La société populaire de Longny-au-Perche.
Selon Christine Peyrard[1] on peut définir la Société Populaire de Longny à la fois comme l’assemblée générale de la commune tant elle était implantée et représentative de la population ( les deux tiers des défenseurs des charités se retrouvèrent parmi les membres du club ), une école laïque et publique mais aussi comme une société de loisirs. Fait original qui mérité d’être relevé, le bureau de la Société était renouvelé tous les mois : le vice-président du mois précédent devenant président, le secrétaire, vice-président et un nouveau secrétaire était désigné. Si les hommes de lois étaient les plus nombreux au bureau, la participation des catégories populaires était loin d’être négligeable. Cette société ne fut jamais en relation avec les Jacobins de Paris, ne fut que rarement en relation épistolaire avec d’autres clubs et chercha souvent à se démarquer de celle de Mortagne-au-Perche.
Les réunions se déroulaient un soir sur deux après le travail. Les femmes y venaient nombreuses. Un des censeurs, chargés du maintien de l’ordre dans l’assemblée, affirmait, le 12 vendémiaire an III ( 3 octobre 1794 ), refuser d’assurer la surveillance parce qu’ « […] il ne veut pas devenir aveugle ! ». Ajoutant que, malgré ses observations, les citoyennes mangeaient des noix et que certaines d’entre elles allaient jusqu’à lui jeter les carapaces à la figure, précisant qu’elles s’agglutinaient à la porte pour mieux y bavarder. La société vota immédiatement une motion interdisant de manger durant les séances, de stationner à la porte, de rester debout et de parler. Motion contestée par un membre au nom de la liberté. La même soirée, une fois la motion adoptée, fut bien remplie d’abord on discuta des modalités d’admission des membres nouveaux ( en votant avec des fèves noires et blanches comme on le faisait jusque-là ou à voix haute ) et puis on débattait pour savoir s’il fallait construire une tribune ou si l’on continuerait à parles depuis sa place. Les propositions innovantes furent rejetées. De même qu’au cours d’une autre séance du même mois on refusa de procéder à l’épuration des membres.
Souvent les réunions s’avérèrent plutôt festives. Le 19 messidor an II ( 7 juillet 1794 ), la lecture d’une lettre d’un défenseur de la République originaire de Longny annonçant la prise d’Ypres et d’Ostende transforma la séance en fête improvisée. Le lendemain, jour de décadi donc férié, la séance fut entièrement consacrée à des chants patriotiques, puis les clubistes se rassemblèrent en masse devant le château, transformé en « salle des fêtes », afin d’exprimer leur joie par une danse. Le 10 vendémiaire an III ( 1er octobre 1794 ), à l’annonce des victoires ( une fête était programmée par la Convention pour le 30 du même mois ), la joie de « jeunes gens » qui envahirent le lieu des réunions fut tellement contagieuse que la lecture des nouvelles fut repoussée au lendemain, tout le monde chantant et dansant.
Hymne à l’Etre Suprême, 1794 ; paroles de Desorgues, musique de Gossec. Père de l'Univers, suprême intelligence Ton temple est sur les monts, dans les airs, sur les ondes Tout émane de toi, grande et première cause Pour venger leur outrage et la gloire offensée Dieu puissant ! elle seule a vengé ton injure O toi ! qui du néant ainsi qu'un étincelle De la haine des Rois, anime la Patrie Dissipe nos erreurs, rends nous bons, rends nous justes
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La fête de l’Etre Suprême, le 20 prairial de l’an II ( 8 juin 1794 ) fut célébrée en grandes pompes à Longny, le programme ayant été préalablement adopté par la société populaire. Les préparatifs durèrent une semaine : changement des noms des rues ( celle de l’église devint la rue de l’Egalité, la rue Saint Anne celle de l’Humanité, la rue Saint Hubert celle des Sans-Culottes, d’autres rues et places prirent les noms de la République, la Fraternité, les Droits de l’Homme, la Liberté, l’Union, la Montagne, les Piques, Marat, Le Peletier…), confection de banderoles, de bouquets de fleurs, répétitions musicales…
Le jour de la fête la matinée fut consacrée à une cérémonie civique réunissant les autorités constituées, les gardes nationaux, des citoyennes vêtues de blancs tenant chacune un bouquet tricolore à la main et du peuple auxquels le maire adressa un discours depuis la tribune du temple de l’Etre Suprême suivi de l’ovation : « Honneur à l’Etre Suprême ». Ensuite l’assistance se rendit en cortège par groupe de six se tenant par le bras devant l’arbre de la liberté où ils s’installèrent sur les gradins prévus à cet effet par groupe, d’abord l’enfance, puis l’adolescence, l’âge viril et enfin la vieillesse le tout au son de la musique alors que les citoyennes jetaient des fleurs. Une fois tout le monde installé, l’Hymne à l’Etre Suprême[2] fut entonné, les citoyens en reprenant le refrain. La matinée se termina aux cris de « Vive la République », cris accompagnés de tirs de fusils enfin La Marseillaise était reprise en chœur, une danse générale et une salve d’artillerie clôturant la cérémonie civique.
L’après-midi avait lieu le défilé de la statue de la Liberté promenée sur un chariot, ex-propriété du ci-devant château, tiré par deux chevaux, elle était accompagnée de la musique et entourée par les gardes nationaux. Le chariot était précédé par un drapeau tricolore arboré par des groupes de l’âge viril et de l’adolescence ( les défenseurs actuels et futurs de « notre divinité tutélaire » ) et suivi par les autres groupes. Le défilé s’ouvrait par un tableau sur lequel était inscrit « le peuple français reconnaît l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme »[3]. Après plusieurs pauses au cours desquelles le Maire prenait la parole, le tableau était placé au frontispice du temple de l’Etre Suprême, la statue de la Liberté placée sur un piédestal à côté de la déclaration des Droits de l’Homme dans la local de la Société. La journée s’achevait alors par des danses.
Le 30 vendémiaire an III ( 21 octobre 1794 ), La société de Longny organisait une représentation théâtrale, les auteurs de cette pièce patriotique étaient deux des fondateurs et anciens présidents de ladite société : Simon Goitard, 37 ans, ancien receveur du droit d’Enregistrement alors procureur de la commune, notaire de profession et payant 68# d’impositions en 1790 ; Pierre Bourdon, 40 ans, ancien cordonnier devenu postillon depuis trois ans, imposé en 1790 pour une livre. La pièce comportait cinq personnages joués par les deux auteurs et trois autres membres du club : deux autres membres fondateurs, François Feuillard, 29 ans, menuisier de profession et commandant de la garde nationale du bourg, Jacques Groustel, 26 ans, tailleur d’habits et adjudant de la garde nationale ; le dernier acteur n’était membre de la société que depuis six mois, il s’agissait du fils du juge de paix du canton, Louis Collivet, 30 ans, greffier de la municipalité et administrateur du district de Mortagne-au-Perche.
La société encadrait donc les loisirs des habitants de Longny en intégrant des valeurs républicaines à des pratiques plus traditionnelles.
Cependant les questions sociales s’invitaient dans les débats de la société, même si nos clubistes préféraient le plus souvent ne pas briser les liens de fraternité que nous appellerions de façon anachronique « interclassistes ». Le 30 Thermidor an II ( 17 août 1794 ), le rappel des cotisations en retard était à l’ordre du jour. Un membre observait que les retardataires étaient souvent les plus aisés, une motion proposa de diviser les membres en trois catégories payant 10, 20 et 40 sols de cotisation. Le Lendemain, Bourdon ci-devant citoyen passif, alors président du club, protestait avançant que cette proposition était contraire à l’égalité. Simon Goitard lui répondait que « tous les individus ne sont pas égaux en fortune, qu’il serait infiniment injuste que le pauvre paie autant que le riche, que d’ailleurs les riches n’ont donné que dix sols et qu’il y a lieu de penser que si le minimum avait été de cinq sols, ils n’eussent pas donné plus ». Mais la position défendue par le président l’emporta, la société fixant le minimum de cotisations à 10 sols en émettant cependant le vœu que « les riches se feront un devoir de l’outrepasser ».
Presque deux mois plus tôt, le 6 messidor an II ( 24 juin 1794 ), une séance extraordinaire fut consacrée au rapport de Barère présenté à la Convention pour détruire la mendicité. Certains membres soutinrent que l’objet de la réunion était dérisoire. Ces partisans de la municipalité redoutaient des critiques quant à la négligence dans l’application de cette loi. Le membre qui avait convoqué la séance, soutenu par d’autres membres, alla jusqu’à déclarer « qu’il regardait comme mauvais citoyen tout individu qui s’opposerait à la lecture d’un rapport qui intéresse la classe la plus respectable de la République. » Le maire finit par admettre le bien fondé des critiques émises.
La lecture des nouvelles était une des principales activités de la Société comme le plus souvent ce fut le cas dans la plupart des sociétés rurales semblables. En vendémiaire an III ( septembre octobre 1794 ), une motion proposait la nomination d’un ou deux lecteurs attitrés alors qu’elle était habituellement faite par le secrétaire qui n’était pas toujours un très bon lecteur. Cette proposition provoqua pour le moins des remous au sein du club, le secrétaire sans doute froissé par son contenu suggérait qu’à l’avenir ne fussent désignés comme secrétaires que de bons lecteurs. Le Président qui avait été accusé de remplir à la fois sa fonction et celle de secrétaire se disculpait en déclarant que « les secrétaires se trouvaient quelquefois fatigués par la mauvaise impression des papiers-nouvelles et, souvent, dans l’impossibilité de lire pour cette raison ». L’auteur de la motion précisait que celle-ci n’avait pas pour but de blesser quiconque mais que la société de Mortagne procédait ainsi. A la séance suivante, un membre attaqua cette motion comme « attentatoire aux principes de la liberté » expliquant que si les secrétaires n’étaient plus choisis que parmi ceux qui savaient très bien lire, le bureau risquait d’être toujours composé des mêmes ajoutant en outre qu’il n’était pas nécessaire de bien maîtriser la lecture pour faire preuve de civisme et être bon républicain. La société trancha le débat en maintenant la pratique coutumière mais admit « la possibilité pour le bureau d’inviter un secrétaire, reconnu bon lecteur, à lire les papiers-nouvelles et d’établir une tribune, déjà sollicitée, pour mettre la société à portée de mieux entendre et le lecteur d’être entendu sans forcer sa voix ».
A partir des premiers mois de l’an III, les inquiétudes liées aux subsistances dominèrent les débats de la société.
Durant l’hiver et le printemps de l’an III, les changements dans l’orientation politique nationale se firent sentir à Longny-au-Perche. En vendémiaire an III ( septembre –octobre 1794 ), le temple à l’Etre Suprême, après avoir servi d’atelier de salpêtre, redevint le temple de la Raison. Le 23 pluviôse ( 11 février 1795 ), la municipalité envoyait au club le buste de Marat qui ornait jusque-là la salle communale pour le faire disparaître, deux jours après le buste de Chalier était lui aussi brulé. En ventôse ( février-mars 1795 ) la société avait soutenu une motion demandant à la municipalité de faire rouvrir la chapelle pour y pratiquer le culte catholique ( constitutionnel sans doute ). En germinal ( mars-avril 1795 ), la Société débattait de l’opportunité de demander un prêtre catholique. En floréal de cette année ( avril-mai 1795 ), la municipalité faisait désarmer les trois clubistes, petits contribuables comme partisans de Robespierre[4]. Enfin le 3 prairial an III ( 22 mai 1795 ), la société était dissoute.
[1] Christine PEYRARD. Les jacobins de l’Ouest. : Publications de la Sorbonne, 1996.
[2] Voir encadré, les parole étant de Théodore Désorgues. Sur ce personnage voir la très belle biographie que lui a consacré Michel VOVELLE. Théodore Desorgues ou la désorganisation, Aix-Paris, 1763-1808. Paris : Le Seuil, 1985. Collection « L’Univers Historique ».
[3] AD 61, L 5112 : « pour faire oublier à jamais les figures aussi ridicules que mal dessinées qui décoraient jadis nos processions et pour prouver surtout au peuple qu’en détruisant des divinités subalternes, la Convention n’a jamais prétendu attenter à la seule divinité qui sera l’objet de notre culte épuré, sera porté solennellement l’inscription figurée qui doit être placée sur le frontispice du temple dédié à l’Etre Suprême ; […] »
[4] AD 61, L 2932.