1790 : Un nouveau découpage administratif...
(Cet article constitue la suite de l’article : « le cadre général : le Perche voir ici ).
1.3. Le nouveau découpage administratif de la France : l'éclatement du Perche.
La Constituante mit fin à l'enchevêtrement chaotique des anciennes divisions administratives : généralités, baillages.... Elle y substitua une division unique pour l'ensemble de la France : le département, lui-même subdivisé en districts, cantons et communes. Il se peut qu'elle cherchât à briser l'esprit particulariste des anciennes provinces, mais généralement la division en départements respecta relativement les limites des anciennes provinces.
L’idée de base, qui servit de guide au découpage des nouvelles circonscriptions, était que tout habitant pût se rendre au chef - lieu du département en une seule journée. Les départements furent fixés au nombre de quatre-vingt-trois, le tracé de leurs « frontières » était arrêté après accord à l’amiable entre les représentants des départements limitrophes.
Ce nouveau découpage administratif porta le « coup de grâce » au Perche, l’écartelant entre quatre départements : l’Eure – et – Loir, la Sarthe, l’Orne et le Loir – et – Cher. Les constituants avaient, il est vrai, tout d’abord rattaché Nogent – le – Rotrou à Alençon, ce qui avait l’avantage de regrouper les trois principales villes de l’Ex – Perche ( Mortagne – au – Perche, Bellême et Nogent – le – Rotrou ) dans le même département. Ce fut l’intervention d’un avocat de Nogent – le – Rotrou, Giroust[1], qui détermina le rattachement de cette ville au département d’Eure – et – Loir.
Les limites du département furent définitivement arrêtées en février 1790, Chartres en devint le chef – lieu. Il fut découpé en six districts : Chartres, Janville, Châteaudun, Dreux, Châteauneuf – en – Thymerais et Nogent – le – Rotrou ; quarante cantons et quatre cent soixante - deux communes. Le tracé des nouvelles circonscriptions fut fait à partir des cartes de Cassini, tenant lieu à l’époque de carte d’Etat – Major. La carte du département d’Eure – et – Loir ainsi établie fut datée du 25 janvier 1790 ; les archives d’Eure – et – Loir en conservant un exemplaire[2]. Le district de Nogent – le – Rotrou était composé de six cantons et cinquante - trois paroisses[3]. Il constituait une « enclave percheronne », très nettement différenciable des régions voisines.
Carte1 : Le district de Nogent – le – Rotrou en 1790.
1.4. Le district de Nogent – le – Rotrou.
1.4.1. Le peuplement.
Le département d’Eure – et – Loir comptait, en 1791, un peu plus de 257 000 âmes[4]. Le district de Chartres était de loin le plus peuplé, avec près d’un quart de population totale du département ( 13 121 personnes pour la seule ville de Chartres soit 5,20% de la population du département ). Le district beauceron de Châteaudun arrivait en seconde position ; curieusement le troisième district beauceron, celui de Janville, était le moins peuplé de tous : c’était un district strictement rural ne comprenant aucune ville importante, Janville n’étant à l’époque qu’un gros bourg rural, ici la seule activité était le travail de la terre. Au total plus de la moitié de la population vivait dans les districts « frumenteux » de la Beauce : 54,06% ; l’autre petite moitié se répartissait équitablement entre le Perche, le Thymerais et le Pays drouais, avec une assez nette avance pour ce dernier.
Tableau 1 : Répartition de la population du département
d’Eure – et – Loir par district, en 1791.
Le district de Nogent – le – Rotrou était finalement assez peu peuplé, il ne renfermait que 14,07% de la population départementale, il n’arrivait qu’en quatrième position avec une population inférieure de 42% à celle du district de Chartres.
Comment évoluait cette population ?
Il semblerait, d’après le travail de P. Desseix, que les campagnes nogentaises connaissaient depuis le milieu du XVIIIeme siècle, sinon une baisse démographique du moins un tassement certain. Il a relevé le nombre des taillables dans onze paroisses voisines de Nogent – le – Rotrou, et son évolution entre 1681 et 1768[5].
Tableau 2 : Evolution du nombre de taillables
dans les campagnes nogentaises au XVIIIeme siècle.
La plupart des paroisses accusèrent une très forte diminution du nombre de leurs taillables au cours du XVIIIeme siècle, seule la paroisse de Vichères voyait son nombre de taillables augmenter sensiblement et continuellement.
Cette baisse pouvait résulter d’une dépopulation des campagnes nogentaises au cours du siècle, et plus particulièrement après la grande crise de 1709 – 1710. Celle – ci traina, avec de courtes pointes de mortalité, jusqu’en 1714. Durant cette période le nombre des décès excéda celui des baptêmes, dans les trois paroisses de Brunelles, Coudreceau, St Jean- Pierre – Fixte[6]. La crise toucha particulièrement les adultes, il n’y eut presque pas d’unions en 1709 – 1710 dans ces trois paroisses ; la courbe démographique s’en ressentit au niveau des naissances.
Mais la baisse du nombre de taillables pouvait résulter d’une paupérisation de la population des campagnes nogentaises.
La réalité relève sans doute des deux explications. Réduits à la misère par la grave crise de 1709 – 1710 une grande partie de la population dut s’expatrier, venant grossir les rangs des « gueux » des villes ; alors que la disette décimait les villages. Ces deux causes contribuèrent à faire définitivement chuter la population des campagnes nogentaises. Parmi les survivants, rares furent ceux qui se maintinrent à flots, ceux susceptibles de payer la taille furent moins nombreux. Nogent dut profiter de cette crise. Malheureusement, nous ne saisissons pas l’évolution de la population nogentaise au cour du XVIIIeme siècle ; le travail effectué par P. Desseix sur les campagnes nogentaises reste à faire pour la ville.
1.4.2. Une relative concentration urbaine.
Le département d’Eure – et – Loir comportait peu de grosses concentrations urbaines, seule Chartres dépassait le seuil des 10 000 habitants en 1791, les autres agglomérations n’étaient que de tailles modestes.
Nogent – le – Rotrou était la seconde ville du département avec 6 850 habitants, en 1791, devançant Châteaudun de peu ( 6 345 habitants toujours en 1791 ) et Dreux ( 5 372 habitants ).
Cette seconde place peut étonner alors que le district de Nogent – le – Rotrou n’était que le quatrième quant à la population.
18,91% de la population du district de Nogent – le – Rotrou vivait concentrée au chef – lieu en 1791, cette proportion était de 21,06% dans celui de Chartres mais seulement 13,51% dans le district de Châteaudun et 11,71% pour celui de Dreux. Cette proportion était sensiblement supérieure à la moyenne nationale ; puisqu’on estime généralement à 16% la proportion de citadins en France à la veille de la Révolution.
Certes dans les campagnes nogentaises l’habitat était dispersé, mais ceci n’excluait pas l’existence d’une relative concentration urbaine. Ce phénomène ne concernait pas uniquement le chef – lieu de district. Nogent n’était pas la seule « concentration urbaine » entouré d’un « désert », certains chef – lieu de canton constituaient également des « concentrations urbaines » importantes, toutes proportions gardées ( voir tableau 3 ).
Le cas du canton était exceptionnel, Nogent avec son statut de chef – lieu de district avait une sphère d’influence nettement supérieure à son seul canton. Authon avec 23,31% de la population de son canton et, dans une moindre mesure, La Bazoche – Gouët pouvaient apparaître comme des concentrations relativement importantes. Dans ces deux cantons, la proportion de la population « urbaine » restait supérieure ou égale à la moyenne nationale[7].
Nous sommes en présence de deux types d’habitat bien distincts. D’un côté, un habitat totalement dispersé dans les cantons de Frazé, Thiron – Gardais et Champrond – en – gâtine, ici les agglomérations n’étaient que des bourgs de taille modeste : 246 personnes de plus de 12 ans à Thiron, 201 à Champrond, 154 à Frazé. C’était un paysage traditionnel de bocage, le phénomène urbain y était absent. De l’autre côté, un habitat dispersé dans la partie rurale du canton qui coexistait avec une « concentration urbaine » relativement importante : Authon et la Bazoche, voire très important comme dans le canton de Nogent, ici la ville faisait partie du paysage local. On peut parler d’une certaine urbanisation dans l’ouest et le sud du district.
Tableau 3 : Proportion de la population active concentrée
au chef – lieu de canton en vendémiaire an IV[8].
Cette « concentration urbaine » n’était pas le fait du hasard, elle était étroitement liée à la présence d’une importante activité industrielle : le tissage des étamines.
1.4.3. Un district pauvre.
Une enquête départementale de 1791 permet de se faire une idée de la « richesse » du district de Nogent – le – Rotrou par rapport à l’ensemble du département. Cette enquête portait sur l’indigence, y était précisé le nombre de personnes ne payant aucune taxe[9]
( voir tableau 4 ).
Le district de Nogent – le – Rotrou était celui dans lequel la proportion de personnes ne payant aucune taxe était la plus forte du département. Ce chiffre indiquait certainement une proportion de pauvres plus forte qu’ailleurs dans le département.
Tableau 4 : Proportion de la population ne payant aucune taxe, en 1791,
dans le département d’Eure – et Loir.
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Le district de Nogent – le – Rotrou apparaissait comme relativement peu peuplé et pauvre, tout au moins la proportion de pauvre y était la plus importante du département. C’était une région bocagère qui connaissait cependant une certaine concentration urbaine liée à « l’industrie textile » dans sa partie ouest et sud ( Cantons de Nogent, Authon et de La Bazoche ).
[1] Sur ce personnage se reporter à l’annexe 3 de mon mémoire de maîtrise. Ainsi que sur ce blog l’onglet « Chasles et les autres » qui sera consacré à des éléments biographiques de quelques individus ayant joué un rôle important durant la Révolution à Nogent au premier desquels le Conventionnel Chasles.
[2] Une copie en a été faite par M. JUSSELIN. L’administration du département d’Eure – et – Loir pendant la révolution ( 4/6/1790 – 21/3/1800 ). Chartres, 1935.
[3] Voir carte 1 ci – dessous.
[4] Exactement 257 256.
AD 28, L. 551 ( ancienne côte ) nouvelle côte L325 et L 326.
Cette liasse contient les états de la population pour les années 1791, 1793 et pour l’an VII ; malheureusement le dénombrement de 1791 est incomplet, pour l’an VII il manque souvent l’état de la population du Chef – lieu de district ( sauf pour Châteauneuf – en – Thymerais ), enfin pour 1793 il n’y a aucune donnée pour le district de Nogent – le – Rotrou. Tous ces chiffres sont bruts, il s’agit de dénombrement et non de recensement, il est donc difficile d’en tirer des renseignements sur la composition sociologique du département.
[5] Voir tableau 2, d’après : P. DESSEIX. Les campagnes nogentaises à l’époque moderne. Le Mans, 1975. Mémoire de maîtrise dactylographié, p. 16.
[6] P. DESSEIX. Op. cit., p. 152.
[7] Cependant dans le cas d’Authon et de La Bazoche il convient de rester prudent quant à cette « concentration » au chef-lieu de canton, ce dernier comptant des écarts sur le territoire de sa commune, écarts parfois assez éloignés.
[8] Chiffres obtenus à partir ui recensement de vendémiaire an IV conservé aux archives départementales d’Eure – et – Loir : AD 28, L. 402 à 404 ( anciennes côtes ) nouvelles côtes L 326 et L 327.
Dans ce document ne sont recensées que les personnes de plus de 12 ans, on saisit ainsi la population active du district.
Ce recensement est presque complet, il ne manque que trois communes sur un total de cinquante – trois : Souancé, dans le canton de Nogent – le – Rotrou, Montigny – le – Chartif et Happonvilliers dans le canton de Frazé. La proportion de la population concentrée dans le chef – lieu de canton doit donc être légèrement inférieure au chiffre trouvé dans les deux cantons de Frazé et de Nogent.
Les renseignements fournis par ce recensement sont les suivants : nom, prénom, adresse, profession, âge, lieu de naissance, date d’arrivée dans la commune s’il ne s’agit d’un natif.
[9] AD 28, L. 551( ancienne côte ), nouvelle côte L325 et L 326.