Le 6 mars 1789 à Saint Aubin-des-Coudrais : doléances, remarques et observations.
Le vendredi 6 mars, l’assemblée générale des habitants de Saint-Aubin-des-Coudrais se tenait dans l’église afin de rédiger le cahier de doléance du tiers-état de la paroisse. Cahier qui ressemblait beaucoup par la teneur des observations à ceux des paroisses de la région, cependant le ton se voulait extrêmement conciliant avec les ordres privilégiés dans ses derniers paragraphes. Cette modération, qui frisait l’obséquiosité, apparaissait déjà dès l’article 7 portant sur les droits féodaux dans lequel la « faute » de leur lourdeur était attribuée aux feudistes ! Sans doute n’était-ce que « stratégie » pour faire entendre et valoir des revendications qui auraient pu sembler inaudibles dans leur expression la plus crue ? En effet nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il y a une discrète ironie dans les louanges faites à la noblesse dans la phrase suivante : « Pour ce qui regarde la noblesse, surtout celle que sa générosité et de vrais services rendus à la patrie ont fait placer au rang de ses bienfaiteurs, nous aurons toujours pour eux les égards respectueux qui sont dus à la vertu. [...] »
Ce cahier était en fait très fortement inspiré de celui de la paroisse voisine de Boëssé-le-Sec adopté la veille, 5 mars 1789, au point de reprendre mot-à-mot des paragraphes entiers ( voir l’article de ce blog : Le 5 mars 1789 à Boëssé-le-Sec : cahier de doléances. )
« Le sixième jours de mars, mil sept cent quatrevingt-neuf. Nous, habitants de Saint-Aubin-des- Coudrais, assemblés dans la nef de notre église paroissiale, à la diligence de sieur Siméon Lenoir, syndic de ladite paroisse, et André-Étienne Bry, syndic de la municipalité d'icelle, pour obéir aux ordres du Roy donnés à Versailles, le vingt-quatre janvier dernier, portant que, dans chaque paroisse, il sera nommé des députés pour présenter à l’assemblée de chaque sénéchaussée, ou grand baillage, les doléances et les observations qui sont à proposer, et procéder à l'élection des députés aux États généraux, desquels ordres du Roi les dits syndics, conformément à l'ordonnance de Monsieur le Sénéchal du Maine, et l'avis de M. son lieutenant général, nous ont fait faire par le greffier de la ditte municipalité, la lecture à haute et intelligible voix, dimanche dernier, premier jour de ce mois, et fait afficher en lieu apparent prés de l'église copie diceux, dont chacun a pu prendre connaissanse, le sieur vicaire nous ayant pareillement fait la lecture au prône de la messe paroissiale, avec annonce et indication d'une assemblée de tous les habitants, nés français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans et au dessus, compris dans le rôle des impositions de la paroisse, avons vacqué, comme il se voit après, à la rédaction des susdittes doléances, remarques et observations.
1° Nous avons tous à nous plaindre de la quantité excessive d'impôts en tous genres dont nous sommes surchargés, des vexations de toutes espèces auxquelles nous sommes exposés de la part des gens de la finance, de leurs suppôts et autres personnes, dont nous allons faire une énumération détaillée.
2° Il existe une multitude de lois pénales dont le peuple n'a souvent connaissance que par les amendes à quoi il se voit cruellement condamné, souvent pour des transgressions involontaires.
3° Les frais de justice sont devenus si excessifs, que le citoyen sage et prudent aime mieux tout abandonner à un débiteur injuste, ou renoncer à des droits les plus légitimes, que de s'exposer à un procès toujours ruineux et interminable.
4° Les fraudes, en tout genre d'affaires et de commerce, sont si fréquentes et tellement imprimées que tout est falsifié et sophistiqué pour le pauvre peuple, qui n'a que les connaissances de première nécessité et conformes à son état. Le commerce est souvent l’écueil contre lequel vient se briser la petite fortune de l'homme de campagne ; et l'espérance de payer ses dettes lui est enlevée tout à coup par un fripon qui vient lui acheter à crédit son bétail et ses denrées, et qui lui fait banqueroute.
5° Pour ce qui regarde le canton de la Ferlé-Bernard en particulier, depuis dix ans, malgré l'extrême viligance des cavaliers de maréchaussée, il se fait à tout moment des vols de chevaux dans les pâtures, et même dans les écuries, ce qui souvent entraîne la perte d'un chétif cultivateur. Il serait à souhaiter qu'il y eut des règlements dans les marchés et dans les foires concernant le commerce du bétail, qui en rendissent le vol plus difficile.
6° Le contrôle est souvent, même pour d'anciens notaires, la magie noire ; personne n'y connaît rien ; et cet établissement, vraiment utile pour la conservation des actes, est devenu un moyen de vexation et de brigandage. On pourrait citer des cas où un officier, dans ce genre, ayant demandé à un homme de campagne plus de six cent livres, pour un certain droit, il en fut quitte, grâce à une protection, pour environ cinquante écus.
7° Les droits seigneuriaux, sans examiner, comme on a fait en certaine province, si la cause pour laquelle ils ont été établis subsiste encore, nous disons que c'est l'occasion d'un grand pillage de la part des officiers feudistes sur le pauvre peuple. Souvent, pour une petite redevance de quelques deniers, on leur en fait coûter des huit à dix livres. On ne cesse d'être harcelés pour rendre des aveux et des déclarations. Il serait du moins à souhaiter que les seigneurs eussent une manière moins dispendieuse de percevoir leurs droits, et de s'en assurer la perception.
8° Les banalités sont une gêne fort incommode. Elles forcent un vassal de confier à un homme en qui il croit ne pouvoir placer sa confiance, un objet intéressant et sur lequel il y a tant de moyens de commettre des fraudes. Il serait à désirer que ce reste de servitude fût aboli.
9° Le droit qui se perçoit sur les bleds et autres denrées, dans presque tous les lieux où il y a des marchés établis, est une entrave qui refroidit le commerce au préjudice des habitants du lieu, qui, par ce moyen, doivent acheter plus cher, et à la perte de celui qui conduit au marché des marchandises ; si c'est du bled, il voit avec déplaisir qu'un émissaire ou un fermier du seigneur vient, avec une mesure dont rien ne constate la juste capacité, lui enlever une portion de son bled assés considérable pour lui causer des regrets, et lui inspirer le dessein de n'y pas retourner.
10° La dixme, payée à la treizième gerbe et même à la onzième, est une redevance onéreuse pour les cultivateurs. Rien ne peut leur faire voir d'un bon œil cet enlèvement d'un bien qui leur coûte si cher en fermages envers le propriétaire, en tailles envers le Roy, en travaux et en semences, si ce n'est la persuasion où ils peuvent être qu'il en sera fait un usage digne de la religion ; mais quand ces mêmes dixmes passent à des étrangers, dont on ne reçoit aucuns secours spirituels ou temporels, c'est alors qu'un pauvre laboureur a lieu de se livrer à des plaintes et à des murmures.
11° Les quêteurs de toute espèce et de tout pays, même des royaumes étrangers, est encore une surcharge bien incommode. Un certain respect religieux qu'imprime la vie d'un homme qu'on sait ou qu'on croit être consacré à Dieu, oblige ceux-mêmes qui auraient besoin de recevoir des aumônes, de leur en faire. D'ailleurs, il n'arrive que trop souvent que la conduite de ces quêteurs détruit l'impression avantageuse qu'on en avait conçue et la changent en mépris.
12° L'établissement des huissiers jurés priseurs, quoique moderne, a déjà excité tant de plaintes qu'on ne peut s'empêcher d'en demander la suppression; comme leurs charges leur ont coûté beaucoup d'argent, ils s'en vengent sur ceux qui sont forcés de les employer. On ne parle que des sommes qu'ils se font payer pour des ventes ou inventaires qui, autres fois faites par des notaires ou des huissiers ordinaires, coûtaient de beaucoup moins.
13° La crainte d'aller plaider à un tribunal trop éloigné, comme pourroit être le Parlement, fait qu'un simple particulier, en instance avec un homme plus riche ou plus hardi que lui, le déconcerte, lui fait perdre la tête et abandonner les droits les plus légitimes. De là des transactions torsionnaires où l'on renonce à la moitié ou plus de ce qu'on devait avoir légitimement.
14° On a vu des procès coûter des milles écus, et pour des bagatelles dont l'évaluation la plus exacte n'était quelquefois pas d'un écu de six francs. Quand ces cas arrivent, et ils ne sont pas rares, on ne sait à qui s'en prendre, et l'on est forcé de souhaiter dans les juges plus de nerf et de vigilance contre de semblables vexations.
15° Les scellés qu'on appose après le décès en certains cas, sont redoutés comme un fléau des plus à craindre. Cette vigilence de la part des juges et de leurs subalternes, avait, dans son origine, un motif bien précieux aux yeux de la société, c'était uniquement pour empêcher les déprédations. Aujourd'hui, c'est, comme on dit, une vache à lait, un hasard de fief avantageux, un moyen de faire du profit ; mais les pauvres en sont ordinairement bien incommodés. Il faut que l'orphelin paye chèrement la bienveillance de la justice, après quoi, vient le juré priseur et le notaire, etc., en sorte qu'il ne reste rien aux pauvres mineurs que des bras trop faibles pour travailler, mais seulement propres à recevoir des aumônes.
16° La répartition des tailles est fort inégale entre les différentes généralités, entre les différentes paroisses, entre les différens terroirs de la même paroisse. S'il n'y a pas sur cet objet plus de réclamations, c'est la grande difficulté de se faire rendre justice qui en est cause; mais les particuliers lézés n'en sont pas moins à plaindre. Pour faire disparaître la cause de toutes ces inégalités, il serait à souhaiter que toutes les terres du royaume fussent évaluées ayant égard à leur valeur intrinsèque et accidentelle, à la facilité ou la difficulté de leur culture. L'entreprise est difficile, immense et sujette à de grands inconvéniens. La mauvaise foy étant une maladie presque incurable dans la plupart des individus, comment s'assurer du vrai, et avoir un juste moyen de comparaison ? Nous désirerions les tailles réelles et proportionnelles, s'il y avait un moyen de les faire avec égalité, et nous demandons que cet objet si important et d'un intérêt si général, soit amplement discuté.
17° Ce que nous venons de dire des tailles, nous le disons également des vingtièmes, mais sans y mettre la même chaleur, parce que nous n'y avons pas un égal intérêt ; mais s'il y avait un abonnement pour les vingtièmes, ce serait le cas de demander une répartition bien proportionnelle.
18° Les milices sont un établissement dont nous ne sommes pas à portée de pénétrer la nécessité ; nous devons sur cet article nous en raporter uniquement à la sagesse du Roi et de son conseil. Si nous ne consultions que nos faibles lumières, nous serions tentés de croire qu'un semblable établissement cause plus de trouble dans les paroisses, plus de terreurs dans les jeunes gens, plus de perte de temps dans les assemblées et les tirages, et plus de dépense qu'elles ne sont utiles à l'État. Là-dessus, notre devoir est d'obéir aveuglément, mais nous désirerions qu'il fut permis aux garçons, échus au sort, de pouvoir se faire remplacer ; il est des caractères que rien ne peut rassurer contre l'appréhension de s'expatrier, surtout pour suivre la profession de soldat.
19° Pour ce qui regarde la confection des grandes routes, elles ont été pendant longtemps un des fléaux les plus cruels des communes, mais la bonté paternelle du Roy vient d'y apporter une modification dont nous espérons le plus grand succès. Nous continuerons volontiers d'y contribuer dès qu'il s'agit du bien général du royaume. Nous espérons de la tendresse de notre bien-aimé Monarque, auquel nous sommes et serons toujours inviolablement attachés, que, s'il trouve dans sa sagesse des moyens d'opérer ce genre de bien d'une manière encore moins coûteuse, il la saisira aussitôt pour alléger de plus en plus le fardeau qui nous presse.
20° Nous n'entrerons dans aucun détail sur la faible récolte de l'année précédente, c'est un fléau qui a frappé sur toute la surface du royaume. Les plaintes que nous ferions, ne seroient que l'écho de celles qu'on a faites dans toutes les provinces ; la providence seule peut soulager nos maux.
21° Nous finirons par donner une notion de notre territoire. Une partie est assez bonne, mais plus de la moitié est bien médiocre ou même tout à fait mauvaise ; le pays est coupé de coteaux qui rendent les charrois difficiles et coûteux au préjudice de l'agriculture. La manière la plus ordinaire de féconder les terres, consiste à ouvrir les entrailles de la terre pour en tirer, par des puisards de quarante à cinquante pieds de profondeur, une substance blanche qu'on nomme de la marne, et ailleurs du tuf. Il faut vraiment du courage pour une telle entreprise. Elle est pénible et dangereuse.
22° Parce que la précipitation avec laquelle les circonstances nous forcent de tenir notre présente assemblée, ne nous permet pas de mettre de l'ordre dans les matières qui font l'objet de nos observations, nous allons reprendre un article qui à raison de son importance, aurait dû être des premiers.
La Gabelle est le fléau le plus désastreux, celui dont les coups sont plus sensibles au pauvre peuple, livré à des travaux pénibles, et qui demanderoient une nourriture proportionnée. Nous reconnaissons et certifions que tout ce qu'on apelle le menu-peuple, n'a d'autre ressource pour se maintenir en état de soutenir la rigueur de ses travaux, qu'une soupe au pain bis, de mauvaise qualité, dont le sel fait tout l'assaisonnement, et la partie la plus restaurante. Mais la cherté excessive de cette denrée forcent la majeure partie des gens de campagne à épargner sur cette dépense, ou à s'en priver totalement. Il n'est pas rare de voir un ménage, composé de cinq à six personnes, ne dépenser qu'une livre de sel dans un mois. De là la défaillance des forces corporelles, la langueur, l'abattement, la diminution des travaux, les maladies et tous les chagrins et les maux qu'on peut imaginer. Ce considéré, nous demandons, avant toutes choses, que cet impôt soit abrogé ou du moins rendu plus suportable.
23° Pour ce qui regarde l'heureuse révolution que la bonté du Roy nous prépare, nous ne pouvons en exprimer toute notre reconnaissance envers ce Monarque chéri, auquel nous protestons de notre fidélité et de notre obéissance.
La distinction que Sa Majesté daigne accorder au tiers état en lui donnant plus d'influence dans les affaires publiques, ne diminuera jamais dans nos esprits l'opinion avantageuse que nous avons pour les deux premiers ordres de l'État. Le sacerdoce, par son excellence et par les avantages précieux qu'il nous procure, mérite sous ce rapport, que nous honorions d'une vénération particulière ceux qui sont décorés de ce caractère auguste. Nous les voyons avec une juste confiance admis aux assemblées nationales, d'autant plus volontiers que la Religion a plus servi que les armes à établir dans les Gaules l'empire des François. Clovis, avant sa conversion, n'était pas encore très-avancé dans ses conquêtes.
Pour ce qui regarde la noblesse, surtout celle que sa générosité et de vrais services rendus à la patrie ont fait placer au rang de ses bienfaiteurs, nous aurons toujours pour eux les égards respectueux qui sont dus à la vertu. Nous sommes instruits qu'en général, les hommes sont trop faibles ou trop vicieux pour pouvoir se passer de maîtres ; nous recevons donc, comme un ordre établi par la Providence, cet enchaînement admirable de rang et de distinction et de pouvoirs qui vont aboutir à la personne sacrée du Roy, comme à leur centre et à leur origine. C'est de cet ordre, rapprochés des meilleurs principes, que nous attendons, dans ce moment critique, la cessation de nos maux et le bonheur de la nation entière.
Fait et arrêté par nous les habitants de Saint-Aubain-des-Coudrais, lesdits jour et an.
Signé : A.-E. Bri, Jousset, notaire royal, Chartier, G. Coudray, Remy Moussard, Antoine Renaud, Julien Le Sassier, Jean Moulin, Jean Bajon, P. Manières, J. Maloiseau, F. Boillon, Mathurin Besnard, D. Boulay, Louis Gelain, Jean Gervais, Jean Durant, Gabriel Bercent, Jean Bri, Louis D……. [ patronyme non déchiffré ], F. Geslain, S. Roulis, J, Sarcey, F. Leboucq, M. Pelletier, G. Bonhomme, F. Savart, Louis Linais, André Travert, J. Larché. E.-F. Lenoir, syndic. »