Jacques Pierre Michel Chasles ( 10 ) : maire de Nogent-le-Rotrou, conv
1. Chasles : inscription aux Jacobins de Paris et procès de Louis Capet..
Arrivé à Paris, son premier soin, après s’être trouvé un logement[1], fut de se faire recevoir aux Jacobins, ce qui fut fait le 28 septembre 1792[2], en même temps que son concitoyen nogentais l’avocat Giroust[3] . Il fut secrétaire de la société aux mois de janvier et février 1793 ( du premier janvier au 20 février ) et brièvement par intérim, en remplacement de Saint Just, au cours de la séance du 21 décembre 1792.
A la Convention, il se rangea dans les rangs montagnards sans jamais s’engager dans aucune « faction » bien que d’après ses déclarations il nous semble proche de Marat, alors que son concitoyen Giroust se rallia aux Girondins.
2. Chasles : membre des comités de la Convention.
Chasles fut nommé dans certains Comités de la Convention, le plus souvent comme suppléant. Lors de la séance du 3 novembre 1792, il fut nommé comme suppléant au Comité des secours publics[4]. Le 28 janvier 1793, il fut nommé, à nouveau comme suppléant, au Comité des finances[5], puis, en juin 1793, successivement au Comité de liquidation en tant que titulaire[6], au Comité d’instruction publique comme suppléant[7], le 2 juillet 1793 il devint membre titulaire du Comité de secours publics[8]. Enfin, le 12 juillet 1793, ses collègues conventionnels le nommaient comme premier suppléant au Comité des assignats et monnaies[9].
3. Le procès de Louis XVI.
La Convention, suite à la déchéance du Roi, déclara la république dès le 22 septembre 1792 et eut tout de suite à délibérer sur le sort de l’ex roi. Dès le 25 septembre, Chasles écrivait à ses électeurs nogentais, c’est-à-dire aux membres de la société patriotique, à propos de la chute de la royauté :
« […] les aristocrates, car il y en aura toujours, voudroient vous décourager. ce sont eux qui répandent dans les villes et les campagnes mille contes qui font peur aux femmes et aux poltrons. ils disent par exemple que, la royauté étant abolie, tous les Rois de l’Europe vont fondre sur le France. je crois bien que ces Messieurs les Rois ne nous aiment guères et nous extermineroient, s’ils le pouvoient. mais il y a loin de la volonté à l’exécution. les Rois, après tout, ne font la guerre qu’avec des bras et de l’argent ; et c’est le peuple qui lui fournit des bras et de l’argent, si les rois l’avoient osé, il y a 3 ans qu’ils nous auroient mis à la raison. »[10]
Lors du procès de Louis XVI, Chasles intervint dès le 3 décembre 1793, faisant suite à Robespierre, Pétion, Oudot et Le Carpentier, à propos de la mise en jugement de Louis XVI. Le président, Barère de Vieuzac, rappela les trois propositions soumises aux débats de l’assemblée : « 1° Louis sera-t-il mis en état d’arrestation ? 2° Sera-t-il déclaré ennemi de la partie ? 3° Sera-t-il jugé ? » Chasles déclara : « Vous avez une vengeance à exercer : dressez un acte des délits de Louis XVI, et décrétez que sous trois jours vous prononcerez sur cet acte[11]. » De fait la Convention n’attendit pas trois jours et décréta, à la fin de cette séance, de juger le Roi.
Un dizaine de jours plus tard, le 13 décembre, il intervint pour soutenir une délégation de la commune de Paris venue présenter un arrêté de la commune de Paris visant à surveiller de très près les conseils du Roi[12], il fut le seul à intervenir dans ce sens alors que Robespierre venait de prendre la parole pour demander que l’assemblée passe à l’ordre du jour, ce qu’elle fit peu après l’intervention de Chasles. Toujours dans le cadre des débats sur le procès du roi, il prit à nouveau la parole les 28 et 31 décembre[13].
Le 28, il intervint suite à la lecture par Manuel, alors secrétaire, d’une lettre de Lebrun, ministre de la guerre, et d’une offre de la Cour d’Espagne dans laquelle elle se déclarait pour la neutralité mais n’en n’invoquait pas moins la clémence de la Convention vis-à-vis de Louis XVI ( les deux étant liées pour l’Espagne ). Un bref débat suivit cette lecture, plusieurs députés dénonçant l’intrusion de l’Espagne dans et affaires de la République et surtout les menace voilées contenues dans la lettre du chevalier dOcariz « chargé des affaires d’Espagne en France ». Avant que la Convention ne décidât de renvoyer le dossier au Comité diplomatique, Chasles monta à la tribune, ironisant: « C’est par le sentiment de la force et de son bon droit, que la Convention a bien voulu écouter le mémoire qui lui a été lu. J’ai admiré moi-même le sentiment qui nous a fait soutenir cette lecture. […] » pour demander « […] qu’à l’avenir nos agents ne puissent traiter avec les têtes couronnées, sans que la République française ait été solennellement reconnue. Nous ne traitons plus avec les rois, mais avec les peuples. » Il revint à la charge sur ce même sujet le 31 décembre, Manuel annonça quelques lettres émanant de puissances étrangères « au sujet du procès de Louis Capet ». Un grand nombre de conventionnels demandèrent à ce que l’assemblée passât à l’ordre du jour. Chasles prit la parole : « Le procès – verbal qu’on vient de nous lire fait mentions de dépêches de la Cour d’Espagne, qui semble faire dépendre sa neutralité de la manière dont Louis Capet sera traité. Je demande qu’on ne lise à l’avenir aucun office des gouvernements étrangers qui témoigneraient l’intention d’influer sur le sort di ci-devant roi. » Il fut suivit de Thuriot qui demanda que seules les dépêches officielles soient lues à l’Assemblée, proposition qu’adopta la Convention.
Le 11 janvier 1793, il prit à nouveau la parole à propos de l’impression des opinions des députés relatives au ci-devant roi. Manuel[14] demanda que l’impression de l’opinion sur Louis Capet de Poultier[15] soit faite à ses frais parce qu’il y avait calomnié l’Assemblée et qu’un passage du postscriptum fut censuré : « Il faut, pour parler [ à la Convention ], avoir prêté foi et hommage à M. Roland, et après avoir baisé la main de madame son épouse … » (Violents murmures à droite et au centre).
Chasles intervint pour s’opposer à la proposition de Manuel :
« Il ne faut pas que la Convention ait deux poids et deux mesures. Elle a fait imprimer les opinions de Guadet, de Vergniaud, de Gensonné, de Pétion et de Brissot[16], qui non seulement ont attaqué le bureau, mais encore une partie de la Convention, et dans lesquelles on a parlé d’un parti désorganisateur en versant à pleines mains le fiel et la calomnie (Murmures ) Je pense que Poultier a pu énoncer son opinion avec la même liberté que les membres dont je viens de parler et qu’il ne doit pas être traité plus défavorablement que ses collègues. J’ajoute un fait, Serre dit dans une note insérée dans son opinion : « que Duhem avait traité d’assassins tous ceux qui ne voteraient pas pour la mort du tyran. » J’estime qu’après avoir imprimé de pareilles opinions, on ne saurait agir différemment pour celle de notre collègue.
Je demande qu’on passe à l’ordre du jour sur la dénonciation de Manuel. »[17]
Suite à cette intervention la séance devint houleuse, la montagne criant « Aux voix », la droite et le centre s’agitant, un membre parla de coalition sacerdotale ( Poultier était aussi ancien prêtre ). La Convention passa à l’ordre du jour[18].
Lors du vote par appel nominal qui conclut le procès de Louis XVI, Chasles vota pour sa culpabilité, contre l’appel au peuple, pour la peine de mort et contre tout sursis[19]. Le 20 janvier, il écrivait à la Société de Nogent-le-Rotrou : « […] au moment où la présente vous parviendra le tyran aura perdu la tête sur l’échafaud, grande leçon pour les peuples, qui reconnoissent enfin que la justice divine et humaine n’épargne plus les Rois, quand ils sont coupables ! il n’est plus tems, et il n’est plus permis de s’appitoyer [sic] sur le sort de Louis 16. les aristocrates vont sans doute essayer de faire croire que ses juges sont des assassins et de bourreaux, ma conscience me dit que j’ai fait mon devoir : et le Ciel m’est témoin que je n’ai prononcé sur le sort de Louis que par un sentiment de justice, et pour sauver mon pays. »[20]
Annexe :
Que le tyran périsse sans délai et sans appel au peuple. – OPINION du citoyen CHALES, député d’Eure-et-Loir.
« Je n’ai rien écrit, rien imprimé sur Louis Capet, parce que le forme de procédure, de chicane, d’arguties et de mauvaise foi, donnée à son jugement, m’a toujours révolté. J’ai été un des premiers et des plus ardents à demander sa tête. Aussi m’a-t-on rangé dans la classe des assassins et des bourreaux. L’expérience a prouvé que j’avais bien raison de dire que le tyran ne devait pas survivre un seul instant à l’abolition de la royauté. Oh ! mes collègues ! quels reproches nous avons à nous faire ! Qu’est devenu cet esprit public qui créa la Convention, qui nous rendait, il y a quatre mois, les maîtres absolus des destinées de l’Europe ! Alors nous pouvions, nous devions, pour notre propre sûreté, autant que pour notre gloire renverser les trônes, délivrer tous les peuples. Oui, nous le pouvions alors : qui en doute ? Nous le devions : nos embarras, nos divisions le prouvent. Aujourd’hui, du fond de sa prison, Capet nous fait la loi : sa chute, aux yeux du patriote observateur, n’est qu’un moyen concerté de contre-révolution. Oh ! ma patrie ! de nouveaux dangers te menacent ! et nous que tu as choisis pour recueillir le fruit de tes victoires, nous souffririons que ses ennemis en profitent ! Non : le tyran périra, la justice le veut : ton salut le commande. Il périra sans délai, car sa contre-révolution est à nos portes, dans nos murs, le temps presse. Hâtons – nous donc de frapper le monstre, si nous ne voulons pas qu’il nous dévore. Que son nom, colporté dans les assemblées primaires, n’aille pas y réveiller l’idolâtrie pour les rois, et allumer, sur le berceau de la République naissante, les torches de la guerre civile.
Je déclare, d’après notre situation présente, surtout d’après ce qui se passe à Paris, et ce qui vient d’arriver à Rouen et à Marseille, que le moindre délai apporté au supplice de Capet, me parait le plus grand de tous les crimes.
Je déclare, en outre, que l’appel aux assemblées primaires est la plus impolitique, la plus perfide et la plus désastreuse de toutes les mesures.
Je vote donc, en mon âme et conscience, pour que le tyran périsse, sans délai et sans appel au peuple.
Nota. Je n’ai fait imprimer cette courte opinion, que par la crainte bien fondée de ne pouvoir obtenir un appel nominal sur le jugement de Louis Capet. Si la Convent l’eût accordé, cet appel nominal, dans des circonstances majeures, où plus de 200 membres le demandaient, on connaîtrait aujourd‘hui les artisans et les complices de la contre-révolution qui se prépare. Mais, tôt ou tard, le patriotisme triomphera de l’aristocratie, la vérité du mensonge, la loyauté républicaine de cabales et des perfidies ministérielles. Tôt ou tard, la Révolution finira par l’entier abaissement des ennemis du peuple, et par le bonheur de ce peuple, avec lequel nous ne devons ni craindre, ni rougir de nous identifier. »[21]
[1] Il logeait au 21 rue Traversière-Honoré ( actuelle rue Molière, amputée par le percement de l’avenue de l’opéra ). A. N. C. 353, dos. 1838, plaq. III, pièce 23.
[2] AULARD, F.-A. Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. Tome 4, page 338 :
Séance du vendredi 28 septembre 1792, l’an Ier de la République.
Présidence Pétion.
« Le président proclame la liste suivante des députés à la Convention qui se sont fait recevoir membres de la Société, savoir :
Les citoyens Bollet, Bonnet, Boilleau, Bourbotte, Barbeau du Barran, Chales, Cadroy, Carrier, Chambon, Durand-Maillane, Deleyre, Delahaye, Drouet, Faure, Guffroy, Grégoire, Giroust, Hecquet, Hentz, Isoré, Ichon, Jourdan, Le Bas, Lacoste, Laplanche, Le Vasseur, Le Tourneur, Le Peletier, Lefiot, Monestier, Massieu, Mailly, Merlino, Moysset, Milhaud, Maure, Précy, Prieur, Royer, Ruault, Thirion, Tellier, Yger. »
[3] Voir la biographie succincte de ce dernier sur ce blog : http://www.nogentrev.fr/archives/2016/02/14/33368142.html
[4] Archives Parlementaires, LIII, p. 129.
[5] Archives Parlementaires, LVII – 735.
[6] Archives Parlementaires, LXVII – 53. Séance du 22 juin 1793. Il est élu membre du comité de liquidation en septième position avec 56 voix.
Le Comité de liquidation et examens des comptes fut chargé, pour l’essentiel, de la liquidation des séquelles de l’Ancien Régime en matière financière ( arriérés des départements, offices de judicature, municipaux et financiers ). Il eut aussi à s’occuper des pensions et gratifications accordés par l’Ancien Régime et de l’examen des comptes des ministères.
[7] Archives Parlementaires, LXVII – 553. Séance du 27 juin 1793. Le nom de Chasles apparait en première position des suppléants dans une liste de six noms non classés par ordre alphabétique.
[8] Archives Parlementaires, LXVIII – 97-98. Chasles est élu en cinquième position avec 24 voix.
[9] Archives Parlementaires, LXVIII – 627.
[10] Collection particulière des lettres que Chasles adressa à la Société patriotique de Nogent-le-Rotrou entre 1792 et 1794. Une partie de cette correspondance a été reproduite dans : Cl PICHOIS, J. DAUTRY. Le conventionnel Chasles et ses idées démocratiques. Aix-en-Provence : Publication des annales de la faculté des lettres Aix-en-Provence : Editions Ophrys, 1958.
[11] Archives Parlementaires, LIV, p. 78.
[12] Archives Parlementaires, LV, p. 45.
[13] Archives Parlementaires, LVI, p 4 et 78.
[14] Député girondin de Paris.
[15] Député montagnard du Nord.
[16] Ces députés étaient parmi les girondins les plus influents.
[17] Archives Parlementaires, LVI – 728.
[18] On voit que dès janvier 1793, la lutte entre les Girondins et Montagnards est déjà vive et que Chasles se rangeait clairement dans le rang des seconds..
[19] Voir, en annexe, sa justification non prononcée à la Convention déposée le 15 janvier 1793.
[20] PICHOIS et DAUTRY. Le conventionnel Chasles et ses idées démocratique. Aix-en-Provence : éditions Ophrys, 1958. P. 39.
[21] Archives Parlementaires, LVII – 149-150.