2. Les réfractaires ( 3 ) : dans les campagnes nogentaises.
… et dans les campagnes ?
Obligés de se cacher à Nogent même, les insermentés n’en continuèrent pas moins à mener leur campagne contre la constitution civile du clergé. Le 6 janvier 1792, le sieur Masson, prêtre réfractaire à Margon, décidait de célébrer la grand – messe et les vêpres dans l’église paroissiale[1]. Il s’agissait bien d’un acte délibéré et prémédité de propagande « contre – révolutionnaire ». Le même jour à Margon, « […] il avait été distribué des écrits imprimés ou la constitution et ses partisans, notamment les pasteurs patriotes, étaient décriés et injuriés […] »[2]. L’écho rencontré fut loin d’être favorable, les habitants de Margon dénoncèrent le sieur Masson dans une pétition adressée au directoire du district.
Il se passa à peu près la même chose à La Gaudaine, dans le canton de Thiron – Gardais. Le 3 février 1792, les habitants de cette commune dénonçaient au district leur ancien curé, Flament, qui officiait journellement dans l’église paroissiale contre leur volonté : « […] il les inquiète et les effraÿe en leur tenant des propos par lesquels il leur annonce le renversement de la constitution […]»[3]. Flament profitait de la vacance de la cure de La Gaudaine depuis le 30 novembre 1791. Son remplaçant constitutionnel, Perchereau, démissionnaire depuis cette date, n’avait toujours pas été remplacé.
Les patriotes nogentais n’avaient pas l’intention de laisser les réfractaires « comploter » à leur aise dans les campagnes proches. Le 8 mai 1792, Chasles était informé, par les officiers municipaux de Brunelles, que des rassemblements se tenaient «[…] presque journellement en la Maison des Arcisse, de prêtres réfractaires et autres personnes […]»[4]. Le district ouvrit une enquête qui n’aboutit à rien de probant.
Dans le canton de Champrond – en – Gâtine, les réfractaires plutôt que de dénoncer la constitution en bloc et d’en appeler aux foudres du ciel, utilisèrent les contradictions de la législation parce qu'ici il bénéficiait d'un relatif soutien au sein des populations. Par son décret du 7 mars 1791, la Constituante reconnut la liberté des cultes ; le culte « catholique apostolique et romain » était toléré au même titre que les autres religions non – officielles. Profitant de cette « brèche », J. Le Comte, ancien curé de Champrond – en – Gâtine qui avait été jugé par le tribunal du district de Nogent en avril 1791[5], demandait à la municipalité, le 1er février 1792, à être autorisé à dire la messe dans l’église paroissiale. La municipalité refusa, déclarant que l’exercice du culte par un réfractaire pouvait donner lieu à des troubles : « […] Le Comte en ce qu’il a ci – devant manifesté des opinions contraires à la constitution du royaume et s’en est montré l’ennemi il s’est attiré l’animosité d’un grand nombre d’habitants du païs qui s’ils le voyaient s’introduire en ladite église pour ÿ officier, pourraient s’attrouper et se porter à des excès qui troubleraient l’ordre public […] »[6]. Il ne s’agissait que d’une menace à peine déguisée, le même jour Le Comte accusait le maire et deux officiers municipaux d’avoir provoqué une rixe pour avoir motif à l’inculper[7]. La municipalité, dans ses délibérations du 28 janvier 1792, reprochait à Le Comte de perturber la tranquillité publique et de faire « […] des rassemblements chez lui pour former des complots […] il aurait même reçu de l’argent des émigrès pour ecciter le peuple au soulèvement […] »[8]. Le prêtre réfractaire comptait donc des partisans, au point que l’on craignait que le peuple ne se soulevât ( passons sur la « légende » de l’argent des émigrés ). La menace devait être prise au sérieux puisque, le 3 février 1792, Le Comte fut arrêté et incarcéré pour avoir excité des révoltes.
A Saint Victor – de – Buthon, le soutien populaire au curé réfractaire fut plus net. « Un certain nombre d’habitants » envoyèrent une requête auprès du district afin d’obtenir l’autorisation à ce qu’un prêtre réfractaire dît la messe en l’église paroissiale. Le directoire du district accepta sous condition de l’accord de l’évêque d’Eure – et –Loir[9]. Ici aussi, les officiers municipaux s’opposèrent à ce qu’un prêtre réfractaire dît la messe en l’église paroissiale, poussés en cela par le curé constitutionnel. Pour ce dernier la question était importante, il risquait de voir son service déserté. C’était son « arrêt de mort », sa présence devenait inutile s’il n’avait plus de fidèles ; lui qui n’avait pas hésité à lier son sort à celui de la révolution, risquait de se retrouver abandonné de tous. Nous ne savons pas qu’elle fut la réponse de l’évêque constitutionnel de Chartres, Bonnet.
Les mêmes démarches d’« un certain nombre d’habitants » eurent lieu dans les communes du Thieulin et de Montireau, à la même époque[10].
Les réponses du district furent les mêmes que pour St Victor – de – Buthon. La simultanéité de ces actions ; Le Thieulin le 26 janvier 1792, St Victor et Montireau le 27 janvier et Champrond fin janvier – début février ; laisse supposer une coordination. Les curés réfractaires furent sans aucun doute à l’origine de ses démarches « spontanées ». Il n’empêche qu’ils bénéficièrent d’un soutien au sein de la population, qui pour « téléguidé » qu’il nous apparaisse, n’en fut pas moins certain. Le canton de Champrond – en – Gâtine se démarquait, en cela, nettement des cantons de Nogent et de Thiron – Gardais. Mais il n’y eut pas d’opposition aux curés constitutionnels. Si un partie des populations du canton de Champrond – en – Gâtine soutenaient les prêtres réfractaires ce n’était certainement pas par opposition à la constitution civile du clergé. Il n’y eut jamais franchement d’hostilités vis – à – vis des prêtres assermentés, même si celui de Montireau éprouva quelques difficultés à se procurer les ornements et à entrer en possession du presbytère. Les « constitutionnels » ne furent jamais insultés, menacés ou soumis à des voies de faits. Simplement le nouveau curé dérangeait les habitudes, on ne comprenait pas pourquoi il fallait changer de curé. On restait attaché à son ancien curé, par habitude, et puis il faisait aussi bien l’affaire que le nouveau.
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La question religieuse servit de détonateur. Elle fut un facteur de radicalisation pour les masses populaires de Nogent, clarifiant le débat politique, traçant une ligne de démarcation entre les partisans et les ennemis de la révolution ; le mouvement populaire nogentais se rangea délibérément dans le premier. Elle permit aux patriotes révolutionnaires de Nogent de réaliser une « alliance » avec les masses populaires ; « alliance » qui les porta au pouvoir municipal. Par sa campagne démocratique, la Société Patriotique de Nogent contribua à aiguiser la conscience révolutionnaire des masses populaires.
Dans les campagnes les réactions furent différenciées. Il n’y eut pas de mobilisation massive contre les réfractaires, les populations des cantons de Thiron et de Nogent, ainsi qu’une partie des habitants de Champrond-en-Gâtine, ne s’en opposèrent pas moins à leurs activités[11]. On n’y hésita pas à dénoncer ces fauteurs de troubles, ces mauvais citoyens. Les populations leurs étaient hostiles.
Au contraire dans le canton de Champrond – en – Gâtine, les réfractaires bénéficièrent d’un certain appui populaire. Les dénonciations n’émanaient que des municipalités ou des curés constitutionnels. Ce soutien n’alla pas jusqu’à une opposition ouverte aux curés assermentés. On s’y contentait de préférer l’ancien curé au nouveau, sans doute par habitude. La tactique des réfractaires fut plus subtile qu’à Margon ou à La Gaudaine. Ils utilisèrent les contradictions de la législation pour continuer d’exercer leur ministère, plutôt que fulminer contre la constitution du haut de leur doctrine.
[1] Masson n’était pas l’ancien curé de Margon, celui – ci, également réfractaire, ne fit jamais parler de lui.
[2] A. D. Eure – et – Loir, L. 149 ancienne côte, L 1173 nouvelle côte, séance du 14 janvier 1792.
[3] A. D. Eure – et – Loir, L. 149 ancienne côte, L 1173 nouvelle côte, séance du 03 février 1792.
[4] A. D. Eure – et – Loir, L. 150 ancienne côte, L 1174 nouvelle côte, séance du 11 mai 1792.
[5] Voir aux A. D. 28 le dossier L 1323 nouvelle côte. Le Comte avait été dénoncé par le procureur de la commune de Champrond-en-Gâtine.
[6] A. D. Eure – et – Loir, L. 149 ancienne côte, L 1173 nouvelle côte, séance du 1er février 1792.
[7] Le citoyen Darreau était le maire et les deux officiers municipaux étaient les citoyens Romager et Badier.
[8] A. D. Eure – et – Loir, L. 149 ancienne côte, L 1173 nouvelle côte, séance du 1er février 1792.
[9] A. D. Eure – et – Loir, L. 149 ancienne côte, L 1173 nouvelle côte, séance du 27 janvier 1792.
[10] A. D. Eure – et – Loir, L. 149 ancienne côte, L 1173 nouvelle côte, séances des 26 et 27 janvier 1792.
[11] Voir les réactions des habitants de Margon et de La Gaudaine.