Vendôme, 27 mai 1797 : exécution de Babeuf et Darthé.
Nous reproduisons ci-dessous un article de Jean-Claude Pasquier paru initialement sur le site « le petit vendômois » ( site que nous conseillons pour ses articles d’histoire locale : pour le voir cliquer ici. ) en novembre 2011 :
Alors que la « guillotine » reprenait du service en ce 14 juillet 2011, place Saint-Martin, pour les besoins d’un film réalisé par les talentueux frères Denis, voici exactement 214 ans, deux exécutions, bien réelles celles-ci, avaient lieu à quelques pas de là. Les têtes de Gracchus Babeuf et de son compagnon d’infortune, Darthé, tombaient sous le couperet le 8 Prairial An V (27 mai 1797). Une journée importante pour notre histoire locale mais finalement peu connue dans le détail et encore énigmatique quant au devenir des deux corps suppliciés. Essayons d’y répondre.
Un jugement qui tarde
Nous sommes le 6 prairial an V, soit le jeudi 25 mai 1797. Le long procès intenté envers la conjuration des Égaux par la Haute Cour de Justice de Paris décentralisée à Vendôme se termine. Le tribunal siège dans l’ancien bâtiment conventuel sud de la Trinité Le sort des soixante-quatre coaccusés dont dix-sept par contumace est sur le point d’être scellé.
Ce jour même, à quatre heures du matin, le haut jury composé de seize membres se dit prêt à délibérer et le tribunal, pour recevoir les votes, commet l’un des cinq juges : Cofinhal du Cantal et l’un des deux accusateurs publics :Viellard (ou Vieillard) de La Marne. Toute la journée, les jurés, restés au secret, délibèrent. Puis à cinq heures du soir (17h), le concierge Daude et le greffier de la maison de justice reçoivent l’ordre de tenir « tout prêt pour sept heures », heure à laquelle, effectivement, la Haute Cour s’assemble pour entendre la déclaration du jury. Mais celui-ci n’étant pas encore tout à fait en mesure de se prononcer, ordre est de nouveau donné aux dits concierge et greffier de se «tenir, cette fois, sur pied toute la nuit suivante».
Alors que la rumeur «d’un résultat non sanglant», officialisée par le second accusateur, se répand ce soir-là dans la salle d’audience, le prolongement des délibérations et le report du verdict au lendemain ne présagent rien de bon. Si aux trois premières séries de questions, le jury a répondu, en effet, par la négative, les trois questions de la série quatre sont toutefois positives mais avec les circonstances atténuantes, ne pouvant conduire au pire qu’à la déportation. En revanche, la première question de la série cinq, concernant directement Babeuf et Darthé, celle qui précisément prolonge les débats, sera positive, sans circonstance atténuante et se révèlera décisive dans le jugement final.
Comme prévu donc, la séance est reprise le 7 prairial (vendredi 26 mai), dès cinq heures du matin et le haut jury donne enfin lecture du verdict : «la douleur peinte sur le visage de quelques-uns d’entre eux est de sinistre augure». Rey-Paillade de l’Hérault, premier juré, trop ému, annonce qu’il ne peut lire le procès-verbal ; le tribunal choisit Pajot du Mont-Terrible (alors département français comprenant Belfort-Montbéliard) pour le faire : Gracchus Babeuf et Augustin Darthé, considérés comme les principaux responsables de la conjuration sont condamnés à la peine capitale. C’est alors que tous deux tentent de mettre fin à leurs jours….
La guillotine et son bourreau
Curieusement, si le sort des deux suppliciés n’est connu, au plus tôt, que vers cinq heures du matin le 26 mai, l’ordre de faire venir «l’instrument du supplice» est reçu à Blois à trois heures cette même nuit par le Commissaire Exécutif central. Un ordre envoyé par l’accusateur national Viellard, sans doute en urgence par une estafette, au plus tard aux environs de minuit, mais de toute façon bien avant de connaître le verdict définitif. Il y a là, semble-t-il, matière à s’interroger.
En effet, le décret du 13 juin 1793 n’instituant plus qu’un seul exécuteur par département et une guillotine comme le seul instrument officiel prévu pour les exécutions capitales depuis 1792, il faut faire appel à Blois nouvellement convertie en chef-lieu du Loir-et-Cher. Coïncidence, pressentiment ou verdict déjà décidé d’avance, le 5 prairial, si l’on en croit le journal d’Hésine, un ouvrier s’était chargé d’en aiguiser le couteau et un second de fabriquer un panier.
La guillotine et son équipage hippomobile accompagné de plusieurs aides arrivent à Vendôme le 26, vers dix heures du soir, selon certaines études sérieuses. Le chemin Blois-Vendôme long de sept lieues est en très mauvais état et le voyage est chaotique. Sa mise en place prend plusieurs heures ; c’est un instrument de précision demandant un calage parfait. Elle se dresse place d’Armes (place actuelle de la République, devant la bijouterie), à peu de distance et à droite du portail voûté d’entrée (début de la rue de l’Abbaye) de l’ancien monastère de la Trinité.
Le bourreau est Nicolas-Charles-Gabriel Sanson de «l’illustre» famille des bourreaux de Paris. Né le 11 janvier 1745, il reçoit les prénoms de son oncle, bourreau de Reims. Son père Charles-Jean-Baptiste Sanson (1719-1788) est bourreau de Paris et sa mère (seconde épouse) est Jeanne-Gabrielle Berger, de la famille des exécuteurs de Touraine. Trois de ses frères, sur une fratrie de dix enfants, sont eux-mêmes bourreaux ; pour les différencier, ils se font appelés Monsieur de… du nom de la ville où ils exercent. Les filles, quant à elles, épousent comme il se doit des hommes de la profession.
Ainsi, Nicolas-Charles-Gabriel commence dans le métier en aidant son frère aîné Charles-Louis- Martin, dit Monsieur de Tours et d’Auxerre. Puis il succède, le 1er décembre 1779 à Jean-Baptiste Barré, titulaire de l’office de la Question à Paris ; poste qu’il perdra d’ailleurs en 1792 à la suppression de cette charge. Inscrit au tableau des exécuteurs sans emploi, il est commissionné à Blois en juillet 1795 pour remplacer son neveu Joseph Doublot parti à la retraite. Il est alors appelé Monsieur de Blois. C’est précisément dans cette ville qu’il épouse, à 50 ans, le 3 novembre 1795, Anne-Françoise, jeune veuve, de vingt ans sa cadette, née à Paris de parents inconnus.
Mais en février 1799, Gilles-Martin Berger, fils du bourreau d’Amboise, exécuteur à Montpellier, étant destitué pour ivrognerie, Nicolas - Charles - Gabriel est appelé à le remplacer. Il n’aura donc été qu’un peu plus de trois ans et demi à Blois (juillet 1795- février 1799). Mal lui en prit, car peu de temps après, lui-même devenu compagnon de beuverie du dit Berger, il est à son tour révoqué en septembre 1800 et meurt à Montpellier quelques mois plus tard.
Les exécutions (samedi 27 mai 1797)
Dès la connaissance du verdict, soit le vendredi, l’administration municipale de Vendôme chargée de la police interne lors du procès, s’empresse de renforcer la surveillance de tous les détenus y compris des libérables et sur demande du commissaire du Directoire Exécutif s’emploie à maintenir une permanence «jusqu’après l’exécution de Babeuf et de Darthé».
Le jour venu, de la porte dont on voit encore les piédroits et le linteau de bois dans le mur qui s’élève entre le clocher et la façade occidentale de la Trinité, deux hommes, blessés, soutenus par leurs geôliers, viennent de sortir et se dirigent vers le porche du monastère. Le jour se lève ; des Vendômois tenus à distance par la garde, sont sans doute déjà là, par sympathie pour les suppliciés … ou par simple curiosité… Quelques minutes plus tard, Sanson et ses aides ont rempli leurs offices.
Dans les heures qui suivent, selon l’usage et la loi, un acte constatant dûment le décès est dressé : «Aujourd’hui, huitième jour de prairial l’an cinq de la République Française une et indivisible, à 10 heures du matin, par devant nous Marin-Claude Boutraix, membre de l’administration municipale de la commune de Vendôme, élu pour recevoir les actes destinés à constater le décès du citoyen, est comparu Jean-Baptiste David, huissier public domicilié à Vendôme, lequel nous a déclaré que Gracchus Babeuf âgé de trente cinq ans environ, époux de Victoire Langlet, est décédé aujourd’hui à cinq heures du matin ; d’après cette déclaration, je me suis sur le champ transporté au lieu du décès place d’Armes. J’ai constaté le décès de Gracchus Babeuf en présence de François Gasson et Eustache Auriau demeurant en cette commune». Registre signé David, Gasson, Auriau, Boutraix.
Il en sera de même, à quelques mots prés, pour l’acte de décès de Darthé, âgé lui «de trente quatre ans environs».
De son côté, suite à la décision prise la veille, un membre de l’administration municipale «fait rapport que sur les six heures et demie du matin, le jugement de la Haute-Cour de Justice a été exécuté sur la place d’Armes contre Babeuf et Darthé, pourquoi il estime que la prolongation de la permanence de l’administration devient inutile… Oui le commissaire du Directoire Exécutif, l’administration déclare qu’elle lève sa permanence».
À remarquer que les deux pièces officielles reproduites ici n’indiquent pas la même heure d’exécution
Mais que sont les deux corps devenus ?
Exposés réglementairement sur la place d’Armes au moins jusqu’à dix heures, les deux corps suppliciés disparaissent ensuite, sans doute emportés. Mais par qui et où ? À compter de cet instant précis, la plus grande incertitude s’instaure et plusieurs hypothèses assez proches l’une de l’autre sont lancées.
Localement, aucun document d’archive n’en fait cas. L’administration municipale reste muette sur le sujet, volontairement ou non.
Une certaine tradition veut qu’ils aient été jetés «à la voirie» c’est-à-dire avec les ordures communales, ce qui semble impensable, même pour l’époque. D’autres versions, justement pour soustraire les corps à la plus abominable déchéance (la voirie), suggèrent qu’ils furent emportés par des gens bien intentionnés et respectueux, des vignerons voire des cultivateurs en l’occurrence, venant de Montrieux, voire de la Chappe, de leur propre chef ou encore sur ordre d’un élu. Si tel est l’un de ces cas, on ignore toujours en quel lieu…
Pour ma part, je me rallierai à Stanislas Neilz, érudit local de la première moitié du XIXe siècle, qui écrit (journal du Loir, 1843) : «Après l’exécution, l’administration municipale observa le délai légal à exposer les corps à la vue des familles, du public et à l’administration, afin de constater le décès, après quoi, le maire désigna les personnes qui parmi le nombre venu des campagnes voisines pour accomplir cette mission, des vignerons cultivateurs au service personnel de personnes attachées à la magistrature de la ville sous l’ordre du maire et portée au cimetière principal de la ville situé au grand faubourg, avec respect et dignité, placé dans une même fosse creusée au pignon oriental à l’extérieur de la chapelle de ce cimetière…».
Sachant que cette chapelle Notre-Dame de Toussaint fut détruite par un ouragan en avril 1814 et abattue par la suite et que le cimetière fut fermé en 1832, sans transfert de corps pour le nouveau cimetière de la Tuilerie, on peut supposer à en croire cette dernière hypothèse, de loin la plus crédible, qu’ils reposent toujours en ce lieu.
Jean-Claude Pasquier
Sources bibliographiques :
Journal de la Haute-Cour de Justice par Hésine, An IV et V.
Le Moniteur, année 1797.
Jacques Delarue, le métier de Bourreau, Fayard, 1979.
Journal Le Loir, Vendôme, 1843.
Archives communales de Vendôme.
Archives et études personnelles.
Iconographie particulière. »