Le 1° mars 1789 à Gréez-sur-Roc : cahier de doléances.
Ci-dessous je reproduis le procès-verbal de l’assemblée du tiers-état de Gréez-sur-Roc ( orthographié Grèes à l’époque ) qu’ s’est tenue les 1er mars 1789 et du cahier de doléance rédigé ce jour. Ces deux documents ont fait l’objet d’une conférence de Daniel Jouteux, président de la Société des Amis de la Révolution Française 72, le 29 mai 2015 à Gréez-sur-Roc. Le texte de la conférence est disponible en brochure ( Recherche Révolution Française n° 17 ) disponible auprès de la SARF72.
Sénéchaussée du Mans
Paroisse de Grèes.
Procès-Verbal
d’assemblée des habitants du tiers-Etat de la paroisse de Grèes pour la nomination des Députés de laditte paroisse devant représenter lesdits habitans aux assemblées préliminaire et générale de la province du Maine.
Aujourd’hui Dimanche premier jour de mars mil sept cent quatre-vingt-neuf, issue des vèpres, en l’assemblée convoquée au son de la cloche à la manière accoutumée, sont comparus en l’étude du Notaire Royal de cette paroisse au bourg de Grèes, lieu ordinaire et accoutumé des assemblées de la municipalité de cette ditte paroisse à défaut de lieu propre, couvert et décent.
Par devant nous Jean-François-René Lefebvre d’Ivri, Chevalier, seigneur de la Pinelliere et autres lieux, Sindic de la Municipalité de la paroisse de Grèes, remplissant la fonction d’officier public à défaut du Juge des lieux ou autre expédient conformément à l’article 30 du Règlement donné par le Roy en son conseil le 24 Janvier dernier, assisté de François-Martin Reimbourg, greffier de laditte municipalité que nous avons de nouveau commis, après avoir de lui pris et reçu le serment ad hoc en la manière accoutumée.
Sieur Louis Franchet ancien fermier général de la seigneurie de Grèes, Me Laurent-Martial-Stanislas Boutrouë avocat en Parlement, Marin Gaultier, Gilles Brière, Jacques Piau, René Laborde laboureurs, tous six officiers municipaux de cette paroisse. Louis Binet sindic, François Bouillon, Jean Henri, collecteur de tailles, Louis Tirouard bordager, Mathurin Thierri, Miche La Borde, René Le Blond, Louis Neveu, Charles Neil laboureurs, François Boustard, Jean Collet, André Reimbourg, André Evezard, Jacques Richard, tous laboureurs et bordagers, François Huar meusnier, Louis Derouet maréchal, François Lefebvre, Jean Hoyau, Jacques Debon, André Bouillon, laboureurs et bordagers, René Coudrai journalier, François Binet bordager.
Tous nés français, ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, compris dans le Rôle des impositions habitans de cette paroisse de Grèes composée de cent quatre-vingt-treize feux.
Lesquels pour obéir aux ordres de Sa Majesté portés par ses Lettres données à Versailles le 24 janvier 1789, pour la convocation et tenue des états-généraux de ce Royaume, et satisfaire aux dispositions du Règlement y annexé, ainsi qu’à l’ordonnance de Monsieur le Sénéchal du Maine ou de Monsieur son Lieutenant-général, dont ils nous ont déclaré avoir une parfaite connaissance, tant par la lecture qui vient de leur être faite, que par la lecture et publication cy-devant faites au prône de la messe de paroisse par Monsieur le Curé le premier du présent mois ; et par la lecture et publication et affiches pareillement faites le même jour, à l’issue de laditte messe de paroisse, au devant la porte principale de l’église suivant les certificats desdits sieurs Curé et greffier de la Municipalité.
Nous ont déclaré qu’ils allaient d’abord s’occuper de la rédaction de leur cahier de doléances, plaintes et remontrances. Et en effet y ayant vacqué, ils nous ont présenté ledit Cahier qui a été signé par ceux desdits habitans qui savent signer et par nous, après l’avoir cotté par première et dernière page et paraphé ne varietur, au bas d’icelles.
Et de suite lesdits habitans, après avoir mûrement délibéré sur le choix des Députés qu’ils sont tenus de nommer en conformité desdittes Lettres du Roy et Règlement y annexé. Et les voix ayant été par nous recueillies en la manière accoutumée la pluralité des suffrages s’est réunie en faveur des sieurs Laurent-Martial-Stanislas Boutrouë Avocat en Parlement, et Jacques Piau Laboureur tous deux officiers municipaux de cette paroisse.
Lesquels ont accepté laditte commission et promis s’en acquiter fidèlement.
Laditte nomination des Députés ainsi faite, lesdits habitans ont en notre présence remis auxdits sieurs Boutrouë et Piau, leurs députés, le Cahier afin de la porter aux assemblées préliminaire et générale de la province qui se tiendront les neuf et seize mars 1789 devant Monsieur le Sénéchal du Maine, et leur ont donné leur pouvoir requis et nécessaire à l’effet de les représenter en laditte assemblée pour toutes les opérations prescrites par l’ordonnance susdite de Monsieur le Sénéchal du Maine, comme aussi de donner pouvoirs généraux et suffisans de proposer, remontrer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’Etat, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, la prospérité générale du Royaume, et le bien de tous et de chacun des sujets de sa Majesté.
Et de leur part lesdits Députés se sont présentement chargés du Cahier des doléances de laditte paroisse de Grèes, et ont promis de le porter à laditte assemblée et de se conformer à tout ce qui est prescrit et ordonné par leditte lettre du Roy, Règlement y annexé, et ordonnance susdattées. Desquelles nominations de Députés, remise de Cahier, pouvoir et déclaration, nous avons a tous les susdits comparans donné acte ; et avons signé avec ceux desdits habitans qui savent signer et avec lesdits Députés notre présent Procès-verbal ainsi que le # Duplicata que nous avons présentement remis auxdits Députés pour constater leur pouvoir. Et la ## XXXXXX sera déposée au Greffe de la Municipalité de cette ditte paroisse, lesdits jours et an.
# présent ## minute. approuvé les renvois.
Boutrouë, avt en Pt Député
Jacques Piau, Député
Franchet, F Bouillon, René Codray,
Jean Hoyeau ; F Binet, J Richard
André Reimbourg, Louis Derouet
F Lefèvre
Lefebvre d’Ivri, chevalier,
sindic municipal
F M Reimboug, Greffier.
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Sénéchaussée du Mans
Paroisse de Grèes.
Cahier
des doléances, plaintes et remontrances que font les habitans composant l’ordre du tiers-état, de la paroisse de Grèes au Roy et aux états-généraux très augustes représentans de la Nation française ;
Dressé en l’assemblée dudit ordre, tenue à Grèes le premier mars mil sept cent quatre-vingt-neuf, et remis aux Députés de laditte paroisse, ainsi qu’il est constaté par le procès-verbal de laditte assemblée.
Au Roy
et aux états-généraux du Royaume
Supplient très-humblement les habitans composant le tiers-état de la paroisse de Grèes
Premièrement
[ en Marge : suppression des francfiefs[1] ]
De supprimer le droit connu sous le nom de Francfief pour trois raisons principales. La première, parce que ce droit blesse l’équité, en ce qu’il représente le service militaire dû au souverain, suivant l’ancien régime féodal ; et qu’il est regardé dans le principe comme le dédommagement de l’affranchissement du service militaire dont un préjugé barbare rendait les roturiers incapables.La seconde, parce que cet impôt est la source d’une infinité de procès, et que la manière de le percevoir expose le citoyen à mille vexations. La troisième, parce que le peu d’importance des produits de cet impôt doit engager le souverain à le sacrifier avec d’autant plus de raison que sa suppression facilitera le commerce des biens féodaux, et engendrera d’autres droits, moins onéreux, et plus justement répartis. Si l’Etat ne peut sacrifier cette faible partie de ses revenus, on doit au moins cette justice aux roturiers que les produits des francfiefs soient répartis sur toutes les propriétés indistinctement. Alors cette charge particulière deviendra générale et n’écrasera pas un petit nombre d’individus, aussi chers à la Patris, aussi fidèles au Roi que le reste de la Nation.
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Secondement
[ en Marge : sols pour livre additionnels ]
D’ordonner que l’augmentation progressive des sols pour les livres ajoutés, ou qui pourraient l’être à l’avenir, au principal des impôts primitifs, ne pourront avoir lieu que sur les droits fixes et absolus imposés sur une quantité déterminée d’une denrée dont le prix variant suivant la multiplication du numéraire exige aussi un changement dans l’impôts. Mais que toute imposition relative, c’est-à-dire, consistant dans une partie aliquote[2] du prix ou du produit d’une chose, ne pourra être grèvée des sols pour livre additionnels ; parce que ces droits augmentent naturellement en raison de l’augmentation successive du prix ou des objets qui en sont chargés. De ce nombre sont les droits de francfief, centième denier, controlle sur les baux et sur les acquisitions de biens &c
Troisièmement.
[ en Marge : administration provincial ]
De conserver et de perfectionner l’administration provinciale établie depuis une année et plus ; et de donner aux établissements municipaux toute la consistance nécessaire pour que ces corps soient en état de rendre aux citoyens des services aussi prompts que peu dispendieux.
Quatrièmement
[ en Marge : extension du droit de chasse ]
De permettre la chasse à tout citoyen possesseur de terre sur ses propriétés, sans distinction de fief ou de cens. En effet, n’est-il pas ridicule qu’un particulier ne puisse tuer un lapin qui vient manger les choux de son jardin, tandis qu’il peut tirer sur la poule de son voisin lorsqu’elle vient y faire quelque dégât ? qu’il puisse tuer un perdereau dans son jardin hommagé, et qu’il ne puisse en faire autant dans son pré qu’il tient à cens ? Un prince d’Italie vient de nous apprendre que tous les hommes ont droit égal aux productions de la terre, et que le droit de chasse exclusif n’est qu’une violation du droit de la nature. Le grand Duc de Toscane frère de notre auguste Reine a accordé le droit de chasse à tout possesseur de terre sur ses propriétés, indistinctement.
D’ailleurs, ne devrait-on pas abroger ou du moins diminuer la rigueur des peines imposés aux délits de chasse ? Y a-t-il la moindre proportion entre la peine et ce délit enfanté dans les forêts de la Germanie et conservé par la barbarie féodale ?
Cinquièmement
[ en Marge : réformation des coutumes ]
Quant à la réformation des coutumes et autres lois locales, quelques vœux que nous formions pour voir tous les peuples de la France assujettis à une même loi, cette réforme exige tant de travaux que nous nous contentons de la désirer. Cependant, ne pourrait-on réduire toutes les coutumes peu différentes et dont le terrotoire est limitrophe, à une loi commune et générale ? Cette opération sans-doute éviterait bien des procès ; et cette considération mérite bien l’attention des états-généraux.
Sixièmement
[ en Marge : réformation du code criminel ]
De réformer le Code criminel, quand à la forme de la procédure ; d’établir une proportion plus juste entre les délits et les peines. De restraindre à un petit nombre de crimes la peine de mort infligée pour des délits si légers ; d’y substituer une peine qui, en punissant le crime, mette le coupable en état de réparer les torts qu’il a faits à la société. La justice, l’humanité exigent ces changements dans le code d’un peuple qui se distingue par la politesse de ses mœurs.
Septièmement
[ en Marge : établissement d’un impôt général ]
D’établir un impôt général et modéré, qui, par sa nature porte sur tous les citoyens en raison de leurs propriétés et de leurs facultés de telle manière que l’individu ne soit point écrasé, et que l’Etat cependant ait des revenus proportionnés aux dépenses nécessaires au soutien de la pompe de la majesté royale, à l’administration intérieure du Royaume, à la défense des frontières et à l’entretien des forces terrestres et maritimes de la NBation ; qu’il n’y ait aucun privilège à cet égard.
Huitièmement
[ en Marge : réformation des aydes et gabelles ]
D’abolir ou au moins, de réformer les gabelles, ce droit désastreux portant sur un objet de première nécessité pèse uniquement sur le pauvre citoyen. De supprimer également les aydes, ce droit détruit le bonheur du peuple.
Neuvièmemnt
[ en Marge : Tabac ]
De défendre la vente du tabac rapé, et de remettre les choses à cet égard sur l’ancien pied, si le droit exclusif n’est pas suprimé totalement.
Dixièmement
[ en Marge : Lettre de cachet ]
D’abolir les lettres de cachet. Il est inutile de répéter ici les raisons qui doivent déterminer à cet égard.
Le présent Cahier a été arrêté par les habitans de laditte paroisse de Grèes, dans l’assemblée convoquée à cet effet, ainsi qu’il est constaté par le procès-verbal en date du premier mars mil sept cent quatre-vingt-neuf. Et ceux desdits habitans qui savent signer ont signé avec les Députés et le président de laditte Assemblée.
Jacques Piau, Député
Boutrouë, avt au Pt, Député
F Bouillon, Franchet, René Coudray
F Binet, André Reimbourg
J Richard, L Derouet, F Lefebvre, Jean Hoyeau
Lefebvre d’Ivri chevalier, sindic municipal
F M Reimbourg, Greffier
[1] Les habitants du tiers-état de la Ferté-Bernard, petite ville proche de Grèes consacraient également un article entier de leur cahier à la suppression du droit de francfiefs avec des arguments proches de ceux avancés ici, soit que le problème fût général dans le pays fertois soit qu’il y eût concertation ou influence dans la rédaction des cahiers du Tiers. Cependant à La Ferté, ce n’était pas la préoccupation première, elle n’occupait que la onzième position des doléances.
[2] Qui est contenu un nombre exact de fois dans un tout.