Février 1789 : le district de Mamers s’agite.
La préparation des États-Généraux entraîna une certaine agitation de la part du district de Mamers au début de l’année 1789, agitation certainement entretenue par Pélisson de Gennes le bailli. Les membres du district envoyèrent à Necker un courrier pour obtenir une députation indépendante pour le Saosnois. Le district dont il sera question ici n’a absolument rien à voir avec les districts mis en place lors de la réforme administrative de l’assemblée constituante à l’extrême fin de l’année 1790 ( voir l’article de ce blog consacré à cette administration de district de 1790-1795 réforme : ici ).Il s’agissait des échelons administratifs inférieurs issus de la tentative de réforme administrative mise en place en 1787, nouvelles administrations qui face aux événements n’auront pas vraiment le temps de fonctionner. Selon cette réforme de 1787, était établi une assemblée[1] de la généralité de Tours qui était composée de 24 membres désignés par le roi, de 24 élus par les premiers ( dont 6 nobles, 6 membres du clergé, 12 membres du Tiers-État parmi ces élus figurait l’abbé Marquis Du Castel curé de Marolles-les- Brault, doyen du Soasnois ) ainsi que de 8 membres des assemblées provinciales élus par les mêmes que précédemment ( parmi ces 8 élus nous rencontrons Pélisson de Gennes, lieutenant-général de Mamers ) et trois assemblées provinciales une pour la Touraine, une autre pour l’Anjou et enfin la troisième pour le Maine. L’assemblée provinciale du Maine était composée, quant à elle, de 32 membres ( 8 nommés par le roi, 8 autres par l’assemblée générale de la généralité et les 16 derniers élus par les précédents ). Cette dernière constituée le 6 octobre 1787, mis en place, le 12 de ce mois, des subdivisions de son territoire nommées districts. L’assemblée provinciale se sépara le 24 octobre 1787, laissant la gestion des affaires à une commission intermédiaire. Il y eut ainsi 16 districts dans le Maine entre 1787 et 189/90, Mamers fut à la tête d’un district comptant 47 paroisses et présidé par M. d’Aillières[2].
Pour les États-Généraux, il était prévu que les villes disposeraient de 4 députés du Tiers pour siéger dans les assemblées qui devaient désigner les députés qui se rendraient à Versailles, cependant le règlement du 24 janvier 1789 prévoyait des exceptions, par exemple Le Mans disposait 15 députés du Tiers, Bonnétable et Mamers,6. Mais il n’y avait qu’une sénéchaussée principale du Maine, le baillage de Mamers y étant rattaché à titre secondaire comme les sénéchaussées ou baillages de Laval, Beaumont-le-Vicomte, Fresnay-le-Vicomte, Sainte-Suzanne et Château-du-Loir. Les Mamertins, surtout les anciennes élites, craignaient de n’avoir aucun député représentant le Saosnois aussi en février 1789, les membres du « district » de Mamers écrivaient à Necker afin que le Saosnois obtint un siège de représentant aux Etats-Généraux doublant ainsi, contrairement à ce qui était affirmé dans ce courrier, les démarches effectuées les 18 et 21 décembre 1788 à l’initiative de la municipalité ( voir l’article de ce blog ici : cliquer ici ). D’ailleurs, presque au même moment un Mamertin, l’avocat et notaire, Le Balleur, se proposait de réaliser une gravure en hommage au même Necker ( voir l’article de ce blog ici :c'est par ici ), de là à y voir une démarche concertée...
Voici la longue argumentation développée par le « district » que j’aurais tendance à trouver plutôt maladroite par moment. Notamment dans la partie consacrée aux impôts où il tentait de montrer que le Saosnois payait proportionnellement plus d’impôt que le reste de la province du Maine, cette référence constante au Maine pouvait plaider en faveur de son rattachement au Maine alors que dans la première partie « historique » il essayait de montrer que le Soasnois n’avait jamais fait partie du Maine. De même lorsqu’à la fin de son courrier il plaidait pour ne plus dépendre du présidial de La Flèche trop éloigné, ce qui n’est que vrai, on pouvait en conclure non sans logique qu’il fut plus « naturel » de rattacher Mamers au Mans :
« Remontrent très-humblement les membres du bureau du district de Mamers, capitale du Sonnois, province du Maine, qu’ils regardent comme un de leurs devoirs de mettre sous les yeux de votre grandeur les motifs qui peuvent déterminer à donner au Sonnois des représentants aux États-Généraux, et de réparer ainsi le tort que fait à ce pays l’inaction de l’hôtel de ville de Mamers dans un temps où presque toutes les villes font valoir leurs droits et leurs moyens[3].
Le Sonnois est un canton particulier de la province du Maine, il contient une étendue de terrain d’environ trente lieues carrées, il s’étend dans les soixante –dix paroisses[4] dont le détail suit :
La ville de Mamers est la capitale du Sonnois, elle a son baillage royal, connu autrefois sous le nom de baillage du Sonnois, et qui n’a aucun rapport avec la sénéchaussée du Maine. Le Sonnois a presque toujours eu ses seigneurs, son bailly, son siège et ses juges particuliers. Il a été le théâtre de plusieurs guerres que ses barons ont eu à soutenir contre leurs voisins.
Si quelquefois il a été réuni au comté du Maine, il est certain aussi qu’il a été démembré et que depuis longtemps il ne le reconnaît qu’à titre de suzeraineté.
En 1150, il était possédé par Guillaume de Talvas, à cause de son épouse qui était fille de Hugues, comte du Maine[5]. Il a passé dans les mains de la maison de Lorraine, des comtes de Vendômes et des ducs d’Alençon. Le baillage du Sonnois en 1400, reportait à la chambre des comtes de Vendômes qui nommait les baillis du Sonnois.
En 1508, lors de la réformation de la Coutume du Maine, le Sonnois appartenait au duc d’Alençon. Geofroy Viel assista au procès-verbal de réformation en qualité de lieutenant du bailli du Sonnois, et Michel Guillotin, en qualité de procureur de la baronnie du Sonnois.
Henri IV, possesseur de la baronnie du Sonnois, lors de son avènement au trône, érigea le siège de la Flèche et lui donna pour ressort le baillage du Sonnois avec les justices de Beaumont, Fresné et Ste-Suzanne, par son édit de 1595, il créa royaux ces quatre sièges suivant leur dénomination, avec juridiction sur les hautes justices inférieures qui étaient dans le ressort de chacune d’elles. Il établit royaux les officiers qui exerçaient alors leurs offices tant de judicature qu’autres, même les notaires et sergents. Enfin, il créa deux offices de conseillers dans ces sièges, avec les privilèges dont jouissaient les conseillers des baillages royaux.
En 1597, Henri IV, attacha au baillage de Sonnois, séant à Mamers, la connaissance des cas royaux par des lettres patentes qui furent adressées au lieutenant-général du bailli du Sonnois, ce qui annonce que dans ce temps, le bailli du Sonnois était regardé comme bailli d’épée, et si dans la suite le bailli a fait les fonctions de premier juge au baillage de Mamers il n’a point cessé pour cela d’avoir la qualité de bailli du Sonnois. Les provisions de cet office qui ont été expédiées en la grande chancellerie de France, ont toujours attribué à celui qui les a obtenues la qualité de bailli du Sonnois séant à Mamers. Il y a au baillage de Mamers, un lieutenant-général, un lieutenant particulier, deux offices de conseillers, un avocat et un procureur du Roy.
M. Pélisson de Gennes, pourvu de l’office de bailli du Sonnois, est en cette qualité, le premier officier du baillage de Mamers, il préside en robe longue ; il fait toutes les fonctions de premier juge civil, criminel et de police, soit parce qu’il en a le droit à cause de l’office de bailli, soit parce que ses prédécesseurs ont acquis et lui ont transmis les offices de lieutenant-criminel et de lieutenant-général de police. M. de Gennes tient ces offices de M. son père. Il y a été reçu en la grand’Chambre du Parlement de Paris, le 7 mai 1777 et installé au baillage de Mamers, le 26 du même mois.
Les jugements qui s’expédient en forme par le greffier sont intitulés ainsi : « A tous ceux qui ces présentes verront, Guillaume-Joseph Pélisson de Gennes, seigneur du Boulay, Belle-Noé, les Vallées et autres lieux, conseiller du Roi et de Monsieur, Bailli du Sonnois, juge royal, civil, criminel au baillage royal de Mamers, lieutenant-général de police de la même ville et au même siège, Salut. »
La ville de Mamers, capitale du Sonnois, presque ignorée au commencement de ce siècle, ne méritait point les égards auxquels son commerce et sa population lui donnent lieu de prétendre aujourd’hui. Elle peut être considérée comme la troisième ville du Maine, ou au moins elle dispute ce titre à la ville de Mayenne.
On peut évaluer à sept millions par an son commerce tant en fils, toiles, laines, bleds, vins et eaux-de-vie, qu’en bestiaux qui se trouvent chaque semaine en très grande quantité au marché de cette ville, marché qui est un des plus considérables et des plus soutenus de la province.
Le Sonnois est surchargé d’impôts ; les soixante-dix parroisses ci-devant nommées payent, savoir :
1° En taille, impositions accessoires, capitation et corvées, environ trois cent dix mille livres, somme à laquelle la ville de Mamers, dont le territoire ne comprend pas plus de trois cents arpents, contribue pour vingt-trois mille cent soixante-dix livres, ci……………………….310 000 L.
2° En vingtièmes quatre-vingt-trois mille cinq cent soixante livres, dont la ville de Mamers paye trois mille neuf cent trente-cinq livres, ci……………………………………………………………………….83 560 L.
3° En droits d’aides, environ quatre-vingt mille livres, dont Mamers paye plus de trente mille livres, ci………………………………….80 000 L.
4°En sel et en tabac plus de cinq cent mille livres, ci……500 000 L.
5° En droits de contrôle et autres plus de soixante mille, ci 60 000L.
Ainsi la contribution des 70 paroisses dans la masse des impôts, monte à environ…………………………………………………..1 033 500 L.
Le Sonnois qui contient environ trente lieues carrées est à peu près le dix-huitième partie de la province du Maine, qui en contient cinq cent cinquante-quatre, cependant sur douze millions d’impôts payés par la province du Maine, le Sonnois en paye plus d’un million, c’est-à-dire plus de la douzième partie.
Il est de toute justice que le Sonnois presque ignoré en 1614, ait des représentants aux États-Généraux. Il se trouverait privé de cette faveur, si les convocations se faisaient par baillage, il n’y en avait pas une particulière pour celui du Sonnois, puisqu’il est vrai que le baillage de Sonnois n’a aucun rapport avec la sénéchaussée du Mans et qu’il ne dépend d’aucun autre siège de la province du Maine. Il fait partie du présidial de la ville de la Flèche, située à vingt lieues de Mamers, il se trouve par conséquent lié à la province d’Anjou, à un pays étranger par rapport à lui et qui est intéressé à se défendre des impôts aux dépens des provinces voisines.
C’est de votre justice, Monseigneur, de cette justice qui doit faire le bonheur de la France, parce qu’elle prescrit l’égalité dans la répartition des impôts et qu’elle n’est arrêtée par aucunes considérations particulières, lorsqu’elles ne tendent pas au vrai bien, que le Sonnois attend le droit d’avoir des représentants aux États-Généraux. Les suppliants font des vœux bien sincères pour la prospérité de votre grandeur, et pour l’exécution de ses précieux et salutaires projets.
Pélisson de Gennes, bailli du Sonnois, Ignard Gombaudière, avocat membre du district de Mamers, Hardouin, avocat au Parlement, membre du bureau du district, Le Tondeur, D M curé de Mamers. »[6]
Dans le même temps le sénéchal de Beaumont, marquis de Tilly, envoyait lui aussi, le 1er février 1789, un courrier à Necker, qu’il redoublait d’une seconde lettre le 19 du même mois. D’un ton tout à fait différent de celui de la lettre du district de Mamers et pleins de morgue aristocratique ces courriers furent sans effet ( voir en annexe ci-dessous ), la Sénéchaussée de Beaumont-le-Vicomte resta secondaire. Il en fut de même d’ailleurs dans le Saosnois, malgré la longue supplique du Sieur « district », Mamers resta baillage secondaire.
Dans sa seconde lettre, le Sénéchal de Beaumont se montrait condescendant avec les simples baillages comme Mamers ce qui traduisait peut-être un conflit entre les deux institutions à propos des limites respectives de leurs ressorts, conflit tout à fait exemplaire de l’imbrication inextricable des structures judiciaires et plus largement administratives de ce qui deviendra sous peu « l’ancien régime ».
Annexe : Courriers du Sénéchal de Beaumont à Necker.
Lettre du premier février 1789 :
« Monseigneur
J’ai l’honneur d’être grand sénéchal d’épée au baillage de Beaumont-le-Vicomte, provin du Maine, et comme tel, j’ai le droit incontestable de convoquer au besoin l’arrière ban, ainsi que de convoquer et présider l’assemblée baillagère qu’il me paraît dans les intention du Roi, d’ordonner incessamment dans tout son royaume.
D’après cela, Monseigneur, je crois pouvoir me flatter que vous voudrez bien m’intimer immédiatement les ordres de Sa Majesté, de manière à ce que je puisse moi-même les reporter et notifier à tems pour que ses intentions et les vôtres puissent être ponctuellement remplies.
Je suis avec respect,
Monseigneur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Le Mis de Tilly
Grand sénéchal d’épée.
Si mon fils, le comte de Tilly, a félicité assez heureusement la France de vous avoir recouvré, croyez je vous supplie, que l’hommage du père, n’est pas moins vray ny moins sincère.
A Alençon, ce 1er février 1789»
Lettre du même au même, le 19 février 1789 :
« Monseigneur
Je m’étais rendu à Beaumont-le-Vicomte comptant que Sa Majesté accorderait à mon siège qui a été créé sénéchaussée par édit de 1543, avec les mêmes droits, privilèges et prérogatives que les sénéchaussées d’Anjou et du Maine, en faveur de Françoise d’Alençon, duchesse de Vendômes.
Mais j’ai vu avec surprise et douleur que par le règlement du 24 janvier dernier mon siège était compris au rang des baillages secondaires et qu’à ce moyen je me trouvais privé des plus beaux droits de ma charge.
Vous conviendrez avec moi, Monseigneur, que n’ayant aucun exercice dans ma sénéchaussée et même me trouvant priver de présider à la noblesse lorsqu’il est question de la convocation des États-Généraux, je me trouverais être absolument un être nul et par conséquence j’aurais mis un fonds dans mon office qui ne me pousserait aucuns moyens de seconder les vues de Sa Majesté.
J’espérais, Monseigneur, que la sénéchaussée de Beaumont distincte et séparée de celle du Maine, par lettres patentes, ( à laquelle sénéchaussées de Beaumont reporteraient les baronnies de Sonnois, Mamers, Fresnay et Sainte-Suzanne, etc. et ce par l’édit de 1543 ), avait une députation particulière aux États-Généraux, parce que depuis cette époque notre sénéchaussée relevait immédiatement de la couronne et que par l’édit de 1595 ses privilèges ont été conservés, que même par la déclaration de 1597, elle a été maintenue dans tous les droits, privilèges et prérogatives qui lui avaient été attribués par le dit édit de 1543, dans lesquels droits et privilèges elle a été maintenue par arrêt de la Cour du Parlement de Paris de 1670
Il serait douloureux pour moi, Monseigneur, et pour mon siège de nous voir assimilés aux simples baillages qui anciennement ressortaient de mon siège.
Dans cette circonstance je vous prie, Monseigneur, de mettre sous les yeux de Sa Majesté les droits de mon siège et mes justes réclamations afin que par suite de sa justice et de sa bonté, elle me fasse jouir des honneurs et prérogatives attribués à ma charge.
Je suis à cinq lieues du Mans, Monsieur le sénéchal dudit lieu, ne peut pas raisonnablement, Monseigneur, convoquer les gentilshommes de mon ressort et ce serait une ignominie pour moi, ayant l’honneur de porter le nom de Marquis de Tilly depuis plus de six cents ans [ sic ].
Je suis avec respect,
Monseigneur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Le Mis de Tilly
Grand sénéchal d’épée. »
Textes retranscrits à partir de Gabriel FLEURY. La ville et le district de Mamers durant la Révolution ( 1789-1804). Mamers : imprimerie Fleury, 1909. Tome 1, pages 31 à 33.
[1] Règlement fait par le roi pour la formation et la composition des Assemblées qui auront lieu dans la généralité de Tours, en vertu de l’édit portant création des assemblées provinciales. 18 juillet 1787.
[2] Qui ne signa pas le courrier à Necker présenté ici.
[3] Affirmation fausse, voire la remarque préalable ci-dessus.
[4] La liste donne 68 noms mais Saint-Cosmes et Dangeul comptaient chacune deux paroisses.
[5] Affirmation fausse, Ledit Guillaume III de Talvas avait épousé une fille de Eudes Borel, duc de Bourgogne, veuve de Bertran de Toulouse depuis 1112, du nom de Alix ou Elle.
[6] Texte retranscrit à partir de Gabriel FLEURY. La ville et le district de Mamers durant la Révolution ( 1789-1804). Mamers : imprimerie Fleury, 1909. Tome 1, pages 28 à 31.
Nous n’avons pas retrouvé nous-même ce document, G. Fleury cite comme source un document conservé aux Archives Nationales sous la côte : Ba 49.