Chasles : interventions à propos de l’agiotage.

Comme nous avons pu le constater dans l'article consacré à ses interventions sur les subsistances, le débat sur les subsistances était souvent lié à celui sur l’agiotage. Par ce terme les révolutionnaires, et plus particulièrement les Montagnards, désignaient la spéculation tant sur les prix des subsistances que sur la valeur même des assignats.

3 agiotage

La crise financière s’aggravait par l’émission continuelle des assignats, ce qui entraînait une forte augmentation du coût de la vie. Le 29 novembre 1792, Saint Just conseillait à l’Assemblée d’arrêter les émissions, d’assainir les finances, comme étant le seul remède à la cherté. Il ne fut pas entendu, le problème revint régulièrement dans les débats de l’Assemblée.

En juillet 1793, Chasles intervint à la Convention au cours de l’un débat sur les mesures à prendre contre l’agiotage. Ce débat faisait suite à la publication du « Manifeste des enragés », rédigé par le curé Jacques Roux le 25 juin 1793. Dans ce manifeste, ce dernier reprochait à la Convention de ne pas avoir interdit l’agiotage, entre autres reproches. Le 16 de ce mois, Delaunay ( d’Anger ) demanda que les comités de finances et de sûreté générale réunis fissent un rapport sur les moyens à prendre contre l’agiotage sur les changes. Il fut suivi par une intervention de Fabre d’Eglantine qui dénonça les pratiques des compagnies de finance et soutint la demande précédente. Chasles intervint alors : « Châles. Je demande que le comité de Salut public soit, non seulement autorisé, mais qu’il soit sommé de dissiper tous les rassemblements d’agioteurs qui se font dans les lieux publics. Il n’est pas un théâtre plus scandaleux que le rassemblement, dont Fabre vous a parlé (il s’élève quelques applaudissements et des murmures, de nombreux applaudissements partent des tribunes. ) Je demande à expliquer ma pensée pour que les autorités locales ne se plaignent pas d’une invasion de compétences. Je demande qu’il ne prenne que les expédients que la loi peut lui fournir. »[1] Après quelques débats, la Convention ne le suivit pas et prit un décret correspondant aux souhaits exprimés par Delaunay et Fabre.

A plusieurs reprises Chasles manifesta sa méfiance vis-à-vis des riches, il n’était pas loin de les suspecter d’aristocratie. Ainsi, le numéro du 13 mai 1793 des Annales de la République française, de tendance très modérée, reprenant une information parue dans le numéro de la veille du Courrier des départements, un des principaux  journaux girondins rédigé par Gorsas, nous apprend que : «  Dans la section de la Butte-des-Moulins[2], l’ex-chanoine Chales, membre de la Convention, ayant dit que tous les marchands, tous les riches étoient des aristocrates, qu’il falloit tomber sur  eux comme des ennemis, qu’il falloit exterminer tout ce qui n’étoit pas peuple etc… un cri d’indignation fit retentir la salle ; on a saisi des chaises pour assommer cet apôtre de l’anarchie ; mais tout à coup les chaises menaçantes se baissent par respect pour son caractère de représentant ; il en fut quitte pour quelques froissures ; et il gagna le large au milieu des huées. Le Courrier des départements donne ce fait pour certain. »[3] Il faut dire que Chasles n'y était pas allé de main morte en attaquant la bourgeoisie parisienne dans un de ces fiefs, le quartier Saint Roch peuplé de riches négociants. Il faut se méfier cependant de ce type de témoignage et des propos rapportés par des journalistes fortement hostiles à Chasles et plus généralement à la Montagne, témoignage corroboré par aucune autre source. 

Le 20 juillet 1793, la Convention se penchait à nouveau sur les problèmes d’agiotage. Ce débat faisait suite à la demande d’une députation du canton d’Ecouen, venue témoigner de l’acceptation de l’Acte constitutionnel à l’unanimité, et demandant que les denrées de première nécessité fussent taxées. Billaud intervint pour dire que ce n’était pas la taxation des denrées dont il fallait s’occuper mais des accapareurs et des agioteurs et demanda qu’on les punît des « derniers supplices ». Garnier de Saintes quant à lui, réclama la mise en place d’une commission de finances chargée « pour suivre les fils de l’accaparement et de l’agiotage. » Après débat la Convention mit en place cette commission[4]. Chasles intervint à la suite Drouet et Carra qui était montés à la tribune pour dénoncer les agioteurs étrangers : « Châles. Je vais plus loin. Il faut payer Pitt par sa monnaie. Quelques Anglais ayant manifesté le dessein d’acquérir et ayant acquis des biens nationaux ou des portions des biens des nobles émigrés, des Français réfugiés à Londres intriguèrent, et Pitt fit passer un bill par lequel on dégrade du titre de citoyen anglais celui qui aura fait de telles acquisitions : ordonnons que tout Français, et il en est un grand nombre dont les motifs ne sont pas douteux, qui auraient placé leurs fonds à la banque de Londres seront déchus du titre de citoyen, privés de leurs biens et regardés comme émigrés ; et pour découvrir les réfractaires, accordez moitié des capitaux aux dénonciateurs. Voilà ma proposition. »[5] La Convention renvoya ces trois dernières propositions à la commission qu’elle venait de créer.



[1] Archives Parlementaires, LXVIX – 51.

[2] Section dont dépendait la rue Traversière où vivait Chasles.

[3] Annales de la République française, n° 133 du 13 mai 1793, cet article reprend presque mot à mot celui du Courrier des départements du 12 mai 1793.

[4] Elle fut composée de : Garnier de Saintes, Collot – d’Herbois, Le Bon, Thirion, Levasseur de la Sarthe et Bréard. Archive Parlementaires, LXVIX – 230.

[5] Archives Parlementaires, LXVIX – 230. 

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