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La Révolution Française à Nogent le Rotrou

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La Révolution Française à Nogent le Rotrou
  • Nogent-le-Rotrou et son district durant la Révolution française avec des incursions dans les zones voisines ( Sarthe, Orne, Loir-et-Cher voire Loiret ). L'angle d'attaque des études privilégie les mouvements sociaux et les archives locales et départemental
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Le Pére Gérard

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6 mars 2016

Le 6 mars 1789 à Saint Antoine-de-Rochefort : instructions, plaintes et doléances.

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 Instructions, plaintes et doléances de la communauté

des habitants de Saint-Antoine-de-Rochefort, près La Ferté-Bernard.

Aujourd'hui, sixième jour de mars, l’an mil sept cent quatre-vingt-neuf, sur les neuf heures du matin.

Nous, habitans de la paroisse de Saint-Antoine-de-Rochefort, élection du Mans, assemblés au lieu ordinaire de nos assemblées, au son de la cloche, après convocation au prosne de la messe paroissiale de ce jour, en la manière ordinaire, conformément tant aux lettres de Sa Majesté données à Versailles le 24 janvier dernier, au règlement y annexé, qu'à l'ordonnance de M. le grand sénéchal du Maine, du 16 février dernier, le tout à nous signifié à la requête de M. le procureur du Roy, de la sénéchaussée du Mans, par Chassevent, huissier royal, le 24 février aussi dernier, comparants ès personnes de François Leroi, tisserand, l’un de nous et notre procureur sindic.

Jean-François Richard, marchand laboureur, Antoine Barré, bourgeois, René Bigot, marchand laboureur, Jean-Louis Clotté, marchand et fermier général du Grand-Parc, Simon Dreux, Pierre Trassard. Louis Delorme, François Chapelain, Jean Jourdain, Jean Riant, Louis Gervais, Etienne Couronne, Marin Tacheau, tous laboureurs, Pierre Bruneau, Etienne Durand, bordagers, Jean Laurent, Jacques Moreau, marchand, Marin Tacheau, Jean Dumeur, marchand aubergiste, Thomas Herpin, marchand bourrelier, François Blottais, marchand épicier, Jean Patault, boulanger, Julien Dumeur, tisserand,

Et plusieurs autres formant la meilleure et la plus seine partie des habitans de cette paroisse, tous nés Français et âgés de plus de vingt-cinq ans et taxés aux rôles des taillables, et obéissans aux ordres de Sa Majesté, après avoir pris connaissance desdittes lettres, réglemens et ordonnances cy-dessus, et réfléchi et délibéré entre nous sur les objets y contenus, avons tous et unanimement arrêté nos pleintes, doléances et instructions ainsi qu'il suit :

Attachés, comme tous les Français, nos concitoyens, par les liens de l'amour et de la fidélité à un Roi juste et bienfaisant qui nous gouverne, nous désirerions contribuer autant qu’il est en nous à son bonheur et à la prospérité de l’Élat ; mais éloignés du trône et peu versés dans les matières d'administration et de la réforme des abus, nous ne pouvons, sans craindre de nous égarer, hazarder nos réflections sur les affaires d'État ; courbés sous le poids des impôts, nous en sentons la pesanteur sans pouvoir indiquer les moyens pour nous soulager. Victimes de beaucoup d'abus, nous n'avons pas assé de lumières pour en marquer l'orrigine et les remèdes ; nous nous bornerons donc aux observations suivantes.

En jettant un coup d'œuil rapide sur la variété et la multitude des impôts, nous avons observé que le concours et l'embaras de la perception entreine des frais immances, premier abus universellement senti et reconnu.

Pour améliorer les finances et soulager les peuples selon les vues bienfaisantes de Sa Majesté, nous avisons qu'un impôt unique, reçu et versé sans frais au trésor royal, imposé par tête sur tous les sujets du Roi, en raison de leur propriété, faculté, revenu et industrie, sans exception de personne, sans aucun privilège, nous avisons, disons-nous, qu'un tel impôt serait le plus simple et le meilleur pour atteindre le double but que Sa Majesté se propose.

Cependant, s'il plaisait au Roi de conserver les anciennes formes d'impôts, tout abusives qu'elles sont, ou les changeant, d'y en substituer d'autre ; dans tous les cas, nous suplions Sa Majesté d'en banir l'arbitraire ; l'arbitraire, dans la répartition de la taille et la plus part des autres impots, est une source intarissable d'injustice et de vangeance.

Nous prions Sa Majesté de rétablir les assemblées provinciales et municipalles dans la forme qu'elles avaient cy-devant, et de les charger de l'assiette et du recouvrement de tous les impôts, de quelque espèce et nature qu'ils soient ; nous désirons ces assemblées comme capables de régénérer l'État, d'améliorer les finances, de contribuer égallement au bonheur du souverain et de ses fidèles sujets.

De tous les impots, le plus odieux et le plus accablant pour cette province, est celui de la gabelle. Nous supplions le Roi d'en accorder et les Étals généraux d'en demander la suppression, conformément aux désirs déjà connus de Sa Majesté. Cet impôt est regardé universellement comme nuisible à la santé, et même à la vie de la classe des indigens : classe nombreuse et importante, pour laquelle le sel est d'autant plus nécessaire quelle manque souvent de tout ce qui peut conserver la force et la vie sans ce secours.

Les suites désastreuses de la contrebande du sel, ce modique bénéfice du souverain sur un impôt dont la masse est énorme, seront aux yeux du Roi et des États, de nouveaux motifs pour la proscrire à jamais.

Les Ponts et Chaussés, grandes routes et autres travaux publics de ce genre, ne nous sont connus que par nos contributions; nous n'en pouvons donc parler, cependant nous ferons cette remarque : les Ponts et Chaussées, grands chemins, etc. sont pour l’avantage de tous ; tous les cytoyens, nobles, ecclésiastiques, roturiers y participent, en raison de leurs propriétés et de leurs commerces. Les débouchés, transports, voyages, communications, sont utiles et nécessaires à tous. Il nous paraît donc de la plus grande équité que la contribution pour tous travaux publics soit supportée par tous, dans la proportion qu'un chacun en tire[1]. Jusqu'ici, cet impôt considérable n'a porté que sur la classe des taillables par une injustice, nous l'osons dire, dont nous prions le Roi et les États généraux d'arrêter le cours.

L'abus, dans le maniement des deniers publics destinés à ces travaux, est également intolérable; il s'est élevé frécamment, dans cette province, des murmures et des plaintes les plus justes sur la dissipation des deniers et sur les imperfections des ouvrages ; mais, soit l'éloignement du commissaire départi, trop surchargé d'affaires pour surveiller de près cette partie de l'administration, soit autres raisons a nous inconnues, nous savons que les réclamations les plus fortement motivées ont toujours resté sans effet sur ce point.

D'après ces motifs, d'après les vols manifestes qui se commettent dans cette partie de l'administration, d'après les abus frauduleux de l'adjudication, et réception de tous travaux publics sous l'authorité et commission des commissaires départi, nous nous croyons justement fondés à demander au Roi et aux Étals généraux que les adjudications et réceptions ne soient jamais faites qu'en présence des députés des contribuables, avec pouvoir d'examen et de blâmes dans la réception, s'il y a lieu. Et qu'on ne puisse jamais, sous quelque prétexte que ce soit, éluder cette formalité ou une autre qu'il plairait au Roi d'établir à la réquisition des Étals ; nous chargeons donc spécialement nos députés de faire valoir nos justes réclamations, tant sur ce point que sur celui établi cy-dessus touchant la contribution de tous les ordres à la confection et entretien de tous travaux publics, désirants qu'il ne soit consenti aucun impôt, pour cette partie, que sous ces conditions, conformes à la justice et au bien de la chose.

Nous croyons aussi qu'il est de l'équité que les personnes et les biens de tous les ordres, clergé, noblesse et roture, étant égalemenl sous la protection du Roi. et participant tous aux avantages de la même monarchie, contribuent aux charges de la même manière ou dans la même proportion, soit qu'il n'y ait qu'un impôt, comme nous le désirons. soit que les impôts soient divisés entre chaque ordre.

En tout état de cause, nous désirons et nous demandons que les ecclésiastiques et les nobles soient privés à l'avenir du privilège, si onéreux au tiers état, de faire valoir leurs dixmes et leurs domaines sans contributions d'impôts.

Nous recommandons à nos députés de remontrer cet abus et d'en solliciter la suppression, avec les forces de la vérité dont il est susceptible ; mêmes observations et mêmes demandes sur les concessions abusives des maîtres de postes[2], qui éludent toujours leurs privilèges hors les limites de la justice et de la loi. Pour les dédommager de leurs privilèges, dont nous demandons la suppression, on pourait leur accorder une légère augmentation par cheval ou autrement.

La précipitation avec laquelle nous rédigeons ces présentes, ne nous permet de nous étendre autant que nous le voudrions sur d'autres privilèges dont la puissance entraîne des dommages nottables aux particuliers. Nous indiquerons les droits de chasse, de pèche, de pigeonnier, beaucoup plus désastreux qu'on ne l'imagine. En Angleterre, on détruit aux frais du gouvernement les bêtes et les oiseaux, nuisibles aux biens de la terre ; doit-on, en France les élever et les protéger pour y être des fléaux publics, et dévorer la substance et les fruits du malheureux cultivateur ? Nous espérons de la bonté du Roi et des remontrances des États généraux, que ces droits, si opposés aux progrès de l'agriculture, seront sinon supprimés, du moins réduits de manière que personne n'en souffre. Le tableau des dégâts et dévastations causées dans les campagnes par les grosses bêtes, par les lapins et par les pigeons, qu'on ne manquera point sans doute de mettre sous les yeux de Sa Majesté, excitera sa justice à la réforme de ces privilèges abusifs.

Quant à la justice, nous demandons, avec l'effusion de nos cœurs et de nos sentiments, une refonte générale dans les lois qui doivent la fixer, et un ordre nouveau pour la distribuer.

Nous supplions Sa Majesté de supprimer les justices subalternes, et de rétablir les grands baillages, ou toute autre forme judiciaire qui nous raproche de nos juges en dernier ressort. On ne peut plus nombrer les victimes infortunées de l'ignorance et de la mauvaise foi des huissiers, de la rapacité des procureurs, de l'obscurité et de la contradiction dans les lois. L'éloignement des tribunaux en dernier ressort, la lenteur des jugements, le dédale inexplicable de la chicanne, les frais immences des voyages et de procédure, sont les armes ordinaires et toujours victorieuses du fort contre le faible ; de là, mille droits usurpés et perdus par l'impossibilité de les défendre ou de les faire valoir : de là, les gémissements superflus de la veuve et de l'indigent : de là, l'empire unique et absolu du riche et du puissant sur le pauvre.

Sire, nous connaissons vos sentiments de justice et de bonté pour nous, nous portons nos vœux et nos gémissements jusqu'à vous, sur ce point. Nous le disons avec larmes et vérité ; nous aimons mieux perdre nos droits les mieux fondés que de les réclamer au Parlement, ce tribunal formidable où nous perdrions tout en gagnant, où l'or seul que nous n'avons point, nous ferait ouvrir quelques portes, où nous ne trouvons que des refus et humiliations, où des sangsues tirent jusqu'à la dernière goutte de notre sang, où le sanctuaire de la justice n'est abordable qu'au crédit et à l'opulence, en sorte Sire, que ce tribunal est devenu la terreur de nous tous et, nous l'osons dire, de tous nos concitoyens.

Nous prenons donc, Sire, la liberté de supplier Votre Majesté de remédier à des maux que nous ressentons si vivement; d'établir un nouvel ordre judiciaire, où la justice soit rendue sans frais, où tout procès, de quelque nature qu'il soit, ne dure jamais plus de trois mois, où chacun puisse plaider sa cause, où l'on ne voye plus cette funeste maxime que la forme emporte le fond ; afin que la loi seule soit la sauve garde et la sécurité de tous, afin que la justice, base immuable de prospérité et de liberté, reigne sur nous par vos tribunaux, comme elle règne sur nous dans votre cœur et dans vos intentions.

Nous désirons aussi une réforme généralle dans la partie du controlle. Il règne dans celle partie un arbitraire dont personne ne peut se garantir. Les droits de francfief[3], de centième denier, et de controlle et d'insinuation d'une infinité d'actes, sont toujours perçus à la volonté des contrôleurs, toujours juges et interprètes des lois qui les concernent.

Les réclamations en surtaxe de leur part sont toujours inutilles et méprisées et, qui pis est, souvent blâmées et punies, quoique justes.

Les mêmes raisons nous déterminent aussi à demander la suppression des offices ou commissions d'huissiers priseurs dont les prétentions, sur les deniers des ventes, sont toujours sans bornes et sans lois. Les droits des mineurs, si dignes de commisération et de protection, réclament contre cet abus.

La mendicité est une peste dans l'État, puisqu'elle est l’écolle de tous les vices, et sur tout du vol et de la fénéantise, deux fléaux qu'on doit arrêter.

Le meilleur moyen serait d'établir, dans toutes les paroisses, un bureau de charité sous la surveillance, d'une assemblée municipale, qui se chargerait d'occuper à des travaux analogues à chaque pays, tous les pauvres qui manquent de travail.

Le clergé, dans cette province, est assés riche pour nourir tous .ses membres.

Nous voyons avec peine le sacerdoce avili dans les vicaires, forcés pour subsister de faire des glannes ou quêtes, qui sont aussi humiliantes pour eux qu'onéreuses pour nous. Nous désirons que des honoraires proportionnés à leurs besoins et à leur état soyent pris sur les dixmes des paroisses où ils travaillent, et cela en vertu d'une loi qui les règlent d'une manière fixe et invariable.

La partie des Aides est encore pleine d'abus et a besoin d'être reformée; il y règne un arbitraire qu'il faut supprimer.

Il est une infinité d'autres abus sur lesquels nous n'avons pas le loisir de nous expliquer. Nous nous réservons la liberté de donner de nouvelles instructions en temps et lieu, si Sa Majesté veut bien nous le permettre.

Fait et arrêté sous le ballet[4] de la principale porte de l'église de la paroisse de Sainl-Antoine-de-Rochefort lesditsjour et an.

Signé : Antoine Barré, René Bigot, Clotté, G. Herpin, G. Picard, Durand, Pierre Trassart, Louis Delorme, Etienne Couronne, François Guillemin, Pierre Bruneau, J.-F. Pichart, F. Dumur, Jean Moreau, Marin Tacheau, Julien Dumur, Jean Patault, Blottart, F. Leroy.



[1]  Revendication présente également dans le cahier de Champaissant, près Saint-Cosmes-en-Vairais. Cahier fortement inspiré par l’économiste Véron de Forbonnais membre de cette paroisse de Chamissant. Voir l’article de ce blog : http://www.nogentrev.fr/archives/2016/04/22/34356192.html

[2]  Le cahier de Champaissant s’en prenait également, plus vertement, aux privilèges des maîtres de poste aux chevaux :

     http://www.nogentrev.fr/archives/2016/04/22/34356192.html

[3]  Les habitants du tiers-état de la Ferté-Bernard, consacraient également un article entier de leur cahier à la suppression du droit de franc-fiefs. De fait la plupart des cahiers de la région réclamaient cette suppression.

[4]  Le mot ballet sert à désigner l’auvent surmontant un escalier en pierre.

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