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La Révolution Française à Nogent le Rotrou

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La Révolution Française à Nogent le Rotrou
  • Nogent-le-Rotrou et son district durant la Révolution française avec des incursions dans les zones voisines ( Sarthe, Orne, Loir-et-Cher voire Loiret ). L'angle d'attaque des études privilégie les mouvements sociaux et les archives locales et départemental
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Le Pére Gérard

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14 décembre 2015

La crise de l’industrie étaminière.

1. Une phase de développement dans les premières années du XVIIIème siècle.

Tisserand

Les premières années du XVIIIème siècle virent un développement important des activités étaminières. Cette phase « ascensionnelle » se prolongea jusqu’au milieu du siècle.

Nogent se spécialisa dans la fabrication d’étamines composées pour moitié de laine et pour moitié de soie ; alors qu’à Authon, Brou et La Bazoche on continuait de fabriquer des étamines camelotées dites du Mans. Nogent concentrait, déjà, la plus grande partie de l’activité étaminière du Perche. Ce « chef – lieu de manufacture » connaissait alors une riche bourgeoisie négociante. Quinze riches marchands vendaient à Paris, Rouen, Orléans, Lyon, jusque dans le Languedoc et la Provence ainsi qu’à l’étranger : Suisse, Allemagne, Flandres, Hollande. Une grande partie des étamines du Perche était envoyée au Mans pour y subir les opérations d’apprêt et être introduite dans le circuit commercial.

Ce développement se traduisait dans les rôles de taille. Pour la paroisse de St Laurent de Nogent – le – Rotrou le nombre de sergers passa de 42 à 22 entre 1700 et 1708 alors que celui des étaminiers augmentait nettement, passant de 107 à 141. Le nombre des peigneurs d’étamines progressait également, de 31 en 1700 ils passèrent à 50 en 1708. Les cardeurs, les foulons et les teinturiers devenaient, également, plus nombreux. A cette époque 150 maîtres – fabricants étaient à la tête de 400 métiers dans la seule ville de Nogent[1].

Cette progression se traduisait évidemment dans le nombre de pièces d’étamines fabriquées et par la quantité de pièces que les marchands de Nogent – le – Rotrou, Authon, Bellesme et Mortagne apportaient chaque année à la foire de Guibray ( commune de Falaise dans l’actuel département du Calvados )[2].

 

Tableau n° 1 : Nombre de pièces d’étamines

apportées à la foire de Guibray

par les marchands percherons.

 

Années

Nombre de pièces

Prix de la pièce en livres

 

1704

 

1705

 

1706

 

1707

 

1708

 

1709

 

1710

 

1711

 

1713

 

1714

 

1715

 

 

1 041

 

1 530

 

1 490

 

1 370

 

2 281

 

4 003

 

3 000

 

13 000

 

11 070

 

1 202

 

1 122

 

20

 

20

 

20

 

20

 

20

 

20

 

20

 

25

 

35

 

40

 

40

La chute enregistrée dans les années 1714/1715 reste assez inexplicable. Les années 15 et 16 du XVIIIème siècle ne furent, en général, pas favorables au commerce dans l’ensemble du royaume. Mais cette période « à vide » fût suivie d’une reprise puisque les marchands de Nogent – le – Rotrou apportaient, à cette même foire, de grandes quantités de pièces d’étamines entre 1732 et 1770[3].

 

Tableau n° 2 : Quantités de pièces d’étamines

apportées à la foire de Guibray

par les marchands de Nogent – le – Rotrou.

Années

 

 

Nombre de pièces par an

 

 

 

 

1732 – 1740

 

1742/43/44

 

1745 – 1748

 

1748 - 1770

 

 

7 à 9 000

 

10 000

 

8 000

 

2 à 3 000

 

A partir de 1750, la chute fut irrémédiable et définitive.

La foire de Guibray était loin d’être le seul débouché pour les étamines du Perche. En septembre 1734, deux marchands nogentais apportaient à Troyes pour 30 000 pièces d’étamines. A Reims, toujours en 1734, cinq marchands nogentais, un

d’Orléans, un de Bonnetable et un du Mans, apportaient 1 527 pièces d’étamines camelotées dites du Mans et de Nogent – le – Rotrou ( étamines à mi – soie ).

2. Le commerce international.

Les étamines connaissaient alors d’importants débouchés internationaux, elles étaient surtout exportées vers les pays méridionaux : Italie, Sicile, Portugal et aussi vers les « isles ». Les deux tiers de la production étaient exportés au XVIIIème siècle.

F. Dornic nous rapporte l’exemple d’un négociant de Laval, P. Le Nicolais, qui avait acheté des pièces d’étamines au Sieur Guillier, négociant à Nogent – le – Rotrou, pour les expédier en Espagne. Le Nicolai avait, d’ailleurs, un frère négociant à Nogent : François. Le 27 janvier 1760, il écrivait à Guillier :

«  Vous saurez sans doute que le nouveau monarque d’Espagne a fait signifier à Cadiz à tous les maîtres de vaisseaux de la flotte qu’ils fussent prêts à partir en tout avril prochain, ce qui fait regarder le départ de la dite flotte comme certaine pour le mois de may. Cet ordre va occasionner bien des ventes. Mr Guiseppe M. Enribe m’a déjà marqué qu’il était traité avec quelqu’un pour la vente des 17 balles que je lui ai envoyé dans lesquelles vous faites 1/6 d’intérêt, […] »[4].

Via l’Espagne on touchait l’Amérique.

D’après cet exemple, et d’autres, il semble bien que les négociants nogentais ne faisaient pas eux – mêmes le trafic international mais qu’ils passaient par l’intermédiaire des grands négociants du Mans, ou comme ici de Laval. F. Dornic ne cite aucun négociant nogentais ayant des « affaires » en Italie, au Portugal ou en Espagne. De là les alliances tant recherchées avec les grandes familles négociantes du Mans.

3. La crise.

A partir de 1750, l’industrie étaminière entra définitivement dans une phase de déclin. Cette « chute » se traduisit non seulement par une baisse des ventes mais également par un moindre nombre de métiers en activité. Le commerce commandait l’activité industrielle. G. Daupeley signalait 404 métiers à Nogent pour l’année 1693[5], un siècle plus tard ce chiffre était tombé à 300[6]. Cette situation n’était pas spécifique à Nogent mais touchait tous les centres étaminiers. Dans le rapport qu’établissait, sur la foire de Guibray, l’inspecteur Brunet en 1770, il signalait comme cause de la dégénérescence de la fabrique de Nogent – le – Rotrou : la mauvaise qualité des laines employées, leur cherté due à leur rareté[7].

Les causes de la décadence.

L’inspecteur Brunet ne s’était pas trompé, la cause principale de la « dégénérescence » était bien la qualité de la matière première. La laine anglaise était de meilleure qualité, plus fine, plus abondante et surtout beaucoup moins chère que la laine française ou espagnole. Cette mauvaise qualité résultait d’un changement  profond dans les pratiques de l’élevage. Les fermiers, les laboureurs, se mirent à préférer pratiquer l’élevage pour la viande, y trouvant un profit plus important. Ils engraissaient les moutons à l’étable durant l’hiver, les vendaient à Pâques et les tondaient dès la mi-carême, soit trois mois avant la maturité des toisons. Des arrêts en 1669, 1714, 1725, 1735 et 1744 interdisaient de tuer et tondre les agneaux avant la St Jean, leur réitération prouvait leur inefficacité.

La laine manquait. Vue l’extension prise par les fabriques d’étamines durant la première moitié du XVIIIème siècle, les toisons indigènes ne pouvaient suffire à la demande. Cette rareté entraîna une hausse du prix de la laine[8].

La rareté de la laine entraînait des abus : les toisons étaient mal dégraissées, stockées dans des lieux humides pour les rendre plus lourdes, ou encore de qualités mêlées.

 

Tableau n°3 : Evolution du prix de la livre de

la laine dégraissée au XVIIIème siècle.

 

 

Années

 

 

 

Prix

 

1708 – 1715

 

1715 – 1718

 

1719 – 1723

 

1724 – 1726

 

1730 - 1757

 

12 à 15 sols

 

19 à 21 sols

 

 

 

25 à 28 sols

 

30 à 34 sols

 

 

La concurrence étrangère s’en trouva favorisée, surtout celle de l’Angleterre. Entre 1787 et 1790, l’inspecteur de la généralité d’Orléans, chargé de la surveillance des fabriques du Perche – Gouët ( Authon, La Bazoche, Brou ) écrivait :

« Cette branche d’industrie dégénére sensiblement dans le Perche – Gouët depuis plus de vingt ans, parce que les anglais traversent les opérations de nos fabricants en Espagne, en Portugal et Italie, et qu’ils ont sur eux les plus grands avantages à cause des bas prix des laines communes en Angleterre. Non seulement ils approvisionnent presqu’exclusivement l’étranger de leurs lainages, mais même on sait que depuis le traité de commerce que nous avons fait avec eux, ils vendent en France pour une somme extrêmement considérable. »[9]

D’autres facteurs entrèrent en jeu dans le déclenchement de cette crise. La guerre de sept ans ( 1756 – 1763 ), entre la France et l’Angleterre qui empêcha l’exportation par voies maritimes vers l’Espagne et le Portugal, eût un effet  désastreux sur le commerce international. Enfin, les effets de la mode jouèrent aussi, comme le signalait Mr De Tournay, inspecteur des manufactures, dans une affiche le 31 décembre 1787 :

« Le luxe est une des grandes causes de la décadence du commerce de l’étamine, uniforme dans sa couleur, elle a perdu son crédit […] »[10].

Les étamines subissaient le contre – coup de la vogue des cotonnades et indiennes.

Cette évolution était irrémédiable, les manufactures d’étamines ne connurent plus jamais l’opulence du début du XVIIIème siècle. La révolution ne fut donc pas à l’origine de la crise de la fabrique d’étamines mais elle n’améliora pas les choses, en supprimant les congrégations religieuses à vœux perpétuels en février 1790 et en interdisant le port des vêtements des religieux du clergé régulier dissous le 8 août 1792 et en interdisant les port des habits religieux quels qu’il fussent le 22 germinal an IV ( 11 avril 1796 )[11].

Cette crise touchait profondément les couches populaires urbaines les plus pauvres. Les maîtres – fabricants et les compagnons étaminiers voyaient leur avenir s’assombrir.

En réduisant à l’inactivité une partie des masses urbaines nogentaises, la crise de l’industrie étaminière  augmentait l’indigence et rendait plus sensible le problème des subsistances.


[1] F. DORNIC. L’industrie textile dans le Maine et ses debouches internationaux ( 1650-1815). Le Mans, 1955. P. 41.

Entre 1700 et 1708, les cardeurs passaient de 5 à 7, les foulons de 4 à 5, les teinturiers de 3 à 4.

[2] Voir le tableau n° 1. Ce tableau est tiré de  F. DORNIC. Op. cit. P. 41 et p. 51 pour les prix.

[3] Voir le tableau n° 2. Ce tableau est tiré de  F. DORNIC. Op. cit. P. 62.

[4] F. DORNIC. Op. cit. P. 81 et 82.

[5] G. DAUPELEY. Trois documents relatifs à l’industrie des étamines à Nogent – le – Rotrou. Nogent – le – Rotrou, 1905. P. 8.

[6] A. D. Eure – et – Loir, L. 326 et L 327, nouvelle côtes ( anciennes côtes : L 402 à L 404 ).

[7] F. DORNIC. Op. cit. P. 128.

[8] Voir tableau n°3. Ce tableau est tiré de F. DORNIC. Op. cit. P. 121.

[9] F. DORNIC. Op. cit. P. 117.

Le traité commercial dont parlait l’inspecteur était celui passé entre la France et l’Angleterre en 1786. Il entra en application le 10 mai 1787. Il ouvrait les portes à l’importation des étoffes de laine anglaise en France.

[10] F. DORNIC. Op. cit. P. 239.

[11] Il convient cependant de nuancer cette appréciation, en effet l’industrie étaminière de Nogent connut sous la Révolution, surtout en 1794-95, une légère reprise avec la fabrication des étamines dites à pavillon ( voir l’article de ce blog consacré à l’indigence ).

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