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La Révolution Française à Nogent le Rotrou

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La Révolution Française à Nogent le Rotrou
  • Nogent-le-Rotrou et son district durant la Révolution française avec des incursions dans les zones voisines ( Sarthe, Orne, Loir-et-Cher voire Loiret ). L'angle d'attaque des études privilégie les mouvements sociaux et les archives locales et départemental
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22 avril 2016

Mamers, 19 au 23 juillet : les "folles journées".

Mamers du 19 au 23 Juillet 1789 : conséquences de la prise de la Bastille dans la « capitale du Sonnois ».

Si des troubles frumentaires éclatèrent dans les campagnes du futur département de la Sarthe au printemps 1789, et ce dès avril :  La Ferté-Bernard (voir l’article de ce blog : ) , Beaumont-le-Vicomte, Fresnay et même Alençon ; il semble que ce ne fut pas le cas à Mamers. Dans la « capitale du Sonnois » les autorités municipales avaient mis en place un comité de secours dès le mois de décembre 1788 (lors d’une assemblée des habitants de la ville convoquée le 18 décembre 1788 pour discuter des futurs Etats-généraux, voir l’article de ce blog :  ici) comme cela avait été fait précédemment en 1776 et 1783, ce comité avait fait venir du pays chartrain des farines, et distribuait, avec le concours de « plusieurs dames », du pain, du bois ainsi que d’autres produits de première nécessité.

Cependant à partir du mois de juin 1789, les Mamertins commencèrent à s’agiter. Des ouvriers de la forêt de Bellême, arrêtèrent des voitures de grains à destination de Mortagne-au-Perche. Le maire de Bellême ; le sieur de la Vingtrie, fit disperser l’attroupement, les habitants de Bellême se dispersèrent alors dans les campagnes proches de Mamers et firent pression sur les paysans pour qu’ils alimentassent en priorité leur marché au détriment de celui de Mamers. Les Mamertins réagirent en empêchant tout habitant du perche de venir acheter du grain sur leur marché[1].

Après la prise de la Bastille et dès que la nouvelle fut connue à Mamers, les habitants de la ville s’assemblèrent de façon quasiment permanente du 19 au 23 juillet 1789 tant pour célébrer l’événement que pour s’opposer à certaines taxes à la consommation ( les droits d’aides ) et aux brigands que l’on annonçait de toutes part[2].

Selon, cette brochure ( voir la note 2 ), le dimanche 19 juillet 1789 fut plutôt agité à Mamers :

Port de la cocarde imposépg«  Dimanche dernier, le peuple instruit de ce qui s’était passé dans la capitale, s’arma, prit la cocarde, et nous[3] força tous d’en faire autant, Prêtres, Nobles et Bourgeois. Un seul officier retiré[4] que le peuple n’aime pas, refusa de la prendre, malgré l’exemple des premiers du canton. Son obstination manqua de lui coûter la vie, et il l’aurait infailliblement perdue au carcan, si d’après le conseil du premier juge du lieu, son ami, il ne se fut enfin décidé à accepter cette cocarde, que le peuple en foule retourna lui présenter. Quelques femmes nobles Mesdames de Bonneval et Desmalé[5] pour avoir traité de polissons et de canailles le peuple, dont la fureur se bornait seulement à encocarder tout le monde, ont été très maltraitées ; on assure même qu’elles ont laissé plusieurs dents.[…] »

CocardeLa mobilisation «  cocardière » se poursuivit le lendemain, lundi 20 juillet 1789. Le lundi étant à l’époque, comme encore de nos jours, jour du grand marché les paysans des alentours venus en ville et les Mamertins  arborèrent systématiquement la cocarde et malmenèrent les téméraires qui la refusaient. Voici comment cette journée est rapporté dans la brochure déjà évoquée :

« […]

Le lundi, jour de marché, tous les paysans prirent la cocarde, le nommé Aquinet[6], seul, laboureur détesté du peuple, l’ayant refusée, il fut saisi, dépouillé jusqu’à la ceinture, et ainsi promené dans toutes les rues et places publiques ; une grêle de coups de poings et de bâtons, l’avertissait de temps à autres de rendre hommage à la Nation et au Roi. Après lui avoir fait faire dans cet état le tour de la ville, le peuple se disposait à l’attacher au carcan et à l’y lapider, lorsque sa femme enceinte, qui l’avait constamment suivi, parvint enfin à force de pleurs et de gémissements, à  calmer les fureurs de cette multitude qui lui jeta entre les bras son mari tout défiguré […] »

Le mardi 21 juillet 1789, les événement prirent un visage nettement plus revendicatif, la population de Mamers s’en prit ce jour-là aux employés de la régis des aides. Cette fois les sources de la municipalité viennent confirmer ce que la brochure relate ( voir l’article de ce blog, consacrée à la délibération municipale du 22 juillet 1789, en cliquant ici ). Mais le peuple mamertin s’en prit également aux châteaux et maisons religieuses des environs sans doute pour y dénicher quelque « aristocrate ». Ce qui semble prouver que les rumeurs de « brigands » à la solde des aristocrates, si caractéristiques de la « grande peur », étaient déjà connues à Mamers alors. Cependant, ces événement semblèrent rester « bons enfants », il n’est nullement question d’ épisodes tragiques comme ceux qui se déroulèrent deux jours plus tard à Ballon :

Chateau de chère pérrine« […] Le mardi suivant, les commissaires aux Aides, eurent leur tour ; la journée se passa à leur donner les étrivières[7] et la chasse, à aller dans les châteaux et maisons religieuses des environs, faire des perquisitions et offrir des cocardes. «  M. Noguet[8], beau-frère de M. de La Borde[9], qui est dans ce moment dans son château[10] à quelques distances d’ici, est dans les transes les plus cruelles ; il craint une descente, surtout depuis que les paysans, qu’il priait de le garder, lui ont répondu fièrement : «  Prenez les armes et venez avec nous »

[…] »

La mobilisation de la population de Mamers pour s’opposer aux «  brigands » commença le mercredi 22 juillet 1789 par l’arrivées de courriers, très vite la municipalité invita les Mamertins à organiser la sécurité de la ville ( voir l’article de ce blog, consacrée à la délibération municipale du 22 juillet 1789, en cliquant ici ). Des patrouilles circulèrent tant dans la ville que dans les campagnes proches durant toute la nuit. Une assemblée générale des habitants de la ville fut convoquée pour le lendemain, jeudi 23 juillet 1789, pour traiter des droits d’Aides mais aussi pour organiser une « milice bourgeoise » sur le modèle parisien, ce jour-là fut désigné un « comité de sûreté de l’hôtel de ville » afin de  compléter l’ancienne municipalité.

La brochure déjà utilisée narre de façon grotesques et bien peu crédible les événement de ce mercredi et de la nuit qui suivit, notamment les épisode concernant les femmes du peuple. J’en donne cependant une retranscription car elle peut donner des renseignements utiles quant à la nature de rumeurs propagées :

« […]

A ces agitations [ celles du dimanche au mardi ] succédèrent bientôt des alarmes générales. Le mercredi, deux courriers, arrivés successivement, répandent avec le ton d’effroi, l’arrivée de cinq à six mille brigands dans le canton. A les entendre, Nogent et La Ferté-Bernard[11] venaient d’être pillés et mis à feu et à sang. On les avait vu dans la forêt de Bonnétable ; déjà ils n’étaient plus qu’à deux milles[12] au plus, bientôt les voilà aux portes de Mamers. Le trouble et la terreur s’emparent de tous les citoyens[13], le tumulte devient affreux, les cris et les gémissements se font entendre ; on sonne le tocsin ; des femmes au nombre de six à sept cents prennent la fuite avec leurs enfants, vont se cacher dans les grains ; une d’entre elles, accouchée depuis huit à dix heures au plus, quitte son lit, prend son petit trésor et s’enfuit jusque dans la forêt de Clinchamps[14], à deux à trois mille de là.

Cependant les hommes s’assemblent, quoique en petit nombre ; ils s’arment à la hâte de fusils, de sabres, d’épées, de haches, et de piques, et s’excitent au combat, ils attendent nos brigands de pieds fermes.

On perd la tête, on envoie, en poste, à Alençon demander des secours à l’intendant ; l’intendant refuse net, on jure sa perte.

On fait sonner le tocsin dans toutes les campagnes voisines ; et l’armée déjà soutenue d’un petit détachement de dragons, en quartier dans cette ville, se vit sous peu augmentée et soutenue de quinze à seize mille paysans, tous armés de faux, de fourches, de brocs[15], de piques, de pieux. On avait envoyé en outre demander des secours à Mortagne, Bellesme, Fresnay et Ballon

[ ici l’auteur insère un récit peu fiable sur les événements survenus à Ballon le 23 juillet 1789 ]

Quant aux préparatifs qui se faisaient à Mamers ils ont été heureusement inutiles, les brigands n’ont point paru ; la présence des alliés qui se seraient montés dans peu à plus de soixante mille, devenant à charge aux Mamertins, faute de munitions, chacun s’en est retourné chez soi en promettant de revenir au premier signal.

On n’en demeura pas moins ici sous les armes ; les bourgeois et les paysans font patrouille d’une ville à l’autre, de village à village, de bourg à bourg ; on craint toujours les brigands, mais on commence cependant à s’aviser, à se dire et à croire que les courriers qui ont annoncé leur arrivée, pourraient bien n’être que des émissaires payés par des gens intéressés à faire diversion à la fureur du peuple, qui est toujours plus décidé que jamais à faire la guerre aux accapareurs de grains.

Mamers seul, dans toute la province, avait été tranquille jusqu’à ce jour et assez abondamment approvisionné. »

Grande peur carte

 


[1] AD, G 90, lettre de Pélisson de Gennes, lieutenant général au baillage de Mamers,  adressée à l’intendant d’Alençon et datée du 23 juin 1789.

[2] Les archives municipales ne nous permettent pas de retracer précisément l’agitation quasi-permanente que connue la ville dans ce mois de juillet sans pareil. Je m’appuie sur un document publié par Gabriel Fleury en 1906 ( Gabriel, FLEURY. La ville et le de district de Mamers pendant la Révolution ( 1789-1804 ). Mamers : 1906. Tome 1, pages 95 à 97 ), ce document ne doit pas être pris au pied de la lettre, d’abord parce qu’il est fautif lorsqu’il rapporte les événements du « jeudi fou » de Ballon, et d’autre part parce qu’il est aisé de discerner des visées politiques, certes,   favorables au nouveau cours des choses mais méfiant vis-à-vis de la « populace ». Il commence par tourner en ridicule d’abord les nobles  puis lors du récit de la nuit du 22 au 23 juillet 1789 il dresse une image assez caricaturale des attitudes du peuple mamertin, et plus particulièrement des femmes de la ville. Manifestement ce récit est au moins de seconde main, puisque bien souvent les noms propres sont écorchés.

Il s’agit d’une petite brochure in-8° de 8 pages, parue au Palais royal à Paris, sans nom d’auteur, ni date ( mais cependant de 1789 ), intitulée :  Troubles, Emeutes et exécutions sanglantes qui ont eu lieu dans quelques cantons de la Province du Maine. Document consultable à la Bibliothèque Nationale sous la côte : Lb, 39, n° 2064 ( malheureusement il n’est pas disponible en ligne sur le site Gallica ).

Bien entendu, je complète l’information à partir des registres de délibérations de la municipalité de Mamers pour confirmer ou infirmer le premier document.

[3]  L’utilisation de la première personne du plusieurs vise ici à faire croire qu’il s’agit d’un témoignage alors que le reste du récit montre bien que le narrateur ne fut pas témoin des faits mais rapporte ce qu’ « on assure ».

[4] M. de Beauvoir précise Gabriel Fleury.

[5] Lire Sémallé.

[6] Lire Aguinet.

[7] Pièces en cuir reliant la selle à l'étrier. Plus couramment, courroies de cuir.

[8]  Lire de Nogué.

[9] Jean-Benjamin de La Borde compositeur, historien mais aussi fermier général, né à Paris le 5 septembre 1734, mort guillotiné, toujours à Paris le 4 thermidor an II ( 22 juillet 1794 ).

[10] Le château de Chèreperrine, à Origny-le-Roux ( Orne ) à quatre kilomètres de Mamers.

[11]  S’il semble bien que La Ferté-Bernard fut touchée par la grande peur de juillet 1789 ( cependant les archives n’en gardent pas de traces), un des foyers de propagation si situant dans la forêt de Montmirail, plus précisément au Plessis-Dorin, qui avec sa verrerie, employant plusieurs centaines de travailleurs, constitua un foyer d’agitation permanent durant la Révolution. Par contre Nogent-le-Rotrou fut totalement épargné par ces rumeurs.

[12] Il est peu probables que les courriers usent de  ce terme, on s’attendrait plutôt à ce que le mot lieue soit utilisé.

[13] Ici commence la « grande scène du deux », digne des mélodrames les plus pathétiques.

[14] Sur la commune de La perrière dans l’Orne.

Cette évocation d’une fuite éperdue dans une forêt est en totale contradiction avec le fait que ce fut bien souvent dans les forêts qu’on crut voir des « brigands ».

[15] Il s’agit de  broches.

 

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