Le vendredi 18 Septembre 1793, la municipalité de Nogent-le-Rotrou tenait deux délibérations. 93_09_18
- La première portait sur le tombeau de Sully. Cette délibération, finalement assez brève, a fait couler beaucoup d’encre dans le Landerneau des érudits locaux. Elle a été longuement et diversement étudiée[1] tout au long du XIX°siècle et encore récemment un auteur friand de mystère a prétendu l’avoir totalement résolue.
Ce jour-là un membre de la municipalité non identifié[2] dans le compte-rendu de la séance proposait d’ouvrir le tombeau de Sully et de sa femme. Il avançait deux types de raison, une première qui selon nous n’est qu’un « emballage idéologique dans l’air du temps » ( faire tomber un emblème du despotisme ) la seconde beaucoup plus pragmatique et par là même sans doute plus « vraie » : récupérer le plomb dans lequel étaient enveloppés les corps pour en faire des balles que d’aucun ont qualifiées de « patriotiques ». Je dis d’autant plus « vraie » car ce type d’opération n’a pas été rare dans les années 1792-1793 et suivantes ( il arriva la même chose au tombeau de Louis XI à Cléry-Saint-André durant l’année 1792, sans parler de ceux de la basilique Saint-Denis ). En 1793, la République était dans une situation plus que périlleuse : défaites aux frontières, guerres civiles à l’intérieur avec le soulèvement dit « vendéen » mais aussi les mouvements « fédéralistes » qui cherchaient à mettre en place des armées départementales pour « monter à Paris » ( les départements du Calvados et de l’Orne, proches de Nogent, étaient en pleine effervescence, les « fédéralistes girondins » s’y étant alliés à des forces royalistes )…Rien de surprenant que dans ces conditions, aggravées par un réel état de pénurie ( tant alimentaire qu’autre ) des mesures extrêmes aient été mises en œuvre parmi lesquelles la descente et la fonte des cloches des églises et chapelles désaffectées depuis 1790-1791. Ce n’était pas la première fois que de telles pratiques furent appliquées ni la dernière ( qui ne sont pas exhaustifs loin s’en faut ) , Alain Testard cite les cas suivant: « […] apparement de tout temps on récupérait le bronze : c'était apparemment déjà une pratique courante ( et moralement acceptable ) dans la Mésopotamie ancienne, à Mari en tout cas au XVIIIe siècle [ avant notre ère], qu'un roi donne l'ordre d'aller récupérer les objets en bronze dans les tombes pour approvisionner ses troupes en bronze[3]et en1914-1918 [ et en 1939-1940[4] ], encore, les statues de bronze de nos places publiques ont pu être démontées pour fabriquer des canons [...] »[5]
Toujours est-il que la municipalité, prudente, ne suivit pas l’avis de son membre préférant s’en remettre à la décision du département en transmettant sa délibération d’abord au district. L’ouverture du mausolée de Sully étant bien attesté dans la « mémoire » nogentaise, il ne se fit pas en septembre 1793 et sur décision de l’administration du département.
« Ce Jourd’huY DiX Huit Septembre mil Sept cent quatre Vingt TreiZe L’an 2.e de la Republique une et IndiviSible
En l’aSsemblée permanente du ConSeil Général de la Commune de Nogent Le rotrou Tenüe Publiquement.
UN Membre a obServé quil eXistoit dans une petite chapelle dependante de l’ hôtel dieu le [ mot rayé indéchiffré ] le mausolée de Sully et Sa femme, que ce mausolée est crud’embleme du despotisme[6] ; qu’il eXiste en outre dans un caveau deuX cercueils de plomb dans lesquels Se trouvent les oSsements de ces deuX IndividuS ; que toutes les marques de distinctioN Pour des êtres qui ne dont les actions ne rappellent à la posterîté que les loiX de l’esclavage le plus aviliSsant doîvent être abolies ; pourquoi Il a propoSé au ConSeil Général de demander la destruction de ce monument, à l’adm.on du dep.t
Le Conseil Général prenant en Considération la demande ci-dessus a arrêté d’inviter le dep.t a ordonner La destruction des mausolées et tombeauX de Sulli & Sa femme dont acte ./. »[7]
Une semaine plus tard, le jeudi 25 septembre 1793, le directoire du district de Nogent-le-Rotrou délibérait sur la demande de la municipalité. Cette dernière administration modérait quelque peu la demande de la commune en préconisant que le mausolée[8] ne fut pas détruit mais conservé au « Muséum national »[9]. Par contre, le district approuvait totalement la destruction des cercueils pour en récupérer le plomb[10] sans en référer, tout au moins formellement, au département contrairement à ce que préconisait la municipalité :
« Vu la délibération du Conseil de la Commune de Nogent par laquelle il Invite le directoire du département a ordonner la Destruction des Mausolée et Tombeau de Sulli et de Sa femme existant dans une chapelle dependant de l hotel dieu de Nogent, apres avoir entendu Le procureur Syndic Considerant que Si le Monument dont est question ne doit pas eXister Sous le Regne de l 'egalité il pourrait etre conservé comme chef d'oeuvre de l'art est d'Avis qu'il y a lieu de faire visiter le Mausolée dont il S agit par un artiste qui declarera S il ne Serait pas Convenable De les faire enlever pour etre deposés comme chef d'oeuvre de l'art au Museum National et au Surplus quil y a lieu d ordonner la destruction des cerceuils Renfermant les cendres des dits Individus »[11]
- Dans sa seconde délibération, la municipalité décidait de l’embauche d’un commis greffier, le citoyen Tison de Saint Victor-de-Buthon[12] :
« Ensuite Le procureur de la Commune a fait remontré que le Secretaire GreFFier de cette municipalité ne pouvoit Suffire par lui-même auX opérations multipliées dont Cette Commune Se trouve Surchargée et avec d’autant plus de RaiSon que les Subsistances, Le passage des militaires, la delivrance des paSseports et des certiFicats residence peuvent occuper entierement un Commis, que la redaction des délibérations des procès verbauX et autres actes relatifs à l’administration & police de cette Commune, la conFectioN des Roles + sont plus que Capables de remplir les moments du C.en Fauveau Sécrétaire actuel qui emploYe une partie de Son Tems à l’eXercice de Ses Fonctions d’avoué ; pourquoY Il a proposé que le ConSeil Général nommât un Commis GreFFier pour être adjoint au C.en Fauveau, et que le traitement de Ce Commis Fut FiXé proviSoirement à Sept cent livres, et celui du C.en Fauveau réduit à telle So.e que le ConSeil arbitrera
Le Conseil Général Convaincu qu’il est Impossible au C.en Fauveau de remplir le travail Immense qu’eXige qu’ exige la place de Sécrétaire de cette municipalité, nomme par ces prèSentent le C.en Tison natif et domicilié de S.t victor de Button + [rajout en fin de délibération : +commis du greffier actuel de cette municipalité ] auX appointements de Sept cent livres et reduit ceuX du Cit ; fauveau fiXés à 1 000# a 600#, ce pour être la PrèSente delibération confirmée par le département, le ConSeil général ordonne que Copie d’Icelle Sera envoyée au district
et à l’instant est Comparu Le C.en Saturnin Jacques Jean M.el Tison lequel après avoir pris communication de l’arrêté ci-dessus, a déclaré accepter la Place de Commis greFFier de cette municipalité auX emoluments Y enoncés et promis Par Serment de lui pris de bien et fidellement en remPlir les fonctions, enc.e auSsi d’être Fidèle à la nation à la loi et de maintenir de Tout Son pouvoir l’unité et l’indiviSibilité de la Republique dont acte ./.
ferré Bacle Beuzelin VaSseur
Maire
PI. Chereault Tarenne Hubert Lalouette
J Gautier Rigot G Petibon J. C. Joubert
Grenade Regnoust Chevrel
J Sortais f. G Verdier VaSseur
Maire
Pi Chereault Baudoüin
Fauveau P.re Lequette
P.r de la C. »[13]
[1] Je renvoie le lecteur curieux à deux études, parmi les moins farfelues de celles publiées au XIX° siècle, rééditées à la fin du vingtième siècle. L’une due à la plume d’Aristide Gouverneur datant de 1884 et la seconde, très brève, de son gendre Gustave Daupeley.
Référence : A. GOUVERNEUR, G. DAUPELEY. Documents sur Nogent-le-Rotrou. Nogent-le-Rotrou, 1996.
[2] Il ne peut s’agir ni du maire, ni du procureur de la commune, dans ce cas leur fonction aurait été précisée. Les possibilités sont assez large vu le nombre de signatures apposées au bas de la seconde délibération. Nous pencherions pour le citoyens Beaudouin, mais au risque de la chute car c’est un choix qui ne repose sur aucune preuve documentaire, tout au moins au stade actuel ( 21 mai 2016 ) de nos dépouillements d’archives.
[3] Jean-Jacques Glassner ( communication personnelle faite à Alain Testart ), qui s'appuie sur plusieurs textes, une lettre royale et un texte divinatoire.
[4] Ce fut le cas de la statue en bronze du Conventionnel Levasseur dit de la Sarthe au Mans.
[5] Alain TESTART. Avant l'histoire. L'évolution des sociétés de Lascaux à Carnac. Paris : Editions Gallimard, 2012. Collection : « Bibliothèque des sciences humaines ». page 179.
[6] Signalons tout de même que même chez les « sans culottes » les plus radicaux, le roi Henry IV gardait encore une certaine auréole positive, cependant rien n’indique qu’il en fut de même de ses saints !
[7] A. M. Nogent – le – Rotrou 1 D 2, feuillets 95 recto et verso.
[8] Par ce mot, le district évoquait très certainement la statue du ministre et de sa femme, celle de Sully ayant été exécutée en 1642 par Barthélémy Boudin, celle de sa femme plus tard, elle ne mourut qu’en 1659, certainement par le même atelier mais sans doute pas par le maître. Le monument ne quitta pas Nogent, contrairement au souhait du district. Il peut être visité encore de nos jours, voir le site de l’office du tourisme local :http://www.nogentlerotrou-tourisme.fr/richesses-du-patrimoine-nogentais/le-tombeau-de-sully-2.php
[9] Par cette expression le district désignait certainement le tout nouveau musée du Louvre. On oublie un peu systématiquement que la période révolutionnaire ne fut pas que destructrice d’œuvres mais qu’elle créa également les grands musées qui aujourd’hui constituent des fleurons de l’industrie du tourisme en France ( Château de Versailles, Louvres… ) mettant ainsi les chef d’œuvre à la disposition de la nation toute entière.
[10] Qui selon elle renfermait les cendres de Sully et de sa femme. Est-ce une formule métaphorique ou les corps avaient-ils été réellement incinérés ?
[11] AD 28, L 1177 nouvelle côte, L 153 ancienne côte.
[12] Heureuse initiative pour le lecteur actuel lorsque le citoyen Tison prenait la plume en lieu et place du secrétaire titulaire, le citoyen Fauveau.
[13] A. M. Nogent – le – Rotrou 1 D 2, feuillets 95 et 96.