ce j’ai répondu : «  Je n’ai rien dit contre nos collègues qu’un seul fait, c’est qu’ils avaient été les témoins muets du faste oriental de Berruyer » ( Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs.)

Goupilleau ( de Montaigu ). Cela est faux.

Châles. Veuillez bien ne pas m’interrompre. S’il est vrai que je n’ai articulé que ce seul fait contre nos collègues, je n’ai d’autre justification à alléguer, que d’établir d’abord la preuve du luxe oriental de Berruyer, en second lieu la présence muette de nos commissaires en face de ce luxe. J’observe, en passant, que lorsque j’ai parlé des commissaires j’ignorais complètement que Goupilleau était avec eux.( Murmures.)

Plusieurs membres : Ah ! Ah !

Châles.Je n’entendais parler que de Richard et Choudieu.

Goupilleau ( de Montaigu ). C’est eux aussi que je viens disculper.

Châles.  Les preuves de ce que j’ai dit sont consignées dans la pétition même des députés extraordinaires du Maine-et-Loire. L’un de ces députés est le frère de La Révellière-Lépaux[18], et s’appelle comme lui ; l’autre est un nommé Kélibre, chef de légion dans le département de Maine-et-Loire. Tous ont écrit à la barre que Berruyer avait refusé toute espèce de communication avec les corps administratifs et les municipalités.

Ainsi, voilà une première preuve ; je vais en donner une seconde, je prie qu’on ne m’interrompe pas.

Plusieurs membres de la députations sont venus me trouver le lendemain du jour où j’ai parlé  à cette tribune, et ils m’ont dit : «  Châles, tu avais bien raison ; il y a des faits très graves sur Berruyer et son faste est la moindre faute qu’on ait à lui reprocher. »

Goupilleau, sans doute, a pu être trompé. A cela, je réponds que non ; car, outre l’attestation du bataillon d’Eure-et-Loire [sic], j’ai cru le témoignage d’un homme qui en vaut bien un autre, je veux parler du procureur général syndic de ce département. ( Murmures prolongés.)

Un grand nombre de membres : La clôture, la clôture !

Goupilleau ( de Montaigu ). Je demande que Châles soit entendu jusqu’au bout.

Châles. Je n’ai que quelques mots à ajouter. Le procureur général syndic du département d’Eure-et-Loire [ sic ] s’appelles Baras [ Maras en fait ] ; comme ce nom offre une espèce de consonnance [ sic ] avec Marat, on n’a point voulu communiquer avec les volontaires du bataillon d’Eure-et-Loire [ sic ] qu’on soupçonnait être maratistes, parce que le procureur général syndic Barras était leur chef.

( Un membre demande le renvoi de toutes ces explications au comité de Salut public. ) 

[…] »[19]



[1] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 5, page 169-170.

[2] Voir sur ce blog l’article « Chasles :  interventions à propos de la surveillance des suspects ». Voir en annexe ci-dessous une retranscription d’une partie de la séance de la Convention du premier mai 1793.

[3] La Gironde avait fait traduire Marat devant le tribunal révolutionnaire le 12 avril 1793 ( une partie de la Montagne se méfiant de lui ne le soutenant pas ). Mais, alors au sommet de sa popularité, il fut acquitté triomphalement le 24. La chute de Brissot et de ses amis les 31 mai, 1er et 2 juin 1793 fut une victoire personnelle pour lui. Cependant, le 3 juin il suspendit ses fonctions de députés. Les raisons de cette décision furent multiples : d’abord des raisons physiques, la maladie dont il souffrait depuis plusieurs années s’était aggravée, mais aussi des raisons politiques : il était de plus en plus isolé au sein de la Montagne, certains ne le supportant que pour ses liens avec les sans-culottes, or ces liens commençaient à se distendre ( il avait pris ses distances avec le club des cordeliers et surtout avec les Enragés, allant jusqu’à les dénoncer comme provocateurs dans son journal en juillet 1793).

[4] Député montagnard de la Côte-d’Or.

[5] Son assassinat eut lieu le 13 juillet.

[6] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 5, page 301 - 304.

[7] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 5, page 310 - 311.

[8] A. N., carton 262, dossier 532.

[9] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 5, page 306. Voici comment Aulard transcrit la scène : «  Châles lit une adresse des citoyens de Nogent-le-Rotrou à la Convention nationale : ces citoyens déplorent la mort de Marat et demandent qu’on punisse Buzot et ses amis. » Or, l’adresse ne parle pas de Buzot, ce qui tendrait à prouver qu’il s’agit d’un rajout personnel de Chasles, ce qui plaide au passage pour une origine nogentaise de celle-ci sans doute fortement soufflée par Chasles.

[10] A. P. Tome 69 - 231-232.

[11] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 5, page 318.

[12] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 5, page 313-314

[13] MATHIEZ, Albert. La réaction thermidorienne. Paris : La Fabrique, 2010. Page 168. Réédition présentée par Yannick Bosc et Florence Gauthier de l’ouvrage paru en 1929.

[14] Idem, page 103.

[15] Cette remarque d’Albert Mathiez est sans doute liée à la mission de Chasles auprès de l’armée du Nord au cours de laquelle il fut en contact étroit avec de véritables exagérés « hébertistes ».

[16] GUYAU, Gérard. « La société populaire d’Authon-du-Perche ( 1793-1794 ) ». In Cahiers percherons, n° 187, 3e trimestre 2011, voir aussi l'article sur ce blog : en cliquant ici.

[17] Député du Tarn, proche des Montagnards au début, il se rapprocha assez vite des Girondins. A la suite de l’insurrection parisienne des 31 mai – 2 juin 1793, il fut décrété d’arrestation le 2 juin. Condamné par le tribunal  révolutionnaire, il fut exécuté le 10 brumaire an II ( 31 octobre 1793 ).

[18] Député girondin du département du Maine – et – Loire. Il passa dans la clandestinité après le 2 juin 1793, il donna sa démission le 13 août 1793 et ne fut pas remplacé. Il revint siéger au sein de la Convention thermidorienne le 18 ventôse an III ( 8 mars 1795 ) et contribua à la rédaction de la Constitution de l’an III.

[19] Archives Parlementaires, LXIII,  673-675.

 

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